Je regardais à travers le hublot, me forçant à me souvenir des raisons qui m’avaient poussée à répondre à cette lettre. Elle s’était perdue au milieu de mon courrier habituel, entre les factures et les publicités. Je me souviens encore de mon étonnement lorsque j’avais vu le tampon de l’état sur l’enveloppe. Je l’ai lue et j’ai appris que le gouvernement préparait une mission confidentielle dénommée « VOYAGE ». Elle consistait à envoyer quelques humains sur une autre planète pour une durée déterminée de trois mois. Des participants étaient tirés au sort et un courrier leur était ensuite envoyé. A partir de sa réception, ils disposaient d’un délai de quatre jours pour y répondre et poser leurs candidatures au voyage, après quoi l’offre expirait.
Pendant les quatre jours octroyés, je suis passée par toutes les émotions. D’abord par l’excitation d’une nouvelle aventure, suivie par la peur de partir si loin de mes proches et des doutes qui ont rapidement cédé la place à ma curiosité. Au dernier moment, j’ai répondu à cette lettre en confirmant ma participation au projet « VOYAGE ». A partir de là, ma vie a changé.
J’ai dû déménager dans le centre de recherche spatiale du pays et j’y ai suivi un entraînement strict pendant deux mois au terme desquels j’allais être envoyée sur Viottie, une planète située à des millions de kilomètres de la Terre, avec trois autres personnes : Marc, Romain et Léa. Comme moi, ils avaient reçu une lettre à laquelle ils avaient répondu favorablement. A nous quatre, nous formions l’équipage de la fusée « IRIS 3 ». En deux mois, nous étions devenus un vrai groupe d’amis. A chaque fois que nous évoquions le départ, nous en parlions comme s’il s’agissait d’une sortie scolaire au zoo de la ville d’à côté alors que nous partions avec l’espoir de l’humanité sur nos épaules. Patrick, notre supérieur, avait été clair sur notre but, déterminer si cette planète était habitable ou non, et sur les enjeux de notre mission. En effet, cela faisait plusieurs années que les catastrophes climatiques s’enchainaient, des inondations avaient détruit des centaines de milliers de foyers, des tempêtes étaient recensées chaque jour, de plus en plus d’animaux étaient en voie d’extinction, … Face à l’urgence environnementale, tous les gouvernements s’étaient alliés et ils s’étaient rapidement mis à chercher une autre planète capable d’abriter 7 milliards d’habitants. Il y a peu, une planète prometteuse avait été découverte. Elle était située dans un autre système solaire et des traces d’eau y avaient été retrouvées.
Toutes ces informations étaient hautement confidentielles et, sous aucun prétexte, nous ne pouvions parler à nos proches de l’exil en préparation. Ainsi, les membres de ma famille pensaient que j’avais eu une opportunité de travail en Nouvelle-Zélande. Ils m’avaient tous encouragée à accepter l’offre, pensant seulement que je deviendrais meilleure en anglais et rencontrerais de nouvelles personnes.
Tout s’était accéléré les quelques jours précédant notre départ. Les dernières consignes nous avaient été données et nous n’avions plus droit à l’erreur.
*
Marc, Romain, Léa et moi-même sommes assis dans nos sièges respectifs à bord d’« IRIS 3 » et, avant d’avoir pu réaliser que c’était le point de non-retour, le vaisseau défiait les lois de la physique pour atteindre l’espace. A peine quelques minutes plus tard, nous étions tous les quatre en apesanteur.
Marc : Oh regardez, je peux voler !
Léa : C’est normal, nous avons quitté l’atmosphère.
Romain : Marc, arrête de te comporter comme un enfant.
