New York, mardi 10 novembre 2082. Victor.
Je tourne en rond, je remonte encore une fois les marches du Metropolitan Museum of Art. 18 h 55. Alexia devrait être là d’ici cinq minutes. Comment sera-t-elle habillée ? Suis-je assez élégant ? Trop ? Je redescends les marches. 18 h 57. Mon estomac se serre, je déteste la situation dans laquelle je me suis fourré. D’ici trois heures, tout sera terminé. On ne pourra plus faire demi-tour. 18 h 59. Je ne tiens plus en place. Mes doigts serrent le flacon dans ma poche. Vais-je y arriver ? Je ferme les yeux et me concentre sur mon objectif. Je vois enfin Alex arriver, il est 19 h 02, elle est splendide. Elle arrive vers moi avec un immense sourire. Je fonds, qu’est ce qui m’a pris de tomber sous son charme ? Que penserait ma princesse si elle apprenait que j’étais tombé amoureux d’une autre ? Je me rassure, elle n’aura jamais à le savoir. Quelques gouttelettes dans le verre d’Alexia et tout sera fini.
*
Paris, mercredi 11 novembre 2082. Antoine.
« Le corps d’une jeune femme a été retrouvé sans vie cette nuit dans les toilettes d’un restaurant étoilé de l’Upper East Side à New York. L’identité du tueur demeure inconnue, mais les enquêteurs ont pu déterminer que la victime de vingt-quatre ans n’était pas là par hasard, elle y avait manifestement un rend… »
Je branche ma musique. On nous bassine avec cette histoire de meurtre depuis ce matin, à la télé, aux nouvelles, dans mes notifications et maintenant à la radio, dans le métro. Dans deux arrêts, j’arriverai enfin au Panthéon. J’entends déjà Marg’ râler : « Ant’, il est 8 h 20 qu’est-ce que t’as foutu ? On a cours dans dix minutes ! La prochaine fois, je ne t’attends plus. » Trois ans que Margaux menace de partir sans moi. Trois ans que j’arrive en retard et trois ans qu’elle est toujours là à m’attendre. Depuis qu’on sort ensemble, on passe tout notre temps à deux. Inséparables. 8 h 21, le métro atteint la lumière de la station. Je sors. Étrangement, je ne vois pas Margaux. Aurait-elle décidé de partir sans moi ? Cela m’étonnerait… Je l’appelle pour en avoir le cœur net. Je tombe sur son répondeur. Zut. Tant pis, plus le temps, je cours.
Il est 8 h 33 quand j’entre dans le grand amphithéâtre. Je balaye la salle du regard, mais je n’aperçois pas Margaux. Je m’assieds à côté d’un type qui a l’air vachement concentré. Je m’étonne, ce gars écrit au stylo sur un bloc de feuilles. Il doit être le seul de cet amphi à encore avoir ce genre d’habitude. Déjà à l’époque de ma mère, c’était dépassé. J’ouvre mon iWork Pro, ce bijou de technologie qui, couplé à nos lentilles connectées, nous permet de tout enregistrer du cours.
*
New York, mardi 10 novembre 2082. Victor.
Alexia m’embrasse, je l’enlace et nous nous dirigeons vers le Daniel, l’un des meilleurs restaurants de l’Upper East Side. J’ai hâte de voir la tête d’Alexia quand elle comprendra que c’est là que nous dînons ce soir. Je le lui dois bien, elle mérite de passer une soirée exceptionnelle. Je lui dois tout, je dois la chérir, la chérir puis la tuer. Je guide Alexia vers la porte d’entrée, elle se retourne et me fixe, les yeux écarquillés : « Wow ! C’était ça la surprise ? Le meilleur gastro de la ville ? T’es fou, Victor ! » Je pense ma réponse si fort qu’elle pourrait l’entendre, « Oui mon Alex, je suis fou, fou de remords, fou d’anxiété, fou d’amour. Et c’est pour ça qu’il faut en finir. »
Nous entrons dans le restaurant, l’air d’amoureux éperdus. Si seulement c’était possible.
*
Paris, mercredi 11 novembre 2082. Antoine.
