Ne pas exprimer ses émotions, ne rien ressentir, voilà à quoi est vouée la vie d’un jeune garçon d’à peine 14 ans. Son prénom est Gabriel et aujourd’hui, le 27 mai 3023, il se rend au travail.
Il vit dans une ville où il n’y a que des garçons. Là-bas, tout est contrôlé : avoir des émotions ou des sentiments peut être un motif d’embarquement. En effet, dans cette ville, les garçons n’ont pas le droit de ressentir quoi que ce soit. Les enfants naissent tous en laboratoire. De leur naissance à leurs 7 ans, ils sont placés dans des centres où on leur lave le cerveau pour qu’ils ne ressentent plus rien. De 7 à 12 ans, ils ne vont pas à l’école; ils apprennent leur futur métier. A partir de 9 ans, les enfants vivent seuls. De 13 ans jusqu’à la fin de leur vie, ils travaillent. Ce train de vie est très épuisant surtout qu’ils n’ont pas le droit d’interagir avec les autres à part dans un but strictement professionnel. Ce cadre mène à beaucoup de morts par manque de contacts sociaux.
En ce qui concerne Gabriel, c’est très compliqué car, pour lui et certaines personnes, le lavage de cerveau n’a pas fonctionné. Il ressent plein de choses: parfois, il a envie de pleurer, de rigoler et d’aimer.
Un jour, après le boulot, il va faire des courses. Pour payer, il scanne comme d’habitude la puce insérée dans son bras. Tout à coup, par la fenêtre du magasin, il voit un homme se faire embarquer car il rigole à pleins poumons. Chez lui aussi, le lavage de cerveau n’a pas fonctionné. Mais Gabriel, lui, n’a jamais rigolé. Il sourit à son miroir parfois dans sa salle de bain mais rien de plus; il a trop peur de se faire embarquer aussi. La semaine dernière, il a encore entendu qu’un enfant s’est fait embarquer à son domicile car il pleurait. Celui-ci avait été dénoncé par un de ses voisins qui l’entendait de chez lui. Des histoires comme ça, il y en a toutes les heures.
Gabriel se sent de plus en plus mal de ne pas pouvoir exprimer ce qu’il ressent. Dans la ville, se répandent beaucoup d’histoire que les gens écrivent, beaucoup de rumeurs sur le monde extérieur. Mais sa préférée est celle d’une ville où femmes et hommes sont ensemble, où chacun peut exprimer ses émotions sans se faire prendre. Rien que d’imaginer une potentielle ville de ce genre lui redonne l’énergie de continuer. Des fois, il se met à imaginer comment est leur vie et comment les gens doivent être heureux là-bas. Malheureusement, il n’y est pas.
Un jour, en pleine ville, Gabriel se met à pleurer; il ne sait pas pourquoi mais c’est une délivrance et, à ce moment-là, il se fait embarquer.
Trou noir. Il entend du coin de l’oreille un bourdonnement, se réveille et ressent un soulagement profond à l’idée que cette ville n’a jamais existé…