La veille de son vingt-septième anniversaire, Emile se bat. La guerre est présente depuis son enfance. Il la connaît. Dans les récits du front de son père. Durant son adolescence à l’occasion des escalades de tensions entre les pays voisins. A l’âge adulte lorsque l’état d’alerte est lancé partout dans le pays. La guerre est déclarée, il est réquisitionné par l’armée. Contre qui se bat-il exactement ? Il l’ignore. Malgré cela, il sait pourquoi il combat, pour l’avenir. Il sait qu’il se bat chaque jour pour offrir un futur aux enfants de son pays, pour les sortir de la peur perpétuelle, de la famine, de la crise.
Un mot insensé, un ordre étonnant, un geste absurde, un choix déraisonnable. Son commandant, le Général Frieds, celui qui l’a formé, celui pour qui il donnerait sa vie, devient fou. Les atrocités de la guerre lui font perdre la tête. Il n’a plus la raison et ne dirige plus correctement son régiment. Il était pourtant un soldat réputé durant sa jeunesse. Médaillé à plusieurs reprises, il reçut les félicitations des plus grands en récompense de ses actes de bravoure. Emile l’admire depuis qu’il l’a vu prendre les bonnes décisions pour diriger ses alliés vers la victoire. Ainsi que lorsqu’il a combattu à ses côtés, observé ses prouesses en tactique militaire et bravoure au combat. Malheureusement, les monstruosités dont il a été témoin ont provoqué, chez cet homme qui aurait sacrifié son existence pour la patrie, un drastique bouleversement. Une unique chose le tient encore sur ses deux pieds : sauver sa peau. Les pensées du général n’ont plus qu’un seul objectif, rester en vie, quitte à sacrifier celle de ses hommes et son pays. C’est à un tel point qu’il a volontairement ordonné la retraite et abandonné des compagnons pour fuir alors qu’ils étaient en position de force. Et ce à de nombreuses reprises. S’il continue ainsi, leur avantage sur l’adversaire sera perdu.
La rumeur d’une invasion ennemie se répand maintenant dans les rangs et tout le bataillon se tient aux aguets. Les soldats n’attendent qu’une chose, les ordres du commandant. Les heures passent, et toujours rien. Il se terre dans ses quartiers et ses sujets ne savent pas quoi faire.
Une idée traverse l’esprit d’Emile. Et s’il remplaçait son commandant et dirigeait le régiment ? Et s’il prenait la place de son mentor ?
Toujours aucun signe de vie du général, la tête du jeune soldat bourdonne. Les minutes s’égrènent. Que faire ? Comment le faire ? Il hésite, doit-il tenter de le raisonner ou agir par la force ?
Emile se tient devant la tente du commandant, ce dernier sort. Sans un mot, l’homme en tenue officielle avance. Il va fuir. Le chef d’apprête à déserter. Emile le sait, mais il hésite encore. Le moteur rugit, le général, déterminé, avance vers son véhicule. Le jeune soldat dégaine son arme, hésite, vise, hésite à nouveau, respire, tire.
Le cœur d’Emile s’emplit instantanément de tristesse. Il vient d’éliminer l’homme qu’il admirait tant d’une balle dans le dos. Oui il a agi pour le bien de son régiment, mais les remords sont bien là.
Au loin un murmure. Des voix s’élèvent pour défendre l’acte courageux d’Emile, d’autres pleurent le leader perdu et appellent déjà à la vengeance.
Le bruit assourdissant du débarquement ennemi se fait alors entendre. Sans réfléchir, guidé par son instinct et son esprit patriote, Emile prend les commandes et prépare la défense. Les ordres du nouveau général sont suivis à la lettre, l’offensive est éclatante, à l’image des plus grandes batailles de Frieds.
L’heure est à la fête. Le Général Emile et son régiment célèbrent la victoire. On se remémore la journée en rejouant les moments de gloire entre deux accolades échangées. Une voiture s’approche. Pas n’importe quelle voiture. Celle de la brigade chargée de corriger les soldats dissidents. La justice.
Le sang d’Emile se glace. Que doit-il faire, fuir ou rester ? Que vont-ils faire, l’emprisonner ou l’acquitter ?
Les hommes en costume s’avancent le visage fermé et impartial comme ce qu’ils incarnent. Emile sert la gorge, déglutit, se redresse, attend leur arrivée.