Paris, le 21 juillet 2050.
Après de longues semaines, enfermée dans ma chambre, me voilà enfin libre de pouvoir à nouveau sentir l’air frais du matin, entendre les oiseaux chanter et voir les enfants jouer ensemble dans le quartier. Depuis mon accident, ma mère ne veut plus que je sorte, par peur de me faire renverser à nouveau. Après tant de difficultés à lui dire que tout allait bien se passer et que je ferai attention, elle a fini par accepter de me laisser sortir jusqu’à une heure raisonnable.
Aujourd’hui, je me sens libre, je cours sur l’herbe et cueille des fleurs pour ma mère. Je pense avoir retrouvé un peu près la même vie que j’avais avant cet accident… Au soir, à l’heure du dîner, on regarde toujours les infos. Rien de nouveau depuis deux semaines. Ça ne parle que de politique. Cette fois-ci, le sujet attire différemment l’attention de mes parents, ce qui m’inquiète car je ne les ai jamais vus aussi concentrés sur le petit écran. Tout ce que je comprends, ce sont les mots : virus, morts et contaminations. Rien de vraiment joyeux. Je vois mon père marmonner quelques mots à ma mère, celle-ci se tourne vers moi et me dit :
– Agathe ? J’aimerais qu’à l’avenir quand tu sors, que tu fasses très attention s’il te plait.
J’écoute très attentivement ce qu’elle me dit. Je suis surprise par le fait que même avec un virus, elle me laisse quand même la possibilité de sortir. Enfin soit… Encore une chance qu’elle me laisse sortir, je veux profiter pleinement de mes vacances avant de rentrer à l’université.
Une semaine après l’annonce du virus à la télé, mes parents sont de plus en plus anxieux. Ça se voit à leur comportement et ils ne peuvent pas me le cacher. Je vois bien que quelque chose ne va pas. Je prends mon courage à deux mains et je leur explique que je vois bien qu’un truc cloche et que je veux être mise au courant si quelque chose ne va pas. Mon père prend la parole avant ma mère. Il s’interrompt quelques secondes et m’annonce :
– Le virus est arrivé ici, en France, et cause déjà énormément de dégâts, déjà plus de mille morts en même pas troisjour Le gouvernement est occupé à prendre les mesures nécessaires pour nous protéger.
Je regarde ma mère qui regarde mon père. Alors là, je ne pensais pas que ça allait être aussi grave, je veux juste retrouver une vie comme auparavant. Depuis mon accident, je suis restée dans mon lit à compter les jours qui passaient et à espérer pouvoir sortir un jour de cette chambre… Et maintenant, ce virus venant de Chine est arrivé en France et fait des milliers de victimes. Ma mère dit que demain soir, on annoncera les mesures qui vont être prises. J’espère qu’ils réussiront à maîtriser la situation.
Je décide de sortir et de prendre mon vélo pour aller faire le tour du quartier, histoire de me changer les idées. Ni une ni deux, je tourne dans un petit chemin qui mène vers l’imposante maison de ma grand-mère. Je suis restée enfermée de longues semaines et la voir me serait du plus grand réconfort. Et qui sait ? C’est peut-être la dernière fois que je la vois après l’annonce de cette pandémie.
Après lui avoir tenu compagnie deux, trois heures, je reprends la route pour regagner la maison à temps et entendre les mesures prises contre le virus.
Je m’assois dans le fauteuil et tends l’oreille afin de ne rien perdre des infos. Nous apprenons qu’à partir de maintenant, nous allons devoir sortir avec des masques en tissu, nous devrons les porter dès que nous sommes à l’extérieur et si on venait à les retirer dans un lieu public, ce serait une amende. Par la suite, la journaliste annonce que nous ne pourrons plus inviter autant de personnes que par le passé, chez nous. Nous pourrons être maximum dix dans une maison mais le pire, c’est qu’ils vont fermer les restaurants, les cinémas et encore plein d’endroits où j’avais prévu d’aller pendant les vacances. Maudit sois-tu, virus ! Cette nouvelle m’a complètement gâché mes vacances.
Aujourd’hui, c’est ma rentrée à l’université. Malheureusement, le virus sévit toujours et ne fait qu’empirer. Le nombre de personnes hospitalisées et de décès continuent d’augmenter. Certains hôpitaux n’ont plus de place pour accueillir de nouveaux patients. Moi qui pensais que ça n’allait pas s’aggraver, que grâce aux mesures prises, tout allait rentrer dans l’ordre… C’était sans tenir compte de certains citoyens qui ont décidé de ne pas respecter les règles… Et voilà que maintenant, on se retrouve avec dix mille morts en tout, et plus de cinq mille personnes hospitalisées.
J’aurais tellement voulu une rentrée universitaire inoubliable. Avec mon masque devant la bouche et le nez, je dois resterà un mètre cinquante des autres étudiants. J’essaye tout de même de reconnaître quelques-uns de mes amis même si avec un demi-visage, c’est un peu compliqué ! J’arrive tout de même à identifier mon meilleur ami, Thim, et ma meilleure amie, Alice. Malheureusement pour Alice, le virus lui a pris sa cousine qui est décédée en août ; quant à Thim, rien ne lui est arrivé et sa famille se porte bien.
