Rapport d’observations du 14 octobre 2130
Cela fait maintenant 3 jours que je suis au milieu de l’océan Atlantique, près des anciennes Caraïbes, et toujours aucun signe de vie sous la mer. Pas le moindre mammifère, poisson, pas même la trace d’un petit crustacé. Seulement quelques zooplanctons et phytoplanctons perdus, quelques roches éparses. J’ai prélevé des échantillons d’eau afin de ramener les derniers êtres vivants microscopiques de ces mers au laboratoire.
Je pense rentrer demain dès l’aube, il n’y a plus rien à sauver en ces lieux.
Laurie arriva au port après de longues heures de navigation. Son prénom n’est pas insignifiant : sa chère maman l’avait choisi pour honorer sa plante favorite, le laurier disparu des années auparavant, mais ayant coloré son enfance de ses pétales roses si odorants. Celle-ci avait connu les dernières espèces de fleurs exotiques, plus bigarrées les unes que les autres, en des contrées aujourd’hui gommées des cartes du monde. En effet, il y a environ 5 ans, l’Amérique du Sud et l’Océanie se sont ajoutées à la liste des continents disparus et engloutis par les vagues des océans, comme la Lune consume petit à petit le Soleil lors d’une éclipse. Ce phénomène a commencé il y a plus de 100 ans, et continue aujourd’hui à dévorer des terres, obligeant les hommes à se réfugier en Afrique, en Europe ou en Nouvelle-Asie. Le continent a été renommé ainsi, car une importante partie de celui-ci est sous eau : les pays bordés par les flots du Pacifique, du nord à l’est, n’existent maintenant plus.
Les premiers touchés furent les habitants de l’Arctique et de l’Antarctique, mais heureusement, vu le nombre de personnes y vivant, ils ont tous été accueillis dans d’autres pays. C’était en 2064.
“Bonsoir et bienvenue au journal de 19h. C’est aujourd’hui, le lundi 7 juillet 2091, que nous apprenons que l’Amérique du Nord a définitivement sombré, suivant ainsi le Pôle Nord. Nous pensons très fort aux proches des victimes de la montée des eaux.”
Les conséquences du réchauffement climatique n’ont fait qu’empirer. Les années défilaient, et la montée des eaux s’accélérait au fil de celles-ci, tel un athlète prenant de plus en plus de vitesse durant sa course.
Les Américains les plus riches ont pu entreprendre le voyage vers les “terres sauves”, comme nous les appelons aujourd’hui. Les autres sont restés sur place, leur pauvreté les contraignant à attendre que la mort vienne les chercher…
-Hé, Laurie ! T’étais encore dans la lune, ou quoi ?
-Oh, excuse-moi, Kay. Ce voyage m’a vraiment vidée. Que disais-tu ?
-Tu devrais rentrer te reposer. Je m’occupe d’analyser tes échantillons.
Rapport d’observations du 17 octobre 2130
J’ai remis les échantillons provenant de l’Atlantique à mon collègue Kay afin qu’il commence à les analyser. Je me rends aujourd’hui au labo pour l’aid-…
Laurie n’eut même pas le temps de terminer d’écrire sa phrase, qu’un appel vint l’interrompre.
-Salut, Kay ! Que se passe-t-il ?
-Pas le temps de bavarder ! Rejoins-moi vite, je crois que j’ai découvert quelque chose !
Et il raccrocha. Elle se mit donc en route, sans même déjeuner.
“Tu parles d’une journée de repos !” pensa-t-elle.
Elle arriva au centre de biologie une demi-heure plus tard.
-Suis-moi ! Lui dit son coéquipier, l’air tout excité, comme un enfant qui découvre ses cadeaux le jour de son anniversaire. J’ai observé au microscope plusieurs gouttes de l’eau que tu as amenées. Au début, rien de spécial à signaler, seulement quelques planctons se promenant par-ci par-là. Puis, alors que je comptais rentrer chez moi, car il était tard, j’ai remarqué une substance à l’aspect visqueux logée au fond du contenant d’eau de mer.
-Comment ça ? le questionna Laurie, interpellée par cette étrange découverte.
-Il semblerait que tu nous as apporté un signe que tout n’est pas perdu. Ce sont des œufs de poissons.
-Ce n’est pas possible… J’ai moi-même fait plusieurs plongées en ces eaux, en espérant tomber sur un signe de vie, en vain.
-Visiblement, au moins deux individus d’une même espèce ont survécu, et il doit forcément y a en avoir d’autres dans tous ces lieux, sur cette planète, que nous n’avons pas encore étudiés !
-Cela signifie que nos ancêtres nous ont masqué la vérité depuis tout ce temps, nous faisant croire la vie animale éteinte à jamais… Mais pourquoi ?
-Peut-être qu’ils le croient vraiment, que les animaux marins ont disparu. Ils n’ont peut-être pas eu la chance, comme nous, de tomber sur un tel espoir.
-Des spécialistes ont retourné les fonds océaniques du globe pendant des années, ils ne seraient pas passés à côté, je te l’assure.
Rapport d’observations du 18 octobre 2130
Nous avons informé notre chef de cette découverte. Il nous a félicités, mais, étrangement, il n’avait pas l’air très surpris… Ensuite, il a déclaré qu’il informerait les autres centres de recherches du monde ainsi que les médias. Toute la population devait être au courant. Nous venions d’envoyer un beau message d’espoir.
