9h00 : bip bip bip
9h30 : bip bip bip
10h15 : bip bip bip
10h50 : bip bip bip
Putain ma tête fracasse. Je regarde le creux de mon coude : 11h02
Je cligne des yeux. Le plafond vacille légèrement.
– FUUUUCK
Je pousse le bras du mec qui dort à quelques centimètres de moi et me rhabille dans un temps record. Je me dirige vers la sortie et l’idée de laisser une note me traverse l’esprit. Mais rapidement je me ravise en me souvenant que je ne connaissais même pas son nom et je claque la porte derrière moi.
Un vent glacial fouette mon visage et le bruit des ventilateurs géants amplifient mon mal de crane qui me torture depuis ce matin. Mes yeux s’habituent à la lumière de dehors et je regarde le ciel. Il fait gris. Gris, froid, le climat ne varie plus beaucoup ces dernières années. En faisant abstraction des vieillards déformés par le molly, les rues sont désertes. Poussée par le froid, je marche de plus en plus vite et me perds dans mes pensées. Oubliant complètement le monde qui m’entoure, je pense à ces vieilles personnes qui ressemblent déjà presque à des cadavres, le visage ravagé par le molly. C’est étrange comme la raison de vivre d’une dizaine de générations est aussi destructrice. Sans m’en rendre compte, je me suis presque mise à courir telle une proie traquée par son prédateur et mon souffle est saccadé, à la limite de l’étouffement. La paranoïa, un autre effet secondaire du molly, la sensation d’être observée, menacée constamment, qui ne vous quitte plus. Consciente que c’est juste une réaction de mon corps qui essaye d’évacuer la drogue de la veille, je reprends mes esprits et calme ma respiration. Il faut que je retrouve mon chemin … Tout se ressemble, le sol et les hauts immeubles sont construits dans le même métal gris et froid, les lumières des néons éclairent partiellement les trottoirs.
Malgré le brouillard, je distingue la silhouette de quelqu’un au bout de la rue, saisissant ma chance je m’approche
– Désolée de te déranger, mais je suis complètement perdue, tu pourrais m’aid…
La silhouette était en fait un homme grand approchant la trentaine. Ses yeux dilatés me regardent comme un bout de viande. Je connais ce regard par cœur, le molly crée un désir démesuré chez certaines personnes et quand un homme est dans cet état, je sais que je peux obtenir ce que je veux de lui . Il continue de me fixer avec ses yeux vitreux et, lentement, il marmonne une réponse. Je peux imaginer sa bouche pâteuse et sa mâchoire lourde qui rend tout type de communication si compliquée. Malgré son balbutiement, j’arrive à déchiffrer qu’il me propose de monter dans sa chambre d’hôtel et j’avoue que l’idée de pouvoir lui voler quelques grammes de molly ne me dérange pas. Alors ,doucement, je hoche la tête de bas en haut.
Je prends le temps d’apprécier le bruit de mes bottes qui résonnent sur les marches de l’escalier en aluminium qui mène à une chambre miteuse dans laquelle sol et déchets se confondent. À ma gauche, je distingue sur la table de nuit des pilules blanches et des seringues. Rien qu’à cette vision, mon corps se tend et j’ai du mal à déglutir.
– T’en veux ? Me dit l’homme qui avait remarqué que je fixais le coin de la pièce depuis au moins une bonne minute.
Je hoche la tête silencieusement et m’approche de la table de nuit.
Quand le molly passe dans mes veines, tout mon corps se relâche, mes doigts se décrispent, mes yeux clignent faiblement et un soupir de soulagement que je ne peux retenir s’échappe de mes lèvres, mais c’est sans compter mon cœur qui double ses battements par minute. Assise sur ce lit avec un total inconnu, je profite de ce moment de vide où plus rien ne bouge. Je m’avance vers la fenêtre afin de prendre une bouffée d’air frais. J’observe l’immeuble d’en face et mon regard se bloque sur une fenêtre en particulier. Je plisse les yeux et j’aperçois plus distinctement un homme grand avec des lunettes qui se tient au dessus d’une femme qui me ressembe étrangement. Ses cheveux, son visage, ses jambes, même ses vêtements sont identiques aux miens avec pour seule différence que les siens arborent une tache rouge qui s’agrandit continuellement. Le molly fait de plus en plus d’effet, ce qui m’empêche de voir la scène nettement mais ce qui s’apparente à une arme se trouve dans les mains de l’homme.
Je manque d’air, j’ai beau ouvrir ma bouche, l’oxygène ne veut pas pénétrer dans mes poumons. Je suis en train d’assister à la mort de cette jeune fille, ma mort.
