-”Bonjour Madame Meyer ! “
-”Bonjour Monsieur Guillaume, comment allez-vous depuis notre dernière séance ?”
-”Ça ne va pas mieux, je fais toujours ce même rêve. Je me promène dans le bois où j’allais toujours étant petit, je le connaissais par cœur mais là, dans mon rêve je n’ai plus aucun repère. Je suis perdu. Je me mets à courir jusqu’à apercevoir un oiseau qui, lui, m’est familier. Je le suis et mon état de stress commence à descendre, il m’apaise, du coup je ne le lâche pas du regard. Soudain, il disparaît et il y a du sang partout, même sur moi. Qu’est-ce que cela veut dire Mme Meyer ?”
-”Eh bien M. Guillaume, nous allons essayer de le découvrir ensemble”
Guillaume consulte Madame Meyer, sa thérapeute, chaque mardi depuis un mois. Cette prise de rendez-vous n’est pas son initiative mais celle de son patron.
Guillaume travaille dans une société d’assurances où il occupe un poste de responsable informatique. Depuis quelques temps, il n’est plus très bien vu de ses collègues, ils le traitent de bizarre, de stressé et d’insensé. Son patron, M. Dulran, qui se soucie de son personnel, lui a demandé de prendre rendez-vous chez une psy, Mme Meyer, une fois par semaine.
Au départ, Guillaume n’était pas emballé par ces séances car, pour lui, créer des interactions sociales est une épreuve.
Devoir rencontrer une nouvelle personne et lui parler de lui, bah… c’est un peu comme demander à un ours de passer par une chatière. Mais quand Guillaume a aperçu Mme Meyer pour la première fois, son angoisse était différente. La douceur, le calme et la beauté de Mme Meyer avait éveillé chez lui, une certaine confiance en lui.
Quelques minutes ont suffi à Mme Meyer pour comprendre que Guillaume était atteint du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme qui affecte ses capacités sociales mais
qui lui procure une intelligence qui sort de l’ordinaire. Sa façon d’appréhender un problème ou un événement est extrêmement innovatrice. Parfois, il est le seul à pouvoir trouver une réponse. C’est une qualité que son patron sait apprécier.
Durant la première séance, Madame Meyer a demandé un peu innocemment à Guillaume ;
– “Comment te sens-tu ?” Elle s’attendait à une réponse comme « ça va » mais Guillaume l’étonna par sa réponse : « peu importe » dit-il.
– “peu importe ?” répondit Mme Meyer
– “Oui, peu importe, il n’y a pas de bonne réponse de toute façon.”
– “La bonne réponse c’est ce que tu ressens Guillaume.”
– “Ce que je ressens moi ? envers qui ?”
– “Eh bien… envers toi Guillaume”
– “On ne m’a jamais posé la question. Mais je peux essayer ! : Qu’est-ce que je ressens ? Eh bien pas grand-chose…Peut-être de la pitié…Oui, c’est un bon mot ça, pitié.”
– “Et pourquoi avoir choisi ce mot Guillaume ?”
– “Parce que c’est la seule émotion que je peux percevoir sur le visage des autres. Je suis bizarre, je ne dis ou ne fais jamais ce qu’il faut. Si quelque chose ne va pas dans ma vie c’est parce que je l’ai fait de la mauvaise manière. Je vois des détails qui n’ont aucun intérêt pour les autres.”
Durant les séances qui ont suivi, Guillaume n’a plus jamais évoqué ce ressenti, comme si c’était trop douloureux ou comme si c’était tellement évident qu’il ne servait à rien de s’attarder sur ce point.
Durant quelques semaines, Guillaume n’a plus fait ce rêve étrange dans les bois. Les séances chez Mme Meyer semblaient porter leurs fruits. Mais un matin, Guillaume qui travaillait tranquillement à réparer l’ordinateur de Mr Dulran, aperçut soudain une notification de son patron qui provoqua chez lui un état de stress intense à tel point que la nausée lui monta. Pourtant, cette notification n’avait rien de particulier. C’était juste un certain Martin qui disait « Le rendez-vous Place des Vosges tient toujours ? » Ce message ne contenait rien qui puisse provoquer ça chez quelqu’un même si ce quelqu’un était Guillaume. Depuis ce jour, tout a recommencé ; les cauchemars, les angoisses, les visions. Tout le travail accompli avec Mme Meyer semblait anéanti.
Guillaume s’en voulait, il pensa que tout ça était dans sa nature et que ça reviendrait toujours. Mais Mme Meyer n’est pas de cet avis. Pour elle ça n’a rien à voir avec sa maladie ou avec sa nature mais bien avec ce qu’il a vécu -sans doute un traumatisme passé. Mais elle eut beau lui demander, il ne trouva aucun traumatisme qui puisse expliquer tout ce qu’il lui arrive. Pour lui le problème, c’est lui en tant que personne. Un jour, Madame Meyer a emmené Guillaume au parc. Elle savait bien qu’il était très à l’aise en nature. Elle avait raison, Guillaume était tout épanoui, il souriait, était léger et comme fasciné par toute cette vie. Il aurait pu lui parler durant des heures des abeilles ou encore de la richesse minérale des sols. Ils ont parlé des heures, se baladant dans tout le parc.
Ils croisèrent monsieur Dulran à un moment.
-”Oh Guillaume, c’est marrant de se croiser ici. Qu’est-ce que tu fais ?”
-”Je suis en séance”, répondit Guillaume.
-”Oh alors c’est vous madame Meyer ?”
-”En effet” répondit-elle
-”Alors avez- vous découvert son problème ?”
-”Son problème, comment ça ?”
