Tout commença en 2094, quand j’avais 8 ans. De plus en plus de pays se déclaraient la guerre. Les ressources de la planète étaient presque totalement épuisées. Les pays étaient ravagés par la sécheresse, la pollution, la famine, les inondations, les tsunamis, … et si ce n’était pas une de ces catastrophes naturelles, cela voulait dire que le pays était convoité, donc en guerre. Plus rien n’allait, c’était pour cette raison que 10 pays d’Europe (Belgique, France, Allemagne, Portugal, Espagne, Pays-Bas, Luxembourg, Suisse, Italie et Autriche) s’allièrent pour former le Décagone. C’était aussi le nom donné aux énormes murs qui entouraient ces dix pays et qui nous séparaient du reste du monde. Après le mur, la politique changea, les dix gouvernements ne formaient plus qu’un et ils créèrent le Code, un règlement très strict qui imposait un nouveau mode de vie, basé sur un communisme extrême. On avait tous les mêmes maisons, il n’y avait plus d’argent, nous devions travailler et en échange nous recevions le minimum pour vivre. Pour se déplacer, il n’existait plus que des bus électriques et des vélos. Les points d’eau, les forêts et les champs étaient interdits au public et protégés par d’énormes grilles, seuls quelques pêcheurs, chasseurs et agriculteurs y avaient un accès très règlementé pour leur travail. Tout avait changé et rien n’était comme avant, hormis l’obligation d’aller à l’école.
Quatorze ans plus tard, le monde s’effondrait de plus belle, seuls quelques états résistaient au chaos. Le Décagone et ses murailles de 30 mètres de haut était lui aussi toujours debout et j’avais, comme ils disaient aux informations télévisées, la chance d’y vivre.
Pour me rendre à l’université, je devais longer un morceau de cette énorme enceinte. Après toutes ces années, je l’observais toujours avec la même curiosité, la même contemplation et la même peur. Tous les matins je me questionnais et imaginais ce qu’il pourrait bien y avoir derrière, ça me permettait de passer le temps. Une fois arrivée, je retrouvais Lucie et Jérémy mes meilleurs amis. Lucie me demandait chaque matin comment j’allais et sans réfléchir je répondais que tout allait bien tout en lui retournant la question. J’étais en cours avec Antoine, un autre de mes amis. Tous les quatre, on formait un groupe et c’était eux qui me donnaient l’envie de me lever chaque matin. On se retrouvait tous à midi, à la cantine, c’était le moment que je préférais.
- « Alors, comment se sont passés les cours? », demanda Antoine en s’adressant à Jérémy et Lucie.
- « Très bien, mais le test de Mme Mc Grove était super difficile», répondit Jérémy.
Lucie se tourna vers moi.
- « Et toi, Alexandra, ça a été ?»
Comme à chaque fois, je répondis que oui. A ce moment-là, James entra dans le réfectoire, c’était un garçon assez beau gosse, mais surtout un imbécile qui ne tardera pas à prendre des Points. Les Points, c’étaient la première loi du Code : chaque personne naissait avec 0 Points et tout crime ou non-respect du Code en entrainait un certain nombre qui était déterminé par un juge. Une fois qu’une personne avait atteint le nombre maximal de 100 Points, elle était bannie du Décagone. Comme il n’y avait plus de prison, l’exclusion définitive de la forteresse était la seule sentence, mais elle était fatale ! Selon le gouvernement, on ne pouvait tenir que 2 jours de l’autre côté du mur et c’était la seule chose, sortant de la bouche d’un politicien, que je croyais. Le père de James était à 86 Points car il avait organisé des rallyes dans le nord de l’Espagne alors que les voitures étaient interdites depuis 14 ans. Rien que pour ces courses clandestines, le père de James écopa de 46 Points et les 40 Points restants étaient dus à un trafic d’armes en Autriche.
Un jour, des hommes de l’Ordre, nouvelle police armée du Décagone, débarquèrent en plein cours d’éthique pour emmener James en justice.
- « C’est impressionnant», bégaya Antoine, d’un air terrorisé.
- « Oui et tu sais ce qu’il a fait pour mériter ça ?»
Je posais cette question, mais en fin de compte je me fichais de la réponse, ce qui m’importait c’était que James allait avoir une bonne leçon.
- « Certaines personnes disent qu’il est accusé d’un trafic de drogue et selon mon père il risque entre 15 et 20 Points» répondit Antoine. Il savait tout ça grâce à son père qui était avocat dans la région.
Trois jours après cette perturbation, deux hommes de l’Ordre revinrent. Cette fois-ci, ils en voulaient à Myriam. On apprit la semaine d’après que Myriam avait reçu 2 Points pour avoir divulgué des sujets d’examens. Ce fut un choc ! Autre fois, pour les mêmes raisons, tu étais, tout au plus, exclu de l’université, mais maintenant tu écopes de 2 Points !