Deux mois après l’apparition de ce mal, plus rien n’est comme avant : les rues sont vides ; on ne voit plus grand monde et le silence règne sur Paris. On peut dire que la ville s’est endormie. En passant dans les rues, les restaurants et cafés sont déserts comme s’il y avait eu l’apocalypse.
La situation est très pénible pour mes parents qui adorent voyager : dès la prise des mesures de sécurité, les journalistes ont annoncé que les avions resteraient cloués au sol et que personne ne partirait en vacances cette année. Mais le pire, c’est que ce n’est pas près de s’arrêter. D’après ce que j’ai entendu hier à la télé, les décideurs vont durcir le protocole. Les masques en tissu vont être remplacés par des masques FFP3 ; nous ne pourrons plus inviter personne chez nous, excepté quelques membres de notre famille. En clair, rien de très bon pour l’avenir.
Aujourd’hui, c’est le solstice d’hiver. Tout est tranquille. La veille, nous avons appris que ma grand-mère venait d’être hospitalisée, car elle a été contaminée. Nous attendons tous l’appel de l’hôpital pour savoir si, oui ou non, nous pouvons lui rendre visite. Tout à coup, le téléphone sonne. Mon père s’empresse de décrocher. Il commence à discuter avec le docteur. La conversation est longue, très longue. Il raccroche et nous regarde. Il s’apprête à dire quelque chose, mais se ravise aussitôt. Il prend précipitamment ses chaussures. Ma mère et moi comprenons directement que nous devons faire pareil. Nous montons dans la voiture. Mon père prend le volant et nous partons à toute vitesse vers l’hôpital. Une fois arrivés, nous demandons à la réception la chambre de ma grand-mère et nous nous dirigeons vers le long couloir des chambres. Je n’ai jamais vraiment aimé les hôpitaux, ça m’a toujours fait froid dans le dos. Mes parents sont loin devant moi. Je n’arrive pas à marcher à leur rythme.
En longeant toutes ces chambres, je lis le nom des patients qui les occupent. Une porte attire cependant mon regard, elle est à moitié ouverte. Ma curiosité prend le dessus et je passe la tête pour pouvoir jeter un coup d’œil. J’inspecte la pièce etj’aperçois une jeune fille couchée sur un lit branchée à des machines. Le champ est libre. J’entre d’un pas déterminé et je m’approche d’elle. Je constate qu’elle et moi avons une très grande ressemblance. Je décide d’aller m’asseoir à côté d’elle pour pouvoir l’observer de plus près. En scrutant son visage, je remarque qu’elle a exactement les mêmes traits de visage que moi. On dirait ma sœur jumelle. Au loin, j’entends des personnes se rapprocher de la pièce. Je décide alors de m’en aller… Encore une chose : quel est le nom inscrit sur son bracelet ? En touchant sa main, je me réveille d’un coup. En regardant autour de moi, je vois que je suis branchée à plein de machines. Je suis assez surprise de voir que je me trouve précisément dans la même chambre que cette fille.
En tournant la tête, je vois ma mère qui se ronge les ongles. Mais ce qui m’intrigue le plus, c’est qu’elle ne porte pas son masque. À côté d’elle, je vois mon père qui est en train de dormir, sans son masque lui aussi. Ma mère tourne la tête vers moi et écarquille les yeux tout rouges et gonflés. Elle réveille mon père qui se lève d’un coup et se précipite vers moi. Il me regarde et me dit avec de l’eau dans le regard :
– Tu es enfin réveillée !
Je ne comprends pas la réaction de mon père, je ne dormais pas pourtant ? Ma mère s’approche de moi et me prend dans ses bras. Puis, ils reculent tous les deux, alors je leur demande :
– Où sont vos masques ? Vous allez avoir une amende si vous ne les portez pas !
Ils me regardent tous les deux confus.
– De quoi parles-tu ? rétorque ma mère.
Je ne comprends plus rien, je leur explique que le virus est toujours là et qu’on est censé porter des masques, mais aucun d’eux n’a l’air de me prendre au sérieux. Le docteur entre dans la chambre et me dit :
– Alors Agathe, comment te sens-tu ?
Étrangement, lui non plus ne porte pas de masque. Je lui réponds que je vais bien mais que je ne comprends pas ce qu’il se passe. Il prend une grande inspiration et m’explique :
– C’est normal, après ton accident, nous avons dû te plonger dans un coma pour que tu ne souffres pas. D’ici à deux mois, tu vas rentrer à l’université, il faudra que tu te remettes sur pied avant le grand jour.
Alors, depuis mon accident, j’étais dans le coma ? Les mois que je viens de passer n’étaient tout simplement pas réels ? Pourtant, tout semblait si vrai…