Le prof de mécatronique enlève ses lunettes. « Le cours est terminé, je vous souhaite à tous une belle après-midi. » Enfin ! Je ne tenais plus en place. Je tente à nouveau de joindre Marg’. Toujours pas de réponse. Je n’ai aucune envie de déjeuner seul. Il fait magnifique pour un mois de novembre, le ciel est bleu et le Panthéon face à moi semble rayonner, ses murs comme dorés par le soleil. J’aurais aimé que Margaux soit là, qu’on aille chercher des sushis et qu’on aille s’asseoir dans le Jardin du Luxembourg en profitant de ce moment. La tête ailleurs, je bouscule un passant, une puce-info tombe de son manteau. Je la ramasse, mais l’homme est déjà loin. J’active la puce, l’hologramme surgit du creux de ma main : « Le mystère du crime du Daniel de l’Upper East Side reste entier. Les enquêteurs pensent qu’il devait s’agir d’un couple en rendez-vous amoureux. Les analyses de la victime révèlent une intoxication, Alexia Trente a été victime d’un empoisonnement. Les enq… » Je coupe la puce. Pourquoi cette affaire prend-elle autant d’importance ? Je marche vers la station de métro. J’ai pris une décision, je dois aller rejoindre Margaux chez elle. Je suis pris d’un doute, je dois en avoir le cœur net.
*
New York, mardi 10 novembre 2082. Victor.
« Émulsion de truffe sur son lit de grillons grillés et d’asperges » Alexia commande son entrée pendant que je fais tourner mon flacon entre mes doigts, sous la table. Trois gouttes de cyanure suffiront. Le dîner passe, on rit, on se projette… J’en oublie presque mes intentions. J’agis. Je lance les clés de ma voiture discrètement sous la table, elles tombent pile sous la chaise d’Alexia. Parfait. Elle remarque le bruit sourd de mes clés tombées et se baisse pour les ramasser, deux secondes, pile le temps nécessaire pour verser le contenu de mon flacon dans son verre. Trois gouttes. Indétectable. « Tiens, tes clés. » Mission accomplie.
Les remords me tordent le ventre. Je ne pourrais plus rien avaler, je suis dégoûté par mon acte. Alex doit s’en rendre compte car elle s’inquiète, elle me demande si tout va bien. « Ce doit être la langoustine de synthèse qui est mal passée. » L’arrivée de la serveuse fait office de diversion. Je lui commande un excellent cépage, une bouteille de rouge, un bordeaux, mon préféré ; un château Margaux.
*
Paris, mercredi 11 novembre 2082. Antoine.
Je marche droit vers chez Margaux. Je sonne. On m’ouvre, c’est madame Angeli, sa maman :
– Buongiorno, Tonio mio ! Comment tu vas ?
Je lui explique que je viens voir Margaux.
– Je suis désolée, Tonio, mais Margarita n’est pas bien aujourd’hui. Elle se repose.
– Ah. Oh. Euh, est-ce que je peux aller la voir ?
– Non, désolée, il vaut mieux que tu rentres chez toi pour l’instant.
Super. Merci. Je m’en vais, je ne comprends pas. Quelque chose cloche, Margaux m’aurait prévenu, elle ne veut pas me voir ? Qu’est ce qui lui arrive ? Soudain, une voix m’interpelle, c’est à nouveau madame Angeli. « Son avatar Méta s’est fait assassiner, Antoine… » La nouvelle me fait l’effet d’une bombe. J’ai l’impression que mon cœur va exploser dans ma poitrine. Je vois une ombre passer sur le visage de madame Angeli, elle est dévastée. La deuxième personnalité de Margaux est morte. Son identité du Métaverse est morte. Elle ne vivra désormais plus que sur Terre, elle n’aura plus jamais accès au Méta. Je comprends son absence d’aujourd’hui, elle est en deuil. Tout s’éclaire. La victime de l’Upper East Side, cette Alexia, c’était le personnage Méta de Margaux.
Je rentre chez moi en repensant à la situation. Je suis assommé par cette nouvelle, je n’arrive plus à réfléchir, mes pensées tournent à mille à l’heure. Je me pose sur mon lit. J’ouvre mon tiroir, je prends mon casque. J’ai besoin de me changer les idées, de m’évader, loin, loin, de l’autre côté de l’Atlantique.
*
New York, mardi 10 novembre 2082. Victor.
