Il fait clair et légèrement froid dans l’humble demeure de Jenny Moretz. Elle se réveille. Il est à peine six heures du matin mais déjà elle se lève lentement. Elle se prépare un thé vert à l’hibiscus, son préféré, et sort sur la terrasse. Elle contemple le ciel. Il est d’un bleu pastel, comme s’il avait été lavé.
Des gouttes de la rosée du matin perlent sur le rebord de la rambarde. Elle s’assied confortablement sur sa chaise en osier rembourrée de coussins blancs et jaunes, avec sa tasse de thé à la main.
Tous ses beaux souvenirs refont surface. Elle revoit les peintures de la nature qu’elle aimait peindre par tous les temps. Puis ses carnets. Sa collection de carnets, dont les pages sont si douces et où sa plume glisse comme un bateau sur le lac. Puis voilà Warren, son béret vissé sur la tête et son sourire qui la faisait fondre. Leurs longues promenades le long de la Semois. Leurs baignades. Un jour, il avait sauté du haut d’un rocher. Elle avait eu tellement peur! Mais la véritable peur, elle l’a connue quelques semaines plus tard. Warren, devenu son mari, est parti combattre au front et n’est jamais revenu. Il ne reste plus que son nom sur le monument aux morts… et les souvenirs…
Jenny vit seule depuis si longtemps. Ses amis se sont mariés et ont quitté la région, la plupart de ses connaissances sont dans ces endroits inconnus d’où on ne ressort jamais vivant, les homes. Jenny a un frisson rien qu’en évoquant ce mot. La solitude ne lui pèse pas. Elle se sent bien dans sa maison. Personne ne lui rend visite mis à part Lény, son meilleur ami. Lény est la seule famille qui lui reste. Tous ses parents sont morts il y a bien longtemps. La flamme qui les éclairait s’est éteinte. Depuis, une partie de Jenny est dans l’obscurité…
C’est son carnet qui l’a sauvée… Jenny alimente depuis toujours un carnet dans lequel elle décrit chaque moment fort de sa vie, chaque perception de son esprit. Les moments tristes côtoient les moments heureux. Le déménagement de sa meilleure amie est suivi du beau compliment de sa maîtresse, puis des catastrophes écologiques mondiales…. Maintenant encore en passant la main sous les coussins blancs et jaunes, elle trouverait son dernier carnet.
Son écriture est toujours autant calligraphiée, ses phrases sont percutantes, interpellantes. Elle est depuis toujours débordante d’imagination.
La plupart de ceux qui la côtoient la décrivent comme folle et pensent qu’elle perd la tête. Cela ne la dérange pas qu’on la trouve bizarre car un de ses plus grands souhaits est d’être spéciale, et surtout, inoubliable.
Elle rêvasse, quand tout à coup : « Toc Toc Toc… »
C’est Lény. Elle reconnaît son tapotement à la porte. Elle lui ouvre. Elle lui fait un grand sourire, il le lui rend. Ils discutent paisiblement dans le salon, maintenant traversé par quelques rayons de soleil.
Il est presque midi. Lény est parti se promener et faire quelques courses
pour préparer leur diner favori: pâtes au saumon, avec beaucoup de
ciboulette, cette herbe qui pousse à l’état sauvage dans son jardin et qui lui
rappelle son enfance.
Jenny prend un livre au hasard dans sa bibliothèque et s’installe confortablement. Elle adore ce moment où elle pousse la porte d’un autre monde.
« Toc Toc Toc… »
Lény est déjà de retour? Non, ces tapotements sont plus doux, presque des frôlements contre la porte… La porte s’ouvre lentement et la vive lumière du soleil inonde la pièce. Quel bonheur, ce soleil ! Quelle chaleur il répand autour de lui… Gwen, sa soeur jumelle disparue, est là, magnifique, rayonnante de santé avec sa longue chevelure auburn, ses longs cils et son chaleureux sourire.
« Il est temps de se retrouver », dit-elle simplement.
Et comme par le passé, elles se racontent toutes ces petites choses qui font une vie…
Il fait clair dans l’humble demeure de Jenny Moretz.