Le mardi 21 Avril 2108, on apprit par le directeur qu’une étudiante du nom de Marie avait reçu 5 Points pour avoir publié une critique du gouvernement sur son mur Facebook. Ce jour-là, je réalisai que le gouvernement contrôlait tout : ce que l’on faisait, ce que l’on mangeait, ce que l’on disait et même ce que l’on pensait. Ce jour-là, je décidai que ça devait changer !
Tous les mardis soirs, avec les copains, on se retrouvait dans un café au bas de ma rue, l’un des seuls de la ville. J’en profitai pour leur parler de mon inquiétante prise de conscience de l’après-midi. Lucie était entièrement d’accord avec le fait qu’il fallait changer les choses et comme Lucie était d’accord, Jérémy l’était aussi. Antoine était un peu plus dubitatif.
- « Et qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?»
- « Je ne sais pas encore, mais tu n’en as pas marre d’être contrôlé à tout point de vue par des hommes qui se croient supérieurs ?»
En vérité, Antoine avait raison, je ne savais pas trop quoi faire, mais une chose était certaine, je ne pouvais plus supporter ce système ultra communiste !
- « En plus, j’ai entendu dire que les hauts dirigeants avaient des piscines, des énormes villas et vivaient dans le luxe !», chuchota Jérémy, craignant de se faire entendre.
- « Des piscines mais c’est n’importe quoi ! On n’a même pas le droit d’aller se baigner dans un lac !», Lucie était révoltée.
On continuait à critiquer le gouvernement, son système pourri et les politiciens lorsque Lucie trouva une idée.
- « Je sais ce qu’on peut faire, on a qu’à dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas.»
- « Oui, mais si tout le monde le pense, mais que personne ne le dit, c’est qu’il y a une bonne raison.»
- « Oh t’es pénible Antoine, laisse la finir! »
Antoine me plaisait, mais il pouvait-être énervant quand il l’avait décidé.
- « Je disais donc qu’il faudrait créer un genre de groupe de rébellion, on mènerait différentes actions pour ouvrir les yeux des gens sur les problèmes de la société.»
Tout comme Jérémy, je trouvais l’idée excellente et tous les trois, nous finîmes par convaincre Antoine de faire partie du groupe. Nous parlâmes encore pendant trois heures du projet et arrivâmes à la conclusion que le groupe allait s’appeler « AJAL », en référence aux initiales de nos prénoms. Notre première action serait de sécher les cours tout en militant devant l’université avec des pancartes exprimant ce que l’on pensait du système politique actuel.
Le lendemain, devant le bâtiment principal du campus, j’avais le trac comme avant un examen oral. Antoine aussi était stressé, il n’arrivait pas à rester en place et il se mordait les lèvres. Je me disais que c’était normal, en 14 ans, c’était la première fois que nous allions désobéir et enfreindre le Code. Au début, quelques étudiants passaient devant nous, ils étaient choqués et n’osaient pas s’arrêter pour mieux lire les pancartes. On avait décidé tous les quatre de ne pas parler, nos pancartes étaient de toute façon assez explicites : « STOP au communisme » ; « On vit dans une OLIGARCHIE ». Après, ce fut supérieur à nos toutes nos attentes, des foules d’étudiants s’approchèrent pour mieux voir, ils prenaient des photos et certains criaient même qu’ils étaient d’accord. A certains moments, j’entrevis entre quelques étudiants des professeurs qui esquissaient des sourires, des sourires qui montraient qu’ils étaient d’accord, mais qu’ils ne pouvaient rien dire. Le rêve était trop beau, après seulement une heure le recteur débarqua, demanda à tout le monde d’aller en cours et lorsqu’il vit nos pancartes, il en resta bouche-bée. Il nous demanda à tous les quatre de le suivre dans son bureau.
Une fois dans son bureau, le recteur nous expliqua l’ampleur de notre action et que s’il le voulait, il pourrait appeler l’Ordre et on recevrait une sanction exemplaire. Une fois son sermon fini, il nous demanda de promettre de ne plus recommencer. A ce moment-là, Lucie se leva et dit :
- « Sauf tout le respect que je vous dois Monsieur, cette action que l’on vient de mener était le début de bien d’autres, donc il est hors de question de vous promettre d’arrêter alors que ça ne fait que commencer !»
Dès qu’elle eut fini sa phrase, nous nous levâmes tous en signe d’approbation à ce que Lucie venait de dire. Même Antoine, à mon plus grand étonnement ! Le recteur, très surpris de notre réaction, répondit :
- « Vous courez un grand danger avec ce genre d’actions et même si je ne suis pas totalement contre ce que vous avez écrit sur vos pancartes, je vous conseille vivement d’arrêter.»
- « Nous vous comprenons, mais nous sommes bien décidés à faire changer les choses! », répondit Jérémy. Et nous quittâmes le bureau.
Le soir même, nous décidions de créer une page Facebook, au nom de « AJAL », sur laquelle nous allions publier des critiques, des photos, comme celles de l’après-midi et des vidéos de nos différentes actions. Après seulement quelques heures, notre profil était déjà suivi par 237 personnes, principalement des étudiants.