Marc est le plus jeune d’entre nous, il a une vingtaine d’années. Il faisait des études de commerce sur Terre mais il ne les a jamais aimées. Petit, il rêvait d’être astronaute. Alors, quand il a reçu sa lettre, il n’a pas hésité une seconde. Léa est la plus sage de nous quatre, elle est trentenaire et est ingénieure. Elle travaillait dans une grande entreprise et ses journées étaient monotones. Cette lettre était l’opportunité rêvée pour s’échapper de son quotidien. Romain, quant à lui, a quarante et un ans. C’est le plus âgé d’entre nous et il fait attention à ce que tout se déroule bien. Il parle beaucoup et n’a pas peur de dévoiler des informations sur lui-même. Cela ne fait que deux mois que je l’ai rencontré mais j’ai l’impression de le connaître depuis des lustres. Lui non plus ne s’était pas posé beaucoup de questions en recevant sa lettre. Il y a directement répondu. J’ai l’impression d’être la seule à avoir hésité, à avoir pensé aux risques que comportait cette mission. Après tout, pourquoi n’était-elle pas réalisée par de vrais astronautes ?
Lorsque j’avais posé cette question à Patrick, il était resté discret mais il m’avait avoué qu’en envoyant de réels astronautes, la mission deviendrait officielle et que toute une démarche juridique internationale aurait dû être lancée. Tout cela aurait pris du temps, du temps que nous n’avions pas, m’avait-il dit. En envoyant des personnes qui ont suivi une formation mais qui ne disposent pas du titre d’astronaute, le gouvernement contournait toute la case administrative.
Dans le vaisseau, nous avions du temps à tuer. Nous n’allions pas atteindre notre destination avant cinq jours.
Romain : C’est bon, nous sommes sur la bonne trajectoire et le pilote automatique est activé. Direction Viottie tout le monde.
Marc : Vous pensez qu’on va passer à la télé en revenant ? Ou non, mieux ! Vous pensez que nos noms seront dans les manuels d’histoire ? Imaginez un peu : « Marc Trujeau, astronaute malgré lui : voici comment il a apprivoisé Viottie ».
Léa : Tu n’es pas tout seul Marc.
Moi : Sans nous, tu serais capable de te tromper de planète.
Marc : Je suis sûr que je m’en rendrais compte à temps, Ambre. Ou du moins je l’espère.
Tout le monde se mit à rire. Après tant de préparation, nous étions en route vers Viottie.
* Trois jours plus tard *
Nous sommes à mi-chemin, à des millions de kilomètres de chaque planète. A chaque fois que je regarde par le hublot, je vois le noir profond du vide dans lequel des astéroïdes ont l’air de se plaire. Nous avons d’ailleurs failli en heurter un. Romain avait laissé les rênes d’IRIS 3 à Marc et, nous ignorons encore comment, il a réussi à ce que le vaisseau fonce tout droit sur un astéroïde. La peur de ma vie. Heureusement, Léa le surveillait et elle est intervenue. Nous nous sommes tous mis d’accord pour que Marc ne touche plus aux commandes. C’était bien trop dangereux. Mais à part cette frayeur, le voyage se passe bien. Nous ne sommes plus en relation directe avec la Terre car nous avons changé depuis quelques heures de système solaire. Nous avions été prévenus que notre communication serait interrompue.
* Deux jours plus tard *
Moi : Je vois Viottie, la voilà !
Léa : Oui ! Je peux aussi la voir !
Marc : Ah bon, on la voit ?! Où ça ?
Romain : Enfin Marc elle juste là. Ouvre tes yeux !
Marc : C’est bon je l’ai vue ! Elle est magnifique !
Viottie se trouvait là, juste devant nous. Elle était rose, parsemée de tâches bleues et entourée d’un anneau un peu plus clair. Elle faisait près de cinq fois la superficie de la Terre et plus nous nous en approchions, plus elle devenait imposante.
Léa : Où allons-nous aviottir ?
Moi : Pourquoi pas sur cette plaine ?
Je montre du doigt une surface plutôt plane.
Romain : Oui, ça m’a l’air très bien.
Une fois l’engin posé, nous sommes tous les quatre sortis du vaisseau. Comme nous l’avions attendu, nous n’avions pas besoin de bonbonnes d’oxygène, il y en avait déjà sur Viottie. Les vraies explorations allaient commencer le lendemain car la nuit était déjà en train de tomber.