-”Eh bien … Toutes ces visions, elles sont toujours là ? Avez-vous découvert ce qu’elles signifient ?”
-”Premièrement, Guillaume n’a pas de problème et deuxièmement, ce qu’il se passe dans nos séances ne regarde ni vous ni qui que ce soit, répliqua madame Meyer énervée de voir Monsieur Dulran si indiscret… Elle prit monsieur Dulran à part et lui dit ; “Pourquoi dites-vous devant Guillaume qu’il a un problème ? Il se torture déjà assez tout seul.”
-”Qu’est-ce que ça peut faire ? Il ne comprend rien aux gens normaux, c’est un crétin mais j’ai besoin de lui. D’ailleurs je trouverais très intéressant que nous en parlions un jour. On prendra un café et vous m’expliquerez ce que vous avez découvert chez Guillaume.”
-”Pourquoi cela vous intéresserait-il ?” dit madame Meyer.
-”Cela n’est pas votre problème. Mardi après-midi, ça me semble bien. Alors à mardi !
Dit-il en lui glissant une somme d’argent dans sa poche. ”
Elle eut à peine le temps de réagir et décliner son offre qu’il s’était déjà envolé.
Plusieurs jours s’écoulèrent sans que madame Meyer ne puisse fermer l’œil. Comment se fait-il que cet homme s’intéresse autant à Guillaume ?
Qu’y a-t-il de si attrayant dans ses séances avec lui ? Qu’est ce qui peut bien le pousser à dépenser autant pour le savoir ? Dans tous les cas, elle ne savait toujours pas si c’était une bonne idée ou non de se rendre à ce rendez-vous. C’est Guillaume qui lui permit de trancher : arrivé en pleurs dans son cabinet lundi dans la nuit, il balbutiait des mots sans qu’ils n’aient de sens entre eux. Il a fallu 30 minutes à Madame Meyer pour réussir à le calmer de façon à pouvoir comprendre ce qu’il essayait de lui dire.
-”Allons, allons, Guillaume. Explique-moi tout, calmement”.
-”Je… je… j’ai rêvé d’une chose abominable ! Oui, abominable !”
-”Qu’est-ce que c’était ?”
-”Il y avait une mine et plein de gens et d’animaux malades, ils…ils vont mourir !
-Pourquoi vont-ils mourir Guillaume ? “
-”A cause de moi. On m’a emmené là-bas pour résoudre un problème d’ingénierie et maintenant les gens, les plantes, les animaux vont tous très mal !”
-”Qui t’a emmené là-bas ?”
-”Un homme, un homme méchant. Il n’arrêtait pas de dire à son collègue, un certain Martin, que j’étais un crétin qui ne comprenait rien. C’est faux ! Je comprends les choses vous savez madame Meyer. Pas tout, mais beaucoup de choses.”
-”Je sais bien, Guillaume ne t’en fais pas. Parle-moi un peu de cette mine.”
-“C’est une mine d’or dans un pays chaud. Les gens qui y travaillent vont mal, ils ont beaucoup de problèmes et peu d’argent. Eux et toute la nature autour seront au plus mal à cause de cette mine.”
– « Pourquoi, qu’est-ce qu’elle a cette mine ? » répondit Mme Meyer.
– « Je ne sais plus, j’ai oublié » répondit Guillaume encore sous le choc de ses visions.
Madame Meyer fut très interloquée par toute cette histoire. Surtout par le fait que l’homme que décrit Guillaume dans son rêve a employé les mêmes mots que ceux de M. Dulran au parc Pour elle, ce n’était pas une coïncidence. Elle a donc décidé de mener son enquête et a convaincu Guillaume de l’aider. Ils se sont donc infiltrés dans le bureau de M. Dulran pendant la nuit.
En quelques secondes, Guillaume réussit à pirater le PC de son patron. Madame Meyer se mit alors à rechercher tout ce qui pourrait relier le rêve de Guillaume à monsieur Dulran mais en vain. Soudain, elle vit un document intitulé « Pérou » et elle demanda à Guillaume ;
-”Tu as bien dit que le pays où se trouvait la mine était un pays chaud ?”
-”Oui très chaud. répondit-il.”
Elle cliqua et trouva absolument tout ce dont Guillaume avait parlé.
Les plans d’une mine au Pérou, des fiches d’employés, mais également des vols d’avions en direction de l’Amérique latine dont un au nom de Guillaume. Et là, elle comprit. L’intelligence de Guillaume avait été utilisée au profit d’une mine. Pour résoudre un problème sans doute. Mais une question reste en suspens. Comment se fait-il que Guillaume ne se rappelait de rien ? Pour elle la seule explication est que M. Dulran a fait en sorte que Guillaume ne parle pas. Comment cela a-t-il pu se produire ?
Le lendemain matin, madame Meyer s’est rendue au rendez-vous fixé par monsieur Dulran au café. Quand ils se sont installés, Madame Meyer a eu le plaisir de lui annoncer qu’il était démasqué.
Dans les secondes qui ont suivi, des policiers sont arrivés et l’ont arrêté dans le cadre de l’enquête ouverte. Un mois plus tard, on lira dans le journal que monsieur Dulran est inculpé pour empoisonnement au mercure de toute une population à la suite d’une activité minière illégale, d’esclavagisme, du kidnapping de Guillaume et de destruction d’écosystèmes. Et c’est l’Asperger, celui qui ne sait soi-disant pas comprendre une seule émotion extérieure, qui a éprouvé le plus d’empathie.
Kidnapper des personnes, détruire des populations et des écosystèmes entiers au profit de l’argent, est-ce cela notre futur ?