Il ne reste plus que trois jours avant la fête nationale, j’attends ce jour depuis si longtemps. Je sais ce que vous allez vous dire, mais pourquoi un adolescent de 18 ans serait aussi enthousiaste pour une fête nationale ? Tout simplement parce que c’est le seul jour où je peux voir Stéphanie. Je l’ai rencontrée il y a deux ans le 21 juillet, nos chemins n’étaient pas censés se croiser mais c’est pourtant précisément ce qui s’est passé.
Je me rappellerai à jamais le jour où je l’ai vue pour la première fois ; il faisait très sombre dehors, plus que les autres nuits. César m’avait obligé de l’accompagner à une soirée alors que je voulais rester chez moi à regarder des séries et jouer à la console mais non, mon très cher ami avait d’autres projets pour moi. Je n’étais pas enjoué à l’idée de passer ma soirée à sociabiliser et me bourrer la gueule pour me retrouver le lendemain avec un mal de tête intenable. César était le genre d’ami qui faisait croire qu’on a le choix, une possibilité de refuser sa proposition alors que pas du tout : il sollicitait par politesse mais sous-entendait que la décision ne nous appartenait pas. Il n’a pas changé : encore hier il a réussi à me trainer jusqu’à un bar pour faire « un repérage », on est resté assis à regarder les filles comme des pervers sans jamais leur adresser la parole.
Retour à mon histoire. Ce soir-là, je suis arrivé aux côtés de César et je me suis vite éclipsé. J’ai pris une canette de bière et me suis échappé par la porte qui donne sur le jardin. C’est avec surprise que j’ai trouvé Céline, assise sur le sol à regarder le ciel. Depuis que je la connais, c’est vers elle que je me tourne pour parler de sujet sérieux comme ce que je ressens, car soyons honnête, César est un super ami mais seulement quand il s’agit de faire la fête et de déconner ; sinon quand il faut être un peu sérieux, il essaye le plus souvent d’éviter les discussions profondes. Cette nuit-là le ciel était couvert d’étoiles, on n’avait jamais vu un ciel aussi étoilé, alors je comprenais pourquoi Céline s’était écartée de la fête pour l’admirer. Je me suis assis à côté d’elle.
Ça faisait longtemps qu’on était là en silence, le menton vers le ciel à profiter du spectacle qui se déroulait devant nos yeux. J’avais déjà vu de tels ciels avant mais celui-ci battait des records, on aurait dit que c’était irréel. Les étoiles me paraissaient si proches que quand je levais mon doigt vers l’une d’elles, j’avais l’impression que je pouvais la prendre dans la main. Mais il n’y avait pas que les étoiles qui étaient étranges : le ciel en général était bizarre. Après un certain temps, j’ai vu comme une étincelle alors j’ai tapoté le bras de Céline pour attirer son attention et quand je lui ai montré l’endroit où l’étincelle était apparue et que je lui ai demandé si elle aussi l’avait aperçue elle m’a répondu que non, elle n’avait rien distingué- même si elle ne portait pas ses lunettes – et que c’était sûrement une étoile filante ou quelque chose dans le genre. Même si la plupart du temps elle avait raison, je ressentais au fond de moi qu’elle avait tort et que ce que j’avais vu était bien réel.
J’en avais marre de rester là, à me poser des milliers de questions sur ce que je pensais avoir vu. Je voulais vérifier si j’étais devenu fou ou si, au contraire, je venais de faire une découverte. Toutes ces interrogations m’avaient donné mal à la tête, ou bien c’était la bière que j’avais ingurgitée alors que je n’avais rien mangé. En tout cas j’avais assez mal pour décider de rentrer chez moi. Au chemin du retour les rues étaient si silencieuses qu’on aurait pu croire que la ville était inhabitée. Il ne me restait qu’une centaine de mètres avant d’arriver quand j’ai vu au bout de la rue une silhouette qui doucement avançait vers moi. J’hésitais entre retourner d’où je venais ou bien me rapprocher. Je ne sais pas si c’est l’effet de l’alcool qui coulait dans mes veines qui m’a influencé mais ce dont je suis sûr c’est que je n’avais pas l’intention de me rapprocher de la silhouette ; pourtant c’est ce que j’ai fait.
Plus je m’avançais, plus j’arrivais à reconnaître quelques traits physiques de cette mystérieuse personne. Elle avait l’air d’être aussi grande que moi, malheureusement je n’arrivais pas à voir son visage, car l’inconnu baissait sa tête. Quand il ne resta plus qu’un mètre entre nous, elle s’arrêta et leva la tête. Elle avait l’air effrayée comme si on lui avait donné la peur de sa vie. Curieux mais aussi inquiet pour elle, je devais lui demander ce qu’elle avait. Elle me dit qu’elle se rappelait avoir regardé un feu d’artifices avec des amis et qu’au début les feux n’allaient pas très haut, jusqu’à ce qu’un des feux aille si loin dans le ciel qu’elle ne pût voir qu’une petite étincelle. Quand elle eut prononcé ce mot, j’eus des frissons. Et si elle aussi avait assisté à l’apparition de cette étincelle et qu’elle avait cru voir le feu d’artifice à la place ? Cela voulait dire que je n’avais pas rêvé. Elle me dit aussi qu’après avoir constaté l’étincelle, elle n’a rien observé d’autre et s’était retrouvée au beau milieu de cette rue.