Marc : Vous avez vu cette terre rose ? Et j’ai l’impression qu’il y a un lac un peu plus loin. J’ai tellement hâte de faire visiter cet endroit à mes proches.
Léa : Chaque chose en son temps, allons dormir et émerveillons-nous demain.
Nous sommes tous allés dormir, loin de nous douter de ce qui allait nous arriver.
Le matin suivant, Marc s’est réveillé en sursaut après avoir entendu du bruit et il a juré avoir vu une silhouette à travers le hublot.
Marc : Nous ne sommes pas seuls ! J’ai vu un quelqu’un !
Léa : Comment ça ?
Marc : Il y a de la vie sur cette planète, j’en suis certain !
Romain : Les scientifiques l’auraient découverte, Marc. Il n’y a pas de vie ici.
Moi : Et si nous vérifions ?
Marc : Oui, vérifions ! Sortez tous avec moi et vous vous rendrez compte que je ne suis pas fou.
Nous sommes tous descendus de la navette.
Romain : Tu vois, il n’y a personne ici.
Il se retourna et se retrouva nez à nez avec une créature ressemblant à un humain. Derrière lui, se trouvait une dizaine d’autres individus. Leur aspect ressemblait à s’y méprendre à celui des humains. C’était très déroutant.
Marc : Bonjour, nous ne vous voulons aucun mal.
Léa : Enfin Marc, ils ne parlent surement pas français.
Philippe : A vrai dire je vous comprends Madame. Bienvenue, je m’appelle Pierre.
Pendant que Romain essayait de réveiller Marc qui était tombé dans les pommes et que Léa et moi nous regardions abasourdies, notre hôte continua.
Pierre : J’espère que votre voyage s’est bien passé. Suivez-moi, je vais vous faire visiter.
Nous avons suivi ses pas, sans trop nous poser de questions. Après quelques minutes de marche, nous sommes arrivés aux portes d’une forêt. Pierre a prononcé une phrase dans une langue inconnue et soudain, des branchages se sont ouverts, laissant apparaitre un chemin sinueux en pierres. Au fur et à mesure que nous nous enfoncions dans le bois, de plus en plus de détails se révélaient à nous. Peu importe où nos yeux se posaient, nous étions émerveillés. Dans les cimes des arbres, se trouvaient des cabanes en harmonie avec la nature. Des passerelles reliaient les différents logements entre eux. Au sol, des constructions en terre peuplaient le paysage. Des oiseaux exotiques volaient de toutes parts. Par moment, ce que je comparerais à un arc-en-ciel apparaissait dans le ciel et l’illuminait instantanément.
Philippe : Vous devez avoir faim. Je vous présente Dominique, notre épicière. Dominique : Servez-vous, tout est comestible.
Dominique a bien fait de le préciser car ce qui se trouvait autour de nous avait soit une forme, soit une couleur fantaisiste. Je me suis laissé tenter par deux aliments, l’un était bleu canard et l’autre était rose bonbon. Je les ai mangés et tous deux étaient exquis.
Marc : Excusez-moi, combien coûte cela ?
Dominique : Cou-quoi ?
Pierre : Ici, rien n’est payant. Tout est gratuit, que ce soient les aliments, les logements ou quoi que ce soit d’autre, nous vivons en communauté. Tout le monde a les mêmes droits. Nous vivons également en symbiose avec notre nature. Elle nous fournit tout ce dont nous avons besoin : de la nourriture, un abri, de l’oxygène, etc… Ici, tout le monde la connaît par cœur et elle est au centre de nos programmes d’études.
Moi : Votre accueil est très chaleureux mais pourquoi nous recevoir de la sorte ? Après tout, nous sommes des étrangers.
Pierre : Mais nous sommes là pour ça ! Et je sais que vous êtes des terriens, vous n’êtes pas les premiers à être arrivés ici.
Moi : Par curiosité, comment appelez-vous votre planète ?
Pierre : Ça dépend. Elle est divisée en deux parties, en fait. Ce côté-ci, nous l’appelons le Paradis, l’autre est inhabitable, une vraie pénitence. Nous l’appelons l’Enfer…