La panique. C’est ce sentiment déstabilisant qui envahit la salle de réunion. Si on la laisse croître à sa guise, elle pourrait se révéler dévastatrice. Mais la panique peut aussi se révéler utile. Par exemple, dans ce cas-ci, elle permet à l’humanité de s’unifier pour une cause commune. « Pourquoi ? » me demanderez–vous, pourquoi tout ce remue–méninges ? J’en suis le coupable. Ou plutôt, soyons positifs, disons le responsable. Je suis un astronome chargé de collecter, de trier et, finalement, de classer des archives en tous genres. Comme je m’ennuie durant mes heures de travail, j’essaie d’égayer ma journée en plongeant dans des études menées plusieurs années auparavant ou dans des documents glanés çà et là dans les archives. Ce matin, par hasard, j’ai déniché un recueil d’équations prédisant certaines trajectoires d’astéroïdes. En le feuilletant, j’ai remarqué un détail qui m’a titillé. Un détail quelconque pour le commun des mortels, une catastrophe pour un scientifique. Une erreur s’était immiscée parmi les suites de nombres et de lettres. Mes années d’expérience m’ont permis de vérifier tous les calculs de la trajectoire dudit corps céleste. Le barrage retenant mes larmes a cédé rapidement. La collision aurait lieu dans quelques heures à peine. Le temps que je contacte les patrons, et qu’à leur tour, ils préviennent le gouvernement, les sept étapes du deuil ne pouvaient s’insérer… L’important est de ne pas se résigner face à ce jugement dernier, ne pas se laisser abattre. Sur le pouce et en urgence, une réunion s’organise. L’information est classée top secret, bien entendu. Qui y est présent ? Une flopée de scientifiques quelque peu réticents, une douzaine de ministres et leurs gardes du corps, des militaires venus avec leurs supérieurs tels que des généraux haut gradés et même le Président. Une fois ce beau monde installé, j’entreprends de leur résumer la situation. Plus je parle, plus l’atmo-sphère s’alourdit. Les gardes du corps nous ont quittés pour rejoindre leur famille dès que j’ai mentionné une potentielle fin du monde. Le ton grave, je demande, sans espoir apparent, une idée de lutte. Un des généraux, visiblement bientôt retraité, frappe du poing sur la table en criant qu’on devrait bombarder ce foutu caillou. Je perçois le tremblement de sa voix et la peur dans ses yeux. Plus le temps passe, plus l’ambiance devient pesante. Une fois les preuves illustrant mes propos distribuées, les scientifiques recalculent la trajectoire en espérant que je me sois trompé. Je suppose qu’ils ne supportent pas l’idée d’une défaite de l’humanité face à une vulgaire pierre. Entre les militaires qui inventorient les plus puissants missiles disponibles et le Président qui passe des coups de fil effrénés via le fameux téléphone réservé aux cas de force majeure, moi, je me demande si j’ai bien fait de signaler cette tragédie imminente. Nous aurions pu disparaître sans même le comprendre.
Russie, Chine, Océanie, Europe, les États-Unis, bientôt, tous ceux qui pèsent dans la balance sont mis au courant. Dans le tunnel sombre que nous traversons, on entrevoit une lueur d’espoir, un semblant de beauté. Tous les pays oublient leurs différences pour sauver une chose qui touche tout être : la vie. Comme acte ultime, après maintes concertations, désaccords, débats, discours motivants, jurons, cris, pleurs, contestations, les représentants du monde entier tombent enfin d’accord. Premier miracle ?
Pendant ce temps, les citoyens jouissent du retour de l’été. Le doux parfum de la flore environnante enivre leurs narines. Les oisillons chantonnent comme à leur habitude. Un jeunot entame ses exercices physiques quotidiens tout en promenant son molosse. Un couple d’anciens se promène autour du lac, se serrant l’un contre l’autre, appréciant les caresses du soleil sur leur visage. Une mère et son fils partagent des moments inoubliables, tant sur la balançoire en essayant d’atteindre les étoiles que dans le bac à sable, à bâtir et à détruire des empires ou encore allongés sur la pelouse fraîchement tondue à scruter les cieux afin d’imaginer des formes aux nuages. Tout à coup, une nuée composée de missiles et de roquettes déchire le ciel.
« Maman ! Regarde ce nuage ! Pourquoi il est si rouge et brillant ? »
Plût au ciel que sa maman puisse lui répondre…