« Château Margaux, Bordeaux, 2031, rouge. » La serveuse dépose le vin sur la table après me l’avoir fait goûter. C’est maintenant que tout se joue. Il ne me reste plus qu’à servir Alexia, Alexia qui me regarde avec ses yeux doux. Je laisse couler lentement le liquide carmin dans son verre. Elle ne se doute de rien. Je l’observe y tremper ses lèvres, mon Alexia, si naïve, si innocente. Le château Margaux la tue sur le coup. Ma passion pour une autre l’aura tuée. Je devais choisir. Margaux.
*
Paris, mercredi 11 novembre 2082. Antoine.
« Le Métaverse est en cours de chargement. » Mon casque se connecte à Méta. Enfin, le monde s’ouvre Me revoilà dans les rues de l’Upper East Side, je porte encore mon costume de la veille. Mon pseudo est affiché en bas à gauche de mon champ de vision. « Victor105 », Victor, mon deuxième prénom, l’acteur de ma seconde vie. Rien qu’à la vue de mon avatar, je suis écœuré, j’ai commis l’irréparable. Comment aurais-je pu envisager l’éventualité, l’infime probabilité qu’Alexia soit le pseudo de Margaux. Si j’avais su, je n’aurais pas eu à faire ce choix. Une voiture de police passe dans la rue parallèle, sirènes hurlantes. Et je prends conscience de la situation : je suis recherché, ma tête, ou du moins celle de Victor, est mise à prix.
Ma décision est prise ; je dois mourir. Je ne veux plus vivre dans le Métaverse. Cette vie digitale est toxique. Et cet anonymat, tout le monde qui mène une double vie, indépendamment de sa propre existence sur Terre, la seule qui compte… La vraie vie, voilà l’essentiel. J’envie le temps d’avant, le temps où l’on vivait les pieds sur terre. Méta a pris des proportions démesurées. Je vois le tram à aimants arriver. Je me jette sur la voie. Ma vision s’obscurcit. J’ôte mon casque. Je suis par terre, dans ma chambre parisienne. Victor 105 n’existe plus. Plus que mon vrai moi, au diable le Métaverse. Il n’y a plus que Margaux et Antoine. Elle et moi, à deux, sur la vraie Terre…
New York, mardi 10 novembre 2082. Victor.
Je tourne en rond, je remonte encore une fois les marches du Metropolitan Museum of Art. 18 h 55. Alexia devrait être là d’ici cinq minutes. Comment sera-t-elle habillée ? Suis-je assez élégant ? Trop ? Je redescends les marches. 18 h 57. Mon estomac se serre, je déteste la situation dans laquelle je me suis fourré. D’ici trois heures, tout sera terminé. On ne pourra plus faire demi-tour. 18 h 59. Je ne tiens plus en place. Mes doigts serrent le flacon dans ma poche. Vais-je y arriver ? Je ferme les yeux et me concentre sur mon objectif. Je vois enfin Alex arriver, il est 19 h 02, elle est splendide. Elle arrive vers moi avec un immense sourire. Je fonds, qu’est ce qui m’a pris de tomber sous son charme ? Que penserait ma princesse si elle apprenait que j’étais tombé amoureux d’une autre ? Je me rassure, elle n’aura jamais à le savoir. Quelques gouttelettes dans le verre d’Alexia et tout sera fini.
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Paris, mercredi 11 novembre 2082. Antoine.
« Le corps d’une jeune femme a été retrouvé sans vie cette nuit dans les toilettes d’un restaurant étoilé de l’Upper East Side à New York. L’identité du tueur demeure inconnue, mais les enquêteurs ont pu déterminer que la victime de vingt-quatre ans n’était pas là par hasard, elle y avait manifestement un rend… »
Je branche ma musique. On nous bassine avec cette histoire de meurtre depuis ce matin, à la télé, aux nouvelles, dans mes notifications et maintenant à la radio, dans le métro. Dans deux arrêts, j’arriverai enfin au Panthéon. J’entends déjà Marg’ râler : « Ant’, il est 8 h 20 qu’est-ce que t’as foutu ? On a cours dans dix minutes ! La prochaine fois, je ne t’attends plus. » Trois ans que Margaux menace de partir sans moi. Trois ans que j’arrive en retard et trois ans qu’elle est toujours là à m’attendre. Depuis qu’on sort ensemble, on passe tout notre temps à deux. Inséparables. 8 h 21, le métro atteint la lumière de la station. Je sors. Étrangement, je ne vois pas Margaux. Aurait-elle décidé de partir sans moi ? Cela m’étonnerait… Je l’appelle pour en avoir le cœur net. Je tombe sur son répondeur. Zut. Tant pis, plus le temps, je cours.
