En ce début de soirée, je sors de la voiture avec mon fidèle ami Jay pour aller manger dans l’un des rares endroits dans cette ville qui ne soit pas remplacé par du virtuel, le restaurant « El Padrino ». Nous nous installons à une table, commandons nos plats de nachos et nos verres de Coca. Alors que je débats pour la énième fois du monde aberrant dans lequel nous vivons, je vois aux infos ce que je considère comme une nouvelle offre de travail. La prime pour le criminel le plus recherché des Etats-Unis d’Amérique connu sous le nom de Don Neto s’élève à 25,91 bitcoins ce qui valait un million de dollars, il y a quelques années de cela. Cette annonce m’intéresse au plus haut point et me procure l’excitation des joueurs de casino qui peuplaient, il y a longtemps, les hôtels de Vegas. Notre plat encore à moitié rempli, je traîne Jay hors du restaurant et le fait monter dans la BMW I8. Moi qui jusque-là n’avais attrapé que quelques criminels miteux qui ne valaient qu’un petit bitcoin et avait erré dans l’attente qu’une offre alléchante tombe du ciel, je trouve enfin une opportunité à saisir.
Avant de me lancer dans ma quête, je dois envoyer un document au gouvernement pour pouvoir exercer mes activités en toute légalité. Dans celui-ci, en plus de toutes les banalités administratives, j’explique que je m’appelle Jack Carter, que je suis un chasseur de prime réputé dans la région et que je m’engage à ramener Don Neto mort ou vif, comme ils disent. Il ne reste plus qu’à attendre le feu vert. Même si les gens me considèrent comme un chasseur de prime sans morale, je préfère le terme d’auxiliaire de justice qui me parait plus respectable. Mon ami Jay, lui, n’est pas de ce monde-là. À la base, il travaille dans des galeries d’art consacrées aux Nfts mais il m’accompagne de temps en temps dans mes enquêtes. Contrairement à moi, il adore notre monde. Je m’efforce d’essayer de le comprendre mais rien n’y fait, il m’est impossible de ne pas regretter la belle époque d’il y a 25 ans. Maintenant, la technologie est omniprésente, la plupart des humains sont prisonniers de leur monde virtuel dont ils ne sortent quasiment jamais. Et pendant ce temps, les robots s’occupent de leur travail, des systèmes de sécurité connectés s’échangent des données et permettent de surveiller absolument tout. Les membres de notre gouvernement eux-mêmes commencent à se faire remplacer par des machines. Cela dit, même si la police n’existe presque plus, il y a encore des criminels profitant des failles du système pour semer la zizanie. Et c’est dans le cas de ces gens-là que j’interviens. En ce qui concerne notre homme, Don Neto, dans le monde virtuel, c’est un homme d’affaire qui augmente les prix de ses produits de façon considérable à la dernière seconde de la transaction. Le client est souvent obligé de s’endetter, ce qui ne plaît pas à ce dernier et il se fait donc tuer dans la vraie vie par le criminel qui peut ainsi le dépouiller de tous ses biens. Une fois ma tâche accomplie, tout le monde sera content. J’aurai mon argent et le gouvernement n’aura plus à s’inquiéter de cet abominable bandit.
Nous reprenons la route vers Ether city, qui était jadis la célèbre Los Angeles, pour nous rendre sur un lieu de crime qu’un de mes nombreux indics m’a signalé. Jay et moi marchons une dizaine de minutes, montons les escaliers et arrivons devant la porte de l’appartement indiqué. Plusieurs indices inquiétants sont présents sur les lieux, il y a des taches de sang, la porte est ouverte et on ne trouve plus aucun matériel informatique. Nous décidons de nous séparer pour inspecter l’habitation. Du côté de Jay, rien ne semble étrange et il n’y a aucun indice, d’après lui. Du mien, je ne trouve pas grand-chose non plus mais juste avant de partir, je découvre un morceau de papier sur lequel est écrite une liste de trois adresses. Satisfait de ma trouvaille, je m’en vais retrouver mon ami dans la voiture et lui montre la liste. Nous savons ce qu’il nous reste à faire, nous allons visiter les deux autres adresses restantes en espérant trouver d’autres indices. Et justement, dans la suivante, même scénario que dans la première sauf le fait qu’il reste un ordinateur. Je passe plus d’une demi-heure dessus en utilisant toutes mes bonnes techniques d’hacker « vintage » et fouille chaque document qui pourrait m’être utile. Un en particulier attire mon attention car une transaction mène à un serveur inhabituel. Mon instinct me dit qu’avant d’aller à la dernière adresse, nous devons faire une halte à la position de ce serveur. Durant le trajet, Jay me semble stressé et très soucieux mais il me raconte qu’il doit gérer une exposition d’une grande importance ce soir pour son travail. Je comprends et le laisse partir.
