Les cris, les pleurs, les portes qui claquent, le bruit du chariot qui grince sous mon corps. Je n’entends que des sons et des éclats de voix peu distinctes. Une lumière, deux, trois, c’est tout ce que je peux voir. J’entends des gens courir, des gens crier, le chariot, une porte qui claque, … plus rien. Juste une horloge et quelqu’un qui chuchote au loin.
– Je ne comprends pas pourquoi elle s’est réveillée. J’en ai déjà parlé à son médecin et il m’a dit que si ça recommençait, je devais accourir ici.
Quelqu’un d’autre parle mais je n’entends pas, le sommeil.
Je rouvre les yeux c’est blanc, l’odeur est similaire a celle de chez le dentiste, mélangée à celle d’un magasin de produits ménager.
Je ne ressens aucune sensation, juste mes paupières qui bougent. Je suis toujours couchée mais ce n’est pas le même matelas que tout à l’heure, ici il est plus dur. J’aurais même tendance à dire qu’il n’y en a pas.
Des pas…
C’est une voix aiguë mais masculine qui me parle, dans mes oreilles cette voix apparaît comme une sirène et ça fait mal à la tête.
– Bonjour, alors j’imagine que vous savez pourquoi vous êtes là !
– …
– Bon ok on va procéder à quelques examens, vous pouvez me dire combien de fois il vous est arrivé de vous réveiller ?
– …
Je n’ai pas répondu. Le médecin s’en va avec sa robe blanche tachetée de bleu. Après de longues minutes à attendre couchée en regardant le plafond, la faim commence à se faire ressentir et je peine à me lever du lit qui est en fait clairement un rectangle de draps. Je sors de la chambre et à ma grande surprise toutes les portes sont exactement les mêmes, il n’y a aucun panneau et aucun médecin à l’horizon. Juste des gens qui déambulent vers des endroits imprécis. J’essaye d’ouvrir une porte mais je vois un garçon dans un lit de draps et une infirmière à son chevet. Ils sont tous les deux habillés comme le médecin de tout à l’heure. Ils me regardent et puis retournent à leurs occupations sans faire attention à moi. Je m’adresse à l’infirmière.
– Vous savez ou je peux trouver la salle à manger ?
En comprenant que je ne vais pas avoir de réponse, je sors de la chambre et après plusieurs essais je tombe sur une salle dans laquelle beaucoup de gens en chemises blanches à pois bleus sont assis à des tables avec des assiettes devant eux. Un silence de mort plane, à tel point que j’ai peur de faire du bruit avec mes propres pas. Je prends une assiette en tremblant de peur de faire un seul bruit. Je m’avance vers le comptoir de nourriture, bizarrement il n’y a personne pour servir, personne dans les cuisines. Je ne me pose pas plus de question et je vais m’asseoir.
– T’es là pour quoi toi ?
Je sursaute au son de sa voix qui résonne dans toute la pièce.
– Tu peux répondre personne n’écoute de toute façon
– Je me réveille le jour. Et toi ?
– Fin je me réveille la nuit quoi. Sauf que toi t’es là depuis hier moi je dois être là depuis 1 an quelque chose comme ça. Fin on n’a pas trop la conscience du temps ici tu verras.
Je ne réponds pas. Il pense la même chose que moi c’est sur.
– Je hais cette vie de merde. Je ne vois pas pourquoi le fait que les médicaments ne fonctionnent pas sur moi m’oblige à être interné dans un putain d’HP. Tu t’appelles comment ?
– Sarah. Et toi ?
– Marc.
– C’est un nom de vieux.
– Comme cette société.
Je meurs d’envie de savoir ce qu’il se passe pendant que les femmes dorment mais je sais très bien que ce n’est pas ici que je dois poser cette question. Évidemment j’ai déjà demandé à ma mère mais en plus de ne pas savoir elle n’a jamais voulu me répondre.
On termine tous les deux de manger dans le silence le plus complet. Tout ce qu’on entend, ce sont des bruits de bouche, des gens qui se lèvent pour aller mettre les assiettes dans de grandes machines qui ont l’air de fonctionner toutes seules. Quand mon assiette est vide, je me lève et me dirige comme tout le monde vers les machines et range correctement ma vaisselle dedans.
Marc me raccompagne jusqu’à ma chambre qui heureusement est au bout du couloir donc j’arrive facilement à me souvenir de son emplacement.
– Comment t’arrive à savoir où est ta chambre toi ?
– Les chambres ne sont pas attribuées donc j’ouvre une porte et s’il n’y a personne dedans j’y vais.
Je suis un peu gênée de ne pas savoir ce qui semblait si évident mais je ne comprends pas pourquoi le médecin ne me l’a pas dit. Je dis au revoir à mon nouvel ami et vais me coucher dans ma chambre. Après quelques minutes, la porte derrière moi s’ouvre et cette fois c’est une femme en robe blanche tachetée de bleu qui entre dans ma chambre.
– Bonjour, je viens procéder à quelques analyses. Vous pouvez vous lever et faire des grandes respirations sil vous plait.
J’obéis à l’infirmière et celle-ci surveille ma respiration mais sans stéthoscope. Je suis donc un peu perdue mais étant donné qu’elle a l’air de s’y connaître en la matière je la laisse le faire avec ses mains.