Il est 8 h 33 quand j’entre dans le grand amphithéâtre. Je balaye la salle du regard, mais je n’aperçois pas Margaux. Je m’assieds à côté d’un type qui a l’air vachement concentré. Je m’étonne, ce gars écrit au stylo sur un bloc de feuilles. Il doit être le seul de cet amphi à encore avoir ce genre d’habitude. Déjà à l’époque de ma mère, c’était dépassé. J’ouvre mon iWork Pro, ce bijou de technologie qui, couplé à nos lentilles connectées, nous permet de tout enregistrer du cours.
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New York, mardi 10 novembre 2082. Victor.
Alexia m’embrasse, je l’enlace et nous nous dirigeons vers le Daniel, l’un des meilleurs restaurants de l’Upper East Side. J’ai hâte de voir la tête d’Alexia quand elle comprendra que c’est là que nous dînons ce soir. Je le lui dois bien, elle mérite de passer une soirée exceptionnelle. Je lui dois tout, je dois la chérir, la chérir puis la tuer. Je guide Alexia vers la porte d’entrée, elle se retourne et me fixe, les yeux écarquillés : « Wow ! C’était ça la surprise ? Le meilleur gastro de la ville ? T’es fou, Victor ! » Je pense ma réponse si fort qu’elle pourrait l’entendre, « Oui mon Alex, je suis fou, fou de remords, fou d’anxiété, fou d’amour. Et c’est pour ça qu’il faut en finir. »
Nous entrons dans le restaurant, l’air d’amoureux éperdus. Si seulement c’était possible.
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Paris, mercredi 11 novembre 2082. Antoine.
Le prof de mécatronique enlève ses lunettes. « Le cours est terminé, je vous souhaite à tous une belle après-midi. » Enfin ! Je ne tenais plus en place. Je tente à nouveau de joindre Marg’. Toujours pas de réponse. Je n’ai aucune envie de déjeuner seul. Il fait magnifique pour un mois de novembre, le ciel est bleu et le Panthéon face à moi semble rayonner, ses murs comme dorés par le soleil. J’aurais aimé que Margaux soit là, qu’on aille chercher des sushis et qu’on aille s’asseoir dans le Jardin du Luxembourg en profitant de ce moment. La tête ailleurs, je bouscule un passant, une puce-info tombe de son manteau. Je la ramasse, mais l’homme est déjà loin. J’active la puce, l’hologramme surgit du creux de ma main : « Le mystère du crime du Daniel de l’Upper East Side reste entier. Les enquêteurs pensent qu’il devait s’agir d’un couple en rendez-vous amoureux. Les analyses de la victime révèlent une intoxication, Alexia Trente a été victime d’un empoisonnement. Les enq… » Je coupe la puce. Pourquoi cette affaire prend-elle autant d’importance ? Je marche vers la station de métro. J’ai pris une décision, je dois aller rejoindre Margaux chez elle. Je suis pris d’un doute, je dois en avoir le cœur net.
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New York, mardi 10 novembre 2082. Victor.
« Émulsion de truffe sur son lit de grillons grillés et d’asperges » Alexia commande son entrée pendant que je fais tourner mon flacon entre mes doigts, sous la table. Trois gouttes de cyanure suffiront. Le dîner passe, on rit, on se projette… J’en oublie presque mes intentions. J’agis. Je lance les clés de ma voiture discrètement sous la table, elles tombent pile sous la chaise d’Alexia. Parfait. Elle remarque le bruit sourd de mes clés tombées et se baisse pour les ramasser, deux secondes, pile le temps nécessaire pour verser le contenu de mon flacon dans son verre. Trois gouttes. Indétectable. « Tiens, tes clés. » Mission accomplie.
Les remords me tordent le ventre. Je ne pourrais plus rien avaler, je suis dégoûté par mon acte. Alex doit s’en rendre compte car elle s’inquiète, elle me demande si tout va bien. « Ce doit être la langoustine de synthèse qui est mal passée. » L’arrivée de la serveuse fait office de diversion. Je lui commande un excellent cépage, une bouteille de rouge, un bordeaux, mon préféré ; un château Margaux.