Le jeudi, nous nous étions donnés rendez-vous dans l’appartement de Lucie qui nous servait en quelque sorte de Quartier Général. En une nuit, on avait triplé notre nombre de followers sur les réseaux. Pour notre plan d’action, on avait prévu de faire deux groupes, un allait sur le terrain et l’autre gérait la partie informatique. Bien sûr, comme les garçons n’avaient pas beaucoup de courage et que la mission en extérieur en demandait pas mal, c’était Lucie et moi-même qui allions nous en charger ! Pendant ce temps, Antoine et Jérémy devaient créer d’autres profils « AJAL » sur les réseaux et ils devaient y poster différents textes que l’on avait écrits pendant la nuit. Notre mission, à nous les filles, était de taguer différents murs de la ville avec des phrases chocs comme sur les pancartes pour attirer le grand public et, bien sûr, les médias.
On était efficace, pendant que l’une taguait, l’autre prenait des photos et ainsi de suite jusqu’à ce que l’Ordre arrive. Dès qu’ils débarquèrent, nous prîmes la fuite, on connaissait mieux la ville qu’eux et on réussit à les semer rapidement. De plus, Lucie eut la bonne idée de filmer notre petite course poursuite. Une fois arrivées à l’appartement, les garçons postèrent toutes les photos et notre vidéo. Il ne restait plus qu’à attendre.
Deux heures plus tard, il y eut beaucoup de réactions, des bonnes et des moins bonnes. Mais une chose était sûre, nous avions fait polémique et on ne tarderait pas à entendre parler de nous aux informations. Malheureusement, quelqu’un sonna à la porte, c’était l’Ordre.
Le juge fût concis, il cita tout ce que l’on avait fait, nous demanda si nous étions d’accord et nous acquiesçâmes. C’était le père d’Antoine qui nous servait d’avocat et il était furieux contre nous, mais il nous défendait bien. Cependant, depuis le nouveau système judiciaire, les avocats ne servaient plus à grand-chose. Mes parents aussi étaient dans la salle. J’étais à la fois déçu qu’ils voient leur fille dans ce pétrin, mais j’étais aussi fière de leur montrer qu’on faisait quelque chose pour changer le système. En conclusion du procès, on prit chacun 10 Points. C’était beaucoup pour nous, mais le père d’Antoine nous expliqua que ça n’était pas tant que ça étant donné les circonstances. Mes parents me remontèrent les bretelles, mais j’étais déterminée à continuer, tout comme Lucie et Jérémy. De tous les quatre, c’était Antoine qui passa le moins bon quart d’heure, on avait peur qu’il abandonne, mais heureusement ce ne fut pas le cas.
Dans les jours qui suivirent, l’ambiance n’était pas terrible. En vérité, les 10 Points nous avaient un peu refroidis. C’est là que Jérémy eut une idée brillante.
- « Je sais ce qu’on peut faire, il faut écrire un texte !»
- « Mais ça, on l’a déjà fait», répondit Lucie.
- « Non ! Pas une critique de tout le système, mais un texte d’espoir. Beaucoup de gens sont d’accord avec nous, mais il faut les motiver en leur parlant de ce qu’il y a en dehors du Décagone.»
- « Mais qu’est-ce qu’on en sait de ce qu’il y a de l’autre côté du mur ?», s’interrogea Antoine.
- « Justement, on va l’inventer. On va créer un nouveau système politique, économique et social qui pourrait fonctionner et remplacer la connerie de système actuel.»
Jérémy, venait d’avoir une excellente idée. Montrer aux gens que le gouvernement nous contrôlait était une bonne chose, mais il fallait maintenant donner des solutions.
Nous avions passé presque trois semaines à écrire et inventer un système politique qui réintroduisait de l’argent et des loisirs. On créa un règlement moins strict, mais juste. Et bien sûr, on imagina un plan économique possible, durable et qui tenait compte de l’état catastrophique de la terre. On avait passé des dizaines d’heures sur ce projet à la fois fou et prometteur ! On le relut des centaines de fois pour être sûr de n’avoir rien oublié et être sûr de tenir compte de tout. Nous le postâmes dans les différents profils d’ « AJAL » sur tous les réseaux sociaux, avec comme titre : « Notre Eldorado ».
« Notre Eldorado » fit l’effet d’une bombe nucléaire dans la société. Des révoltes éclatèrent un peu partout: en Belgique, en Allemagne, au Portugal, dans le nord de l’Italie et en Autriche. Des grèves survenaient en France, en Suisse, en Espagne et au Pays-Bas. Le Luxembourg fut placé en alerte rouge suite aux très grosses et virulentes altercations entre la population et l’Ordre. Le gouvernement mit plus d’un mois à rétablir un semblant d’ordre dans tout le Décagone. Mais les tensions étaient toujours là et la société finirait par éclater pour de bon afin de former un nouveau monde !
Tous les quatre, on discutait. On espérait tous qu’un jour nos parents finiraient par comprendre et que notre combat irait jusqu’au bout. Malheureusement pour nous, le gouvernement se vengea. Maintenant, il nous restait environ 48 heures et le mur était tout aussi impressionnant de l’autre côté.