Ce soir-là je ne suis pas rentré à la maison, au lieu de ça j’ai passé toute la nuit à parler avec Stéphanie, elle me racontait ce qu’elle aimait faire et moi j’écoutais attentivement. Je n’avais pas remarqué que nous étions assis sur le banc d’un parc pendant plus de quatre heures. Ce qui me l’a rappelé c’est la nuance de rose, orange et rouge qui doucement se faisait de plus en plus présente. Le soleil se levait et je n’étais toujours pas rentré. Mes parents me gronderaient pendant au moins deux heures. J’avais été puni mais ça ne me dérangeait pas parce que je n’avais pas passé un moment aussi agréable depuis des lustres.
Étant donné que je ne pouvais sortir de la maison, je n’ai pas pu croiser Stéphanie dans les jours qui ont suivi notre rencontre, mais je voulais absolument la revoir. Alors comme tout bon adolescent, je suis allé voir sur les réseaux sociaux Stéphanie Dupont mais je n’ai rien trouvé, absolument rien. Pourtant elle m’avait dit qu’elle avait les réseaux, je me rappelais qu’elle m’avait parlé d’une influenceuse qu’elle aimait beaucoup et qui lui avait donné envie de devenir styliste même si ses parents n’étaient pas d’accord. Alors pourquoi je ne l’avais pas trouvée ? Est-ce qu’elle m’avait menti sur son nom ? Et si elle m’avait menti sur toute la ligne ? Non ce n’était pas possible, j’avais le sentiment qu’on était devenu très proches assez rapidement comme si on était des amis de longue date.
Pour oublier cet évènement aussi bizarre qu’appréciable, j’avais pour but de trouver les réponses à mes questions sur l’étincelle que Stéphanie et moi avions vue, ce ne pouvait pas être une coïncidence. Maman travaillait dans une bibliothèque à cette époque. Grâce à son badge d’employé, j’avais l’accès à tous les livres et pas seulement à ceux qui étaient sur les étagères, mais aussi à ceux qui étaient cachés dans le sous-sol. Je n’aimais pas lire, ce n’était pas fait pour moi, je n’avais pas la patience de finir le livre pour savoir comment l’intrigue se terminait. Mais depuis que j’avais commencé à effectuer mes recherches, je n’avais jamais autant lu sans être impatient de connaitre la fin. Si mon professeur de français m’avait vu aller tous les soirs et même le weekend à la bibliothèque, il aurait été fier. Je lisais principalement des livres qui parlaient des étoiles, du ciel et des anomalies qui ont déjà eu lieu et qu’on n’a pu expliquer. Plusieurs jours s’étaient écoulés et j’étais sur le point d’abandonner, j’avais perdu tout espoir de trouver une explication raisonnable, j’étais à deux doigts d’en inventer une pour ne plus devoir chercher.
J’avais fermé le dernier livre de la pile que je devais lire quand au fond de la pièce je remarquai un petit livre noir : on aurait plutôt dit un carnet de notes mais plus personne n’utilisait ce genre de support pour écrire. A l’intérieur se trouvait le trésor à la recherche duquel j’étais depuis bien trop longtemps. – Il y avait de cela cinquante ans, une guerre nucléaire débuta entre les grandes puissances de l’époque, plus de deux milliards de morts avaient été déclarés. Après cette guerre, les survivants ont décidé de construire des dômes au-dessus de plusieurs parcelles de terre. Dans le carnet se trouvaient des plans de ces fameux dômes. J’avais donc conclu que l’auteur de ce carnet faisait partie de l’équipe qui devait penser à la forme, la construction des géants de verre. En continuant ma lecture, je m’étais rendu compte que les dômes ne seraient pas en verre mais en champ magnétique qui saurait contrer les bombes nucléaires.
Le 21 juillet arriva plus vite que je ne le pensais. J’étais retourné à la même rue où je l’avais rencontrée en espérant qu’elle revienne elle aussi à cet endroit. J’avais dû attendre un certain moment au point où j’entendais déjà les feux d’artifice. Au dernier lancement de feu, une sorte d’éclair était apparu sur le béton, sa lumière était si éblouissante que je n’arrivais pas à voir correctement pendant un court instant. Et quand ma vue était revenue à la normale, je la vis au loin : on aurait dit que l’on revivait la même scène. J’ai couru vers elle et elle a fait de même, j’étais soulagé car cela voulait dire qu’elle se souvenait de moi. On est retourné s’assoir au même banc, et je lui ai tout raconté, la guerre nucléaire, les dômes et tout ce qui me revenait en tête, j’ai tout sorti.
Depuis ce jour, Julien et Stéphanie n’ont jamais compris pourquoi ils se rencontrent seulement une fois l’année après le dernier envoi de feu d’artifice le jour de la fête nationale. Ils ne découvriront pas non plus que l’étincelle qu’ils ont vue était le seul point qui reliait leurs dômes respectifs, ils ne sauront pas que cette étincelle permettait à Stéphanie d’entrer dans le dôme de Julien.