Après avoir sauté par-dessus plusieurs barrières et détruit des caméras de surveillance, je suis en face du serveur en question et cherche des pistes. Je tombe sur une liste de 5000 nouvelles adresses, je n’ai pas le temps de toutes les éplucher. J’installe donc un logiciel qui va le faire à ma place mais il y a un hic, cela va durer au moins une heure. Je laisse ma voiture sur place et décide d’aller faire un tour en ville pour aller à la pêche aux informations. Downtown, je rentre dans un café et y rencontre de vieilles connaissances. Ces derniers me racontent que dans un immeuble du quartier, il y a un appartement qui fait beaucoup de bruit certains soirs. Il en sort alors de la vapeur, comme si l’habitation entière surchauffait. Et surtout, alors que dans notre ère tout le monde peut connaitre des tonnes d’informations sur quelqu’un en quelques clics, ici, l’appartement en question est associé à une vingtaine de noms différents, ce qui n’est pas anodin. Quand je reviens vers l’endroit où j’ai laissé mon véhicule, je le retrouve avec tous les pneus dégonflés, déchirés par des coups de couteau. Quelqu’un veut me ralentir et je comprends que ma cible commence à sentir ma présence, c’est une preuve que je suis sur la bonne piste. Le logiciel a fini d’effectuer sa mission et confirme les informations, l’adresse correspond. Je vole une moto qui trainait sur un parking et fonce en direction de la 13ème avenue. Le passage pour y accéder est bloqué par des travaux et je suis forcé de passer par une vieille usine abandonnée. Tout ce périple pour arriver à un simple appartement me fait penser que j’approche d’une activité louche. Devant l’entrée, je frappe à la porte mais aucune réponse, je décide de la défoncer et entre brutalement dans la pièce. Le criminel était ici il y a peu, des ordinateurs sont encore allumés, tout est en désordre et une fenêtre est ouverte. Je jette un coup d’œil et vois une personne courir sur les toits. Sans avoir le temps de réfléchir, je saute par la fenêtre et fonce à sa poursuite. Pendant que je cours, j’essaie de joindre Jay par tous les moyens mais il ne répond pas. Je ne peux compter que sur moi-même pour en finir mais quand on a une telle somme d’argent au bout des doigts, il ne faut pas hésiter à se salir les mains. Une fois assez proche de ma cible, je pense pouvoir rattraper le fuyard mais Don Neto saute, tel un acrobate, et s’agrippe à un drone taxi. Ne pouvant le laisser filer, j’en fais de même et m’accroche à un autre drone. Nous sommes dans les airs au-dessus de la ville et nous dirigeons vers l’océan. Nos engins respectifs nous lâchent dans les eaux et nous nageons comme des fous vers la plage. Je veux arrêter cette course-poursuite qui a bien assez duré. Sur l’étendue de sable, alors que je le course, il trébuche sur un vieux parasol puis tente de se relever, mais je sors mon pistolet et tire. Mort ou vif, qu’ils disaient…
Un coup de feu résonne dans la métropole. Don Neto s’écroule et quelque chose est projeté loin de sa tête. Dans l’obscurité, il est difficile de voir son visage. Je m’approche et à cinq mètres de lui, je tombe sur un « ID-MASK », une puce technologique qui se place sur le visage et qui permet d’imiter la face de n’importe qui. L’envie de connaitre la personne qui se cachait sous ce masque m’envahit. Je suis à présent debout devant le corps, je le retourne et découvre un homme dont je ne connais que trop bien l’identité. Cette révélation me rappelle une phrase qu’un vieil ami m’avais dite autrefois : « Il faut prendre du recul pour avoir conscience de ce qui nous entoure ». Je m’assois sur la plage, regarde l’océan et me dis qu’avec une partie des bitcoins gagnés, je ferai installer une sculpture représentant un casque de réalité virtuelle et cela à l’endroit même où sa vie a pris fin. Sur le socle sera écrit « Jay Johnson : un escroc que l’argent a rendu accro ». C’était mon copain, après tout…