Le plus dangereux, c’est de ne pas savoir…
L’air était frais sur mon visage, j’avais oublié ma cagoule en partant ce matin. J’emprunte le chemin le plus long pour me rendre au marché. Ainsi j’ai le temps de rêver, d’imaginer un meilleur monde où ma sœur serait encore en vie.
Je n’ai pas su la protéger et cette idée me hante chaque jour, jamais je ne réussirai à me le pardonner. Elle était si jeune et si courageuse alors que moi je ne suis qu’un lâche et un peureux. C’est moi qui aurais dû mourir pas elle.
Sans m’en rendre compte, j’avais commencé à courir. La course me permet de ne pas exploser et de rester en forme. Ici, si tu es faible tu crèves!
Le marché est presque vide à cette heure-ci, je m’arrête un instant pour reprendre mon souffle et me calmer. Je fais abstraction de ce qu’il y a autour et respire profondément pour calmer ma colère.
Soudainement, je me sens propulsé sur le côté, ma colère revient au triple galop. Je me redresse pour crier sur mon assaillant, mais en réalité, ce dernier m’a sauvé. Des chars militaires fonçaient sur l’endroit où j’étais trois secondes plus tôt. Je ne peux voir son visage car un masque le recouvre, il porte également une combinaison noire avec une grande capuche. Seuls ses yeux sont visibles. Nos regards se croisent pendant un instant puis il se retourne pour contrer le coup d’un gardien. Je ne peux m’empêcher de le regarder se battre, il a une de ces forces et est très agile aussi.
Il me fait penser à ma sœur, si courageuse qui fonce et qui n’écoute que son instinct. Mon sauveur masqué est bien meilleur que les gardiens, il les met K.O. assez facilement. D’autres arrivent en renfort et rapidement, ils sont cinq. Mon sauveur continue de se débattre de toutes ses forces malheureusement, ils arrivent à le maitriser. Pour une fois, je n’écoute que mon courage , j’oublie ma peur et je cours pour l’aider, pour ma sœur.
Des gardiens viennent me maitriser aussi et dans le chaos son masque tombe. Je bloque pendant un moment qui me semble être une éternité. Ses yeux d’un bleu azur et son incroyable force m’avaient déjà impressionné mais là, j’étais sans voix. Son visage est d’une délicate beauté, ses lèvres ont l’air délicieuses et cette rage, cette force dans ce regard ne laissent personne de marbre. On devine un tempérament de feu. Mon sauveur est en fait une fille!
L’adrénaline est retombée et je réalise l’horreur de la situation, je suis actuellement en prison pour avoir attaqué des gardiens avec une fille qui m’est inconnue. Elle a beau être la fille la plus extraordinaire que j’aie jamais rencontré et m’avoir sauvé la vie, je ne la connais pas. Et voilà la peur qui revient me hanter, il n’y a rien à faire, jamais je ne serai comme ma sœur.
La jeune fille revient après plusieurs heures de torture. Elle est couverte de sang pourtant pas une fois je ne l’ai entendue crier. Son regard est glacial, il y a toujours cette rage mais accompagnée d’une dangereuse étincelle. Celle de la vengeance!
Cette fille m’attire autant qu’elle me terrorise. Depuis qu’elle est revenue, elle n’a pas dit un mot. Elle fixe le gardien et il a l’air aussi effrayé que moi.
Quelqu’un arrive, naïf que je suis, je pensais qu’il venait me libérer. Mais il annonce que nous serons exécutés le lendemain car attaquer un gardien, c’est attaquer le Pouvoir. Ce qui est le plus grand crime que l’on puisse commettre, la plus haute trahison.
J’essaie d’expliquer que ce n’était pas mon intention mais il n’écoute même pas et s’en va avec l’autre gardien.
La fille qui n’avait pas dit un mot jusqu’ici parle pour la première fois.
« Qu’est-ce que tu croyais, que le Pouvoir est comme le peuple, qu’ils font tout pour nous dans notre intérêt et qu’ils vivent dans les mêmes conditions que nous? »
J’ai envie de dire oui mais je vois à sa tête que ce n’est pas la bonne réponse. Je préfère donc me taire.
« Je croyais que tu étais différent, mais tu es comme les autres, faible et manipulé. »
J’ai gardé le silence car au fond de moi je savais qu’elle avait raison.
Je finis par tomber de fatigue quand une détonation retentit faisant exploser le toit de notre cellule. Des personnes sont descendues et nous ont emmenés. J’étais encore trop abasourdi par l’explosion pour bien comprendre ce qui arrivait.
La jeune fille m’explique que ce sont des amis à elle et qu’ils sont venus nous sauver.
On a quitté la ville et tout ce que j’avais toujours connu pour arriver devant une immense forêt. J’étais impressionné, jamais je n’avais vu de forêt pareille, il y avait même des animaux.
Au bout du chemin se dressait un immense château à l’ancienne entouré de tellement de sortes de plantes différentes qu’il me faudrait des mois pour toutes les admirer. Une fleur retient mon attention, elle est plus rouge que le sang et est si belle. Les autres s’étonnent que je ne connaisse pas son nom. C’est la première fois que je vois ce genre de plante. C’est une rose rouge.
La jeune fille prend la parole et tout le monde se tait.