Je recule en vacillant et la pièce se met à tourner. Je n’arrive plus à distinguer quoi que ce soit, les couleurs se mélangent, mes oreilles bourdonnent. Soudainement tout se fige, l’homme me regarde droit dans les yeux. Il sait … il sait que je l’ai vu. Pendant quelques secondes on se dévisage l’un l’autre sans qu’aucun de nous ose bouger. Tout s’enchaîne dans ma tête mais ma pensée la plus virulente est la plus primaire : cours !
En une fraction de seconde ,mon regard se détache du sien et, telle une proie qui prend la fuite, mes membres s’entendent en longues enjambées et je quitte cet appartement sans me retourner. Le bruit de mes bottes sur l’escalier n’est plus le même qu’à l’aller ; il est rapide, saccadé, traqué.
Dehors, la ville commence à prendre vie et les voitures remplissent les rues. Mes jambes ne s’arrêtent plus, je cours, je cours sans jamais m’arrêter car je sais qu’il m’a suivie et qu’il est derrière moi.
Une petite ruelle apparaît dans mon champ de vision et je décide de m’y cacher pour reprendre mon souffle. Je me laisse glisser contre le mur, mes membres sont engourdis d’avoir tant couru et je sens mon pic d’adrénaline redescendre.
Une fois que mes mains ont cessé de trembler, je plonge l’une d’elle dans la poche de mon pantalon essayant de trouver mon téléphone n’ayant qu’une idée en tête : appeler mon frère pour qu’il vienne me chercher. Mais, lentement j’interromps mon mouvement réalisant qu’à cette heure-ci il doit être sous molly gisant quelque part dans un bar. Je n’ai personne d’autre à appeler, alors, je sors ma main de ma poche et me tiens la tempe avec celle-ci. Soudainement, le doute s’installe… Je suis sous molly. Rien de ce qui se passe sous cette drogue n’est rationnel. Je tente de me rassurer avec cette pensée, je me relève ignorant la douleur naissante dans mes jambes.
De retour sur la route principale, je scrute les trottoirs, sursautant à chaque silhouette que je croise, mais pas de trace du meurtrier. Je marche pendant quelques heures mais plus j’avance, plus la fatigue se fait ressentir. Je décide donc de louer une petite chambre d’hôtel afin de me reposer pour la soirée.
Une fois arrivée devant la porte de ma chambre, je sors la clé magnétique pour déverrouiller celle-ci. J’ai à peine le temps d’entendre le cadenas s’ouvrir que je sens un souffle derrière moi. Sans avoir à me retourner je sais que c’est lui, celui qui, quelques heures plutôt, gisait à côté d’un cadavre. Prise de panique, je tente de me faufiler dans ma chambre mais, étant tout aussi rapide que moi, il réussi à entrer et ferme la porte derrière lui. Je suis prise au piège. Je vois flou et les derniers grammes de molly que mon corps n’a pas encore évacués font totalement effet. Je recule à tâtons, ne pouvant détacher mon regard de son arme qu’il tient dans la main. Il tente de me parler mais la peur à envahi mes cinq sens et je ne distingue qu’un léger bruit sourd. Alors, dans un dernier élan de désespoir, je me jette sur lui, agrippe sa main et enfonce mes canines le plus fort que je peux dans sa peau. Un hurlement déchire la chambre et il lâche son arme qui tombe presque au ralenti sur le sol. Je me rue dessus tel un animal mais mes mains ne s’arrêtent pas de trembler et je sens la gâchette contre mes doigts. Brusquement une détonation se fait entendre.
Figée, je peine à ouvrir les yeux qui luttent afin de ne pas avoir à contempler le spectacle morbide qui se trouve devant moi. Mais la réalité me rattrape et je ne peux nier l’homme qui git à mes pieds dont le t-shirt est taché par un rond de sang qui ne cesse de s’agrandir. L’arme me tombe des mains, fracassant le silence installé depuis la détonation. Le vomi monte dans ma gorge et mes yeux s’imbibent de larmes. Tournant lentement la tête j’entrevois un homme grand, portant des lunettes me fixer par la fenêtre d’en face. Je suis pétrifié, je n’ose plus bouger. Il m’a vu. Mon corps se fige encore plus lorsque je remarque que l’homme porte les mêmes vêtements et ses traits du visage sont identiques à ceux du cadavre qui se trouve devant moi. Ce sont les mêmes personnes à une différence près: l’un est mort et son corps est juste devant mes yeux et l’autre est bien vivant et commence à prendre la fuite. Alors pour la première fois, je ne suis plus la proie car c’est moi qui traque, je suis le prédateur.