Kay et Laurie décidèrent de partir explorer d’autres endroits du monde ; après hésitation, leur patron, un célèbre biologiste, accepta leur voyage, n’ayant pas d’arguments pour s’y opposer.
C’est ainsi que quelques jours plus tard, les deux acolytes se retrouvèrent au confluent de l’océan Indien et Pacifique, sur les flots autrefois recouverts de l’archipel des Philippines, lieu inondé il y a plusieurs années maintenant. Les plongeurs du monde entier se délectaient de ses eaux cristallines regorgeant de créatures en tout genre ; s’il devait y avoir une arche de Noé quelque part, c’était bien là.
Ces deux-là ne se doutent absolument pas qu’au sein même de leur espace de vie et de travail, des conspirations se détachent des lèvres de personnes importantes, de politiciens, dirigeants, et même de biologistes…
Rapport d’observations du 24 octobre 2130
Après plusieurs heures de bateau, nous arrivons enfin au site où nous allons plonger. Tout le matériel est prêt, masques, bouteilles, détendeurs, gilets… Notre but aujourd’hui est de tâter le terrain, afin que nous soyons préparés au mieux pour les prochains jours d’observation et d’étude.
-Regarde ça ! s’exclama Kay, enchanté à l’idée de jeter l’ancre dans ces superbes eaux aux reflets céruléens.
-C’est magnifique ! J’ai hâte de m’y baigner.
D’un coup, Laurie sentit une main la pousser par-dessus bord. Une sensation de fraîcheur surgit du bout de ses orteils et remonta tout au long de sa colonne vertébrale. Ensuite, un goût salé lui chatouilla les papilles. Son coéquipier éclata de rire.
-Kay ! Tu ne vas pas t’en tirer aussi facilement !
Elle remonta sur le pont, puis se dirigea en courant vers le coupable en mettant toute sa force pour le faire chavirer. Mais il eut le temps de s’agripper à son attaquante, et ils tombèrent tous deux au milieu des vagues. Ils s’amusèrent comme des enfants pendant un long moment.
Rapport d’observations du 25 octobre 2130.
Nous revenons à l’instant de notre deuxième plongée. Hier déjà, dès les premiers instants sous la surface, nous avons découvert une immense anémone, offrant un signe de vie qui nous emplit d’émotion, et plus tard, nous avons rencontré quelques coraux clairsemés qui s’étalaient sur le fond. Mais aujourd’hui, en m’aventurant un peu plus loin, j’ai aperçu entre les membres amorphes d’une anémone un mouvement, puis une nageoire orange. Je connaissais parfaitement cette espèce. Plusieurs poissons-clowns exécutaient des pirouettes devant notre regard ébahi. Mais, l’étonnement ne s’est pas arrêté là. Au loin, tout droit sortie du néant, une ombre apparut. On distinguait les courbes d’un requin, et d’après sa taille et la forme légèrement aplatie de son visage, je dirais qu’il s’agissait d’un requin soyeux. C’était un moment magique, époustouflant, qui restera à jamais gravé dans ma mémoire.
Les chercheurs et le gouvernement nous ont dissimulé un tel espoir pour la survie de la faune marine. Je ne comprends pas la raison, mais on la découvrira, et tout cela ne restera pas un secret.
Alors que Laurie écrivait ces lignes dans son carnet, un vrombissement paraissant surgir tout droit des abysses se fit entendre.
-Qu’est-ce que c’est ? demanda Laurie, l’air inquiet.
-Ce bruit ressemble au moteur d’un bateau. Certaines personnes navigueraient-elles encore par ici ? Cela me paraît étrange, répondit Kay.
C’est alors qu’un navire apparut à l’horizon. On peut distinguer deux silhouettes, dont une au volant. La seconde, appuyée sur le rebord, tient un objet noir entre ses deux mains.
Les jeunes biologistes comprirent, mais il était trop tard. Deux détonations émanèrent. L’enfer vint percuter le paradis. Deux balles se plantèrent dans le corps sans défense des deux amis de toujours, mettant fin à tout. À leurs recherches, à leurs découvertes, à la lueur d’espoir ayant éclot dans leurs regards.
Les dirigeants ont envoyé des hommes pour mettre fin à leurs existences. Kay et Laurie avaient percé à jour les cachoteries, les complots. Nous ne saurons probablement jamais ce qui a poussé ces hommes à mentir au monde entier. Peut-être qu’ils trouvent plus facile de laisser des espèces disparaître plutôt que de dépenser de l’énergie pour les sauver, plein d’hypothèses sont probables de la part de personnes si cruelles…
12 Juillet 2158,
Ou bien 28 ans après la mort de l’auteure de ce carnet. Mon nom est Marwane. Suite au mystérieux assassinat de mes prédécesseurs, j’ai décidé d’aller chercher des informations dans les archives. C’est ainsi que j’ai trouvé ces observations, et que j’ai moi aussi découvert la vérité. Je l’ai exposée au jour, et la nouvelle a commencé à se répandre partout sur le globe. Mon patron, les gouvernants et leurs acolytes n’ont rien pu faire face à une telle explosion. Ainsi, j’ai continué les recherches de Laurie et Kay, avec l’aide d’un grand nombre de personnes motivées.
Aujourd’hui, une partie des poissons et mammifères ont repris leurs droits, et ces espèces sont protégées. Il y a régulièrement de nouvelles naissances, grâce à deux individus de plusieurs espèces ayant survécu. À l’instant même où j’écris ces lignes, la vie sous-marine retrouve un souffle nouveau.