Des pas, des empreintes enfoncées dans le sol. La mer faisait des va-et-vient sur le sable. Des perles brillaient sur les dunes avec les reflets du soleil. Je me dirigeais vers le dernier arbre encore vivant. Je l’ai nommé Odin, comme le chef des Dieux. Sa force m’impressionne. Pourtant, sa mort est imminente. Nous sommes en 2078, le 21 décembre plus précisément. Dans 10 jours, nous serons au Nouvel-An. Je ne me fais pas trop d’illusion, je serai sûrement mort d’ici là. Il y a 58 ans de cela, personne n’aurait imaginé la terre dans cet état. Il n’y a plus de saisons. Le soleil brille en permanence. De jours en jours, l’étoile jaune produit de plus en plus de chaleur, ce qui en tue plus d’un.
Je m’appelle Stephano, j’ai 17 ans et je suis orphelin. Mes parents sont morts quand la 207ème feuille d’Odin est tombée. Une mort habituelle, longue et douloureuse. L’arbre majestueux comportait 6795 feuilles au commencement, maintenant, il n’en a plus que 632. A sa dernière feuille, le monde s’écroulera.
Beaucoup de choses ont changé. Les animaux nous ont quittés depuis 32 ans. L’Amazonie et l’Australie ont totalement brûlé. Les continents n’existent plus. L’Asie, l’Océanie, l’Afrique et l’Europe se sont rassemblés en une île, une immense île. L’Amérique est sous eau, envahie par les algues. Les maisons ne tiennent plus, les briques fondent et les toits s’écroulent. Les forêts? Plus rien, plus d’herbes, plus de plaines bien vertes, juste du sable ébouillanté par la chaleur.
Nous ne sommes plus que 100 sur cette terre. Hier, nous étions 150 et demain nous ne serons plus que 60. La nourriture se fait rare. En général, nous avalons des substances chimiques que vous nous avez laissées. Cela nous tue à petit feu. Les autres survivants ne tiendront plus très longtemps, ce n’est qu’une question de jours. Vous avez créé la mort de notre espèce.
J’observe l’horizon tout en pensant à avant. Comment était la Terre autrefois? Certains ancêtres nous ont raconté cette ancienne vie. Les plaines et les arbres à perte de vue, des fleuves et des rivières ruisselant sur les rochers, les animaux chassant pour vivre. Le roi des animaux prénommé « lion », si robuste et impressionnant. La savane, les fleurs et le bleu si pur avec des jolis nuages blancs qui ornaient le ciel… Mais surtout, les industries qui ravageaient la terre, pourrissaient l’oxygène, rejetaient des nuages gris et tuaient la vie. Comment est-ce possible de ne pas avoir réagi plus tôt?
Je sens un picotement sur mon pied. L’odeur n’est pas commune. Je ne connais pas cette sensation de chaleur atroce. Je baisse les yeux et vois une sorte de soleil sur mon orteil gauche. La douleur augment et la lumière s’intensifie, chauffant de plus en plus. Je ne bouge pas, espérant que cela cesse. Au loin, j’entends crier « Au feu! ». Une jeune femme assez pâle vient à ma rescousse et tue le soleil douloureux de mon pied. Cette dernière m’explique le danger imminent et qu’il ne faut pas s’approcher du soleil chaud, autrement dit, des flammes.
Quand la tempête est partie, les feuilles volent dans le ciel. Une feuille, une vie. Odin n’en a plus que 6. Les corps sans vie plaqués sur le sol me donnaient des nausées. Plus que 6 sur cette planète. Le lendemain matin, deux feuilles tombent à nouveau. La fin est proche, je le sens au plus profond de moi
Je me réveille en sursaut, à côté de moi, 3 personnes, les dernières personnes à me tenir compagnie. Plus loin, 2 jeunes filles ne se réveilleront plus jamais, elles ne bougent plus. Quand les 3 autres se réveillent, nous décidons d’aller explorer les environs, espérant trouver un quelconque signe de vie, un abri, de l’eau fraiche, de quoi remplir notre estomac. Sur le chemin, j’en apprends plus sur mes congénères. Cyrus, Alban et Giannina ont perdu leurs parents dans l’incendie, ils sont seuls et livrés à eux-mêmes, comme moi.
Après une longue marche sous le soleil de plomb, un vent torride vient nous frapper par derrière, nous obligeant à nous coucher sur le sable. Je frémis, des frissons parcourent mon corps. Un vent d’une force inestimable, mais surtout, glacial. Cela fait 15 ans que je n’ai pas connu cette sensation de froid. Le sable me cogne la tête tel des pierres.
J’entends des cris camouflés par le vent. Alban est accroché à une branche, les deux autres derrière un rocher, assis en espérant ne pas se faire emporter. La tornade se précipite droit sur nous. Je n’ai le temps de me protéger, le vent m’emporte sans me laisser le temps de me défendre. Un, deux, trois coups, tout s’enchaîne si vite. Culbute avant, saut dans les airs, culbute sur le côté droit suivi d’une chute atroce.
Je me réveille sur un rocher. Du sang coule sur la pierre. La lumière m’éblouit, la chaleur sèche mes lèvres. Je tente de me lever, un bras après l’autre, une jambe après l’autre. Ma jambe gauche me fait un mal affreux. Je mets un bâton pour soutenir cette dernière. Ayant enfin le temps d’admirer le paysage, une grande déception: juste devant moi, à quelques mètres du rocher, l’arbre. Le si beau, grand et tout puissant Odin.
Tous ces jours passés à marcher en vain. Mes camarades ne sont pas près de moi. Où sont-ils? La tempête les a emportés loin, très loin. Je lève ma tête et regarde les feuilles. 4, 4 feuilles étaient encore accrochées. Ils étaient en vie, mais pour combien de temps? Je repense à mes parents, morts si tôt, criant sous les flammes. Une sensation nouvelle apparait, je pense que cela s’appelle la tristesse. J’aurais aimé les connaitre plus longtemps, comprendre les raisons de notre mode de vie, les erreurs commises dans le passé.
Vivre seul est très compliqué pour Stephano. Chaque jour, il regardait les feuilles, espérant les voir éternellement. Il s’inquiétait pour ses amis. Le stress le rongeait de l’intérieur. Deux feuilles étaient tombées, plus que deux à encore tenir sur les branches imposantes. Il priait jour et nuit pour son ami encore en vie.
L’avant dernière feuille tomba à ses pieds. Désemparé, il s’écroula de douleur. La solitude était encore plus présente qu’avant. Les larmes tombèrent sur le sol desséché. Le soir même, il dut aller chercher de la nourriture pour survivre. Marchant sans espoir et sans motivation, il ne trouva pas de quoi se rassasier. La dernière feuille se décrocha lentement, le jeune garçon comprit, il ferma les yeux.
Quelques minutes plus tard, j’entrouvris mes paupières, regardant autour de moi. J’étais dans un hôpital. Ma famille, mes amis et les médecins pleuraient de joie. Après une longue explication, j’ai retrouvé mes esprits. Je me souvenais de tout, cela faisait 3 mois que j’étais dans le coma suite à une chute. Stephano restera en moi. Qu’attendons-nous pour bouger ? Nous organisons notre propre abattoir, allons-nous changer les choses?
Par réflexe, j’ai regardé ma jambe, plus de douleur. Mon pied par contre, abimé, avait une trace de brûlure récente. Etait-ce vraiment réel?