L’infirmière ajoute qu’elle reviendra tous les jours pour faire des petits examens de vérification avant de sortir. J’analyse la pièce autour de moi. Elle est assez petite mais grande par l’absence de meubles. Juste une petite armoire dans laquelle il n’y a rien. À côté de mon lit si on peut appeler ça comme ça, il y’a une bouteille d’eau et un verre. Pour terminer dans un coin de la pièce il y’a une brosse à dents et un dentifrice posés sur un lavabo. Le tour de la pièce étant terminé, je reste assise sans bouger pendant de longues minutes et fini par me lever pour essayer de retrouver mon ami.
Le couloir est toujours le même, des gens marchent sans but et une multitude de portes s’ouvrent à moi. Je procède par logique et commence à ouvrir les portes à proximité de la mienne. Par chance à la cinquième porte j’entends quelqu’un parler plus loin dans le couloir et cette voix correspond à celle que je connais déjà. Je me retourne et le vois au milieu du couloir en train de parler avec quelqu’un. Quand je m’approche, ils s’arrêtent net de parler et en voyant que je le regarde de travers Marc nous chuchote que nous devons parler autre part. Nous nous dirigeons tous trois vers une chambre. L’homme avec qui Marc parlait est assez agé mais en bonne forme pour son âge même s’il boite un peu.
– Christophe a des informations sur la vie d’avant car son arrière grand père a connu cette époque, il s’apprêtait à m’en parler !
Je ne le montre pas mais je meurs d’impatience de savoir ce qu’il a à nous dire et frissonne à l’idée d’entendre des choses que j’ai toujours rêvé de savoir.
– J’ai été incarné ici il y’a environ 45 ans alors que j’avais divulgé certaines informations et c’est maintenant que je me rends compte qu’il faut que j’en parle pour pas que ça tombe aux oubliettes. Il y’a longtemps de ça, quand j’avais douze ans, mon arrière grand père m’a annoncé sur son lit de mort qu’il savait des choses sur le monde d’avant. Ensuite il m’a dit qu’il avait connu la période où les hommes et les femmes cohabitaient la journée et que la nuit était, pour tous, le moment de se reposer des longues journées de travail. C’est par la suite que la dormance s’est installée sur les femmes et que tout le cycle s’est inversé. Les choses ont changé et le gouvernement a trouvé l’équilibre et le moyen parfait pour que ni les hommes ni les femmes ne sachent ce qu’il se passait lors de l’autre partie des 24 heures. Ils ont donné une société différente à chaque être humain pour qu’à leur réveil les choses soient réglées parfaitement à l’image de la femme et de l’homme en société. C’était un bon moyen pour eux d’arrêter les changements sociétaux qui leurs rapportaient trop d’argent.
Après cet événement Marc et moi sommes restés des jours sans parler, nous sommes sortis de la chambre, nous avons chacuns pris une direction différente et nous avons passé plusieurs jours même peut-être plusieurs semaines sans se croiser et, quand ça arrivait, nous faisions comme si nous ne nous connaissions pas. J’avais toujours mes entrevues régulières avec les médecins, je mangeais seule à la cafétéria et je dormais tous les jours dans la même chambre. Christophe, je ne l’ai plus revu depuis.
Ce jour là je suis sortie de ma chambre et cette fois j’ai croisé Marc sauf que ce n’était pas comme toutes les fois précédentes, cette fois il m’a regardée et m’a dit :
– On mange ensemble à la cafet tout a l’heure.
Je n’ai pas eu le temps de répondre, il a fait demi tour et il est parti. Plus tard quand j’ai commencé à ressentir la faim, je me suis rendue à l’endroit prévu et je l’ai vu. Il était déjà assis avec son assiette devant lui et il m’attendait pour manger. Je me suis servie. C’était du saumon avec des épinards et des pommes de terre, un repas qu’on avait déjà eu il y avait environ une semaine. Je me suis assise à ses cotés et nous avons commencé à manger. Il y avait toujours ce calme et cette peur de faire trop de bruit avec mes couverts. Mais en plus de ça il y avait autre chose, l’habitude. L’habitude de cohabiter avec des garçons, l’habitude du calme et des gens qui vont vers des buts inconnus, l’habitude de la blancheur de la chambre et du goût du dentifrice.
– C’est quoi qui te fait le plus chier ici ?
A nouveau la résonance de sa voix m’a fait sursauter dans la pièce sans bruit. Je souris à la simplicité de sa question.
– De trouver la porte de la cafétéria j’imagine.
Il rigola.
– Et toi ?
– Je crois que le pire c’est de ne pas savoir si on est le jour ou la nuit.
– Facile moi je réfléchis par rapport aux différents médecins qui viennent.
– Mais qu’est ce que tu me racontes toi.
– Bah écoute s’ils s’occupent de nous c’est qu’ils dorment aux bons moments donc quand c’est le docteur qui vient c’est qu’on est le jour et quand c’est la doctoresse c’est qu’on est la nuit.
– Non je crois que t’as pas compris, il n’y a personne ici, pas de médecins, pas de cuisiniers, pas de personnes qui lavent les vitres ni même les couloirs, on est absolument seul. On est dans un lieu qu’avec des fous pour le restant de notre vie.