« Voilà ce que fait le Pouvoir, il nous prive de connaissance pour pouvoir mieux nous contrôler! Le savoir c’est le pouvoir.” Toutes les personnes présentes l’acclament.
Je ne comprends pas ce qu’elle veut dire.
Elle me fait signe de la suivre et se présente enfin, elle s’appelle Philysse.
J’ai tellement de questions, je ne sais pas par quoi commencer.
Philysse m’explique qu’ils sont des rebelles et qu’ici c’est leur repère mais que tout le monde y est le bienvenu. Leur but est de détruire le Pouvoir.
Selon eux, le Pouvoir nous maintient dans la pauvreté et l’ignorance pour que l’on ne puisse pas se rebeller ainsi sans le Pouvoir nous ne sommes pas capables de survivre. Ils font en sorte que l’on ait besoin d’eux pour pouvoir continuer à nous exploiter.
Plus je reste avec Phylisse plus je suis convaincu qu’elle a raison.
Je passe beaucoup de temps à discuter avec elle, à apprendre à mieux la connaître. Je lui ai demandé comment elle faisait pour être aussi courageuse et forte. Elle m’a répondu ceci : » Arrête-toi un instant, reconnais que le présent est un vrai bain de sang.
Apprécie les moments passés, car le temps t’est compté.
Aie le cran de te rebeller, au lieu de te faire manipuler.
Apprends à bâtir, plutôt que tout détruire.
Sois effrayé car la mort est là à te guetter.”
Ce sont les derrières paroles d’une personne qui a beaucoup compté pour elle.
Elle m’explique que ça veut dire qu’il faut voir la réalité en face et apprécier chaque moment. Qu’il faut prendre ses propres décisions, construire le monde qui nous entoure et que l’on devrait avoir peur de la mort car elle est partout.
Elle essaie d’appliquer ça à chaque moment de sa vie.
Pendant tout le temps que nous avons passé ensemble, nous nous sommes beaucoup rapprochés. J’ai appris à mieux la connaître. Je tiens vraiment à elle maintenant, je ne supporterais pas de la perdre.
Chaque fois qu’elle part en mission je m’inquiète jusqu’à ce qu’elle rentre saine et sauve.
Le lendemain, elle repart pour la ville avec une équipe pour ce qui devrait être leur dernière mission.
Ils ont pour but de détruire le Pouvoir une bonne fois pour toutes.
J’ai essayé de la convaincre de rester mais rien à faire, c’est une guerrière elle est comme ça.
J’ai donc pris la décision de partir avec elle.
Toute l’équipe se réunit avant le départ. Phylisse constate ma présence et n’est pas ravie. Comme je m’en doutais, elle a peur pour moi mais je lui confirme que tout ira bien. On s’embrasse en public pour la première fois et on démarre sans commentaire.
Une fois sur place, le plan est simple. Il faut s’infiltrer sans être démasqué, neutraliser tous leurs moyens de défense et rassembler tous les membres du Pouvoir dans une salle pour pouvoir les tuer.
Cependant les choses ne se sont pas passées comme prévu. Phylisse a pu éliminer celui qui tenait toutes les ficelles mais leurs moyens de défense étaient trop puissants et leurs gardes trop nombreux. L’équipe a rapidement été décimée. Nous n’étions plus que nous deux. La mission était un échec, il fallait vite qu’on quitte les lieux. On réussit enfin à sortir du bâtiment quand des gardiens me tombent dessus. Je crie pour la prévenir de courir mais un gardien pointe une arme sur ma tempe et menace de me tuer si elle ne se rend pas. Je plonge mes yeux dans son regard, j’avais toujours réussi à lire ces émotions mais là il n’y avait rien à lire. Ils étaient aussi froids que la crosse du canon sur ma tempe par ces températures hivernales. Elle n’avait plus le contrôle de la situation, son pire cauchemar.
Elle poussa alors un hurlement à réveiller les morts et dit une phrase qui a résonné en moi pendant des heures: “Pour tous ceux qui aiment, il y a toujours quelque chose à perdre.”
Et une détonation a retenti…
Je bondis ne suivant personne d’autre que mon instinct comme le jour de notre rencontre.
Je rattrape son corps sans vie avant qu’il ne touche le sol.
Elle avait toujours refusé d’aimer quelqu’un pour ne jamais devoir subir la douleur de sa perte. Avec moi elle avait pris le risque mais elle a préféré partir plutôt que devoir continuer sans moi.
Je n’ai pas eu ce courage mais je suis quand même mort avec elle ce jour-là. Les gardiens m’ont enfermé espérant obtenir des infos mais je n’étais plus qu’une coquille vide. Je suis brisé, je n’attends plus que la mort vienne me chercher. Phylisse était la seule qui pouvait me donner la force de me battre. Mais cette personne est morte avec elle.
Le Pouvoir a été remis sur pied et la rébellion anéantie par la mort de celle qui l’avait inspirée.
Le peuple nous a détestés, son esprit rempli de mensonges inventés de toutes pièces.
Phylisse avait raison: le savoir c’est le pouvoir et ça le Pouvoir l’avait bien compris. Il manipule la population en ne lui disant rien pour qu’elle reste ignorante. Le savoir est une arme qu’il sait trop bien utiliser, nous avons essayé de nous opposer mais nous ne savions pas tout et nous avons perdu.
Qui ici sait vraiment…?