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Paris, mercredi 11 novembre 2082. Antoine.
Je marche droit vers chez Margaux. Je sonne. On m’ouvre, c’est madame Angeli, sa maman :
– Buongiorno, Tonio mio ! Comment tu vas ?
Je lui explique que je viens voir Margaux.
– Je suis désolée, Tonio, mais Margarita n’est pas bien aujourd’hui. Elle se repose.
– Ah. Oh. Euh, est-ce que je peux aller la voir ?
– Non, désolée, il vaut mieux que tu rentres chez toi pour l’instant.
Super. Merci. Je m’en vais, je ne comprends pas. Quelque chose cloche, Margaux m’aurait prévenu, elle ne veut pas me voir ? Qu’est ce qui lui arrive ? Soudain, une voix m’interpelle, c’est à nouveau madame Angeli. « Son avatar Méta s’est fait assassiner, Antoine… » La nouvelle me fait l’effet d’une bombe. J’ai l’impression que mon cœur va exploser dans ma poitrine. Je vois une ombre passer sur le visage de madame Angeli, elle est dévastée. La deuxième personnalité de Margaux est morte. Son identité du Métaverse est morte. Elle ne vivra désormais plus que sur Terre, elle n’aura plus jamais accès au Méta. Je comprends son absence d’aujourd’hui, elle est en deuil. Tout s’éclaire. La victime de l’Upper East Side, cette Alexia, c’était le personnage Méta de Margaux.
Je rentre chez moi en repensant à la situation. Je suis assommé par cette nouvelle, je n’arrive plus à réfléchir, mes pensées tournent à mille à l’heure. Je me pose sur mon lit. J’ouvre mon tiroir, je prends mon casque. J’ai besoin de me changer les idées, de m’évader, loin, loin, de l’autre côté de l’Atlantique.
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New York, mardi 10 novembre 2082. Victor.
« Château Margaux, Bordeaux, 2031, rouge. » La serveuse dépose le vin sur la table après me l’avoir fait goûter. C’est maintenant que tout se joue. Il ne me reste plus qu’à servir Alexia, Alexia qui me regarde avec ses yeux doux. Je laisse couler lentement le liquide carmin dans son verre. Elle ne se doute de rien. Je l’observe y tremper ses lèvres, mon Alexia, si naïve, si innocente. Le château Margaux la tue sur le coup. Ma passion pour une autre l’aura tuée. Je devais choisir. Margaux.
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Paris, mercredi 11 novembre 2082. Antoine.
« Le Métaverse est en cours de chargement. » Mon casque se connecte à Méta. Enfin, le monde s’ouvre Me revoilà dans les rues de l’Upper East Side, je porte encore mon costume de la veille. Mon pseudo est affiché en bas à gauche de mon champ de vision. « Victor105 », Victor, mon deuxième prénom, l’acteur de ma seconde vie. Rien qu’à la vue de mon avatar, je suis écœuré, j’ai commis l’irréparable. Comment aurais-je pu envisager l’éventualité, l’infime probabilité qu’Alexia soit le pseudo de Margaux. Si j’avais su, je n’aurais pas eu à faire ce choix. Une voiture de police passe dans la rue parallèle, sirènes hurlantes. Et je prends conscience de la situation : je suis recherché, ma tête, ou du moins celle de Victor, est mise à prix.
Ma décision est prise ; je dois mourir. Je ne veux plus vivre dans le Métaverse. Cette vie digitale est toxique. Et cet anonymat, tout le monde qui mène une double vie, indépendamment de sa propre existence sur Terre, la seule qui compte… La vraie vie, voilà l’essentiel. J’envie le temps d’avant, le temps où l’on vivait les pieds sur terre. Méta a pris des proportions démesurées. Je vois le tram à aimants arriver. Je me jette sur la voie. Ma vision s’obscurcit. J’ôte mon casque. Je suis par terre, dans ma chambre parisienne. Victor 105 n’existe plus. Plus que mon vrai moi, au diable le Métaverse. Il n’y a plus que Margaux et Antoine. Elle et moi, à deux, sur la vraie Terre…