14 jours avant le jour J
Combien de temps veux-tu vivre ? Cette question inimaginable est pour moi un réel dilemme. Je m’appelle Raphaël. Dans deux semaines, j’aurai seize ans. Banal ? Pas pour nous, habitants de Candide, une petite ville éloignée de tout. Une règle détermine en effet notre espérance de vie. Depuis notre naissance, nous sommes dirigés par des hommes haut placés que l’on nomme les hommes en noir. En raison de la surpopulation, ils ont édicté une loi : le jour de ses seize ans, chaque habitant doit décider de son temps de vie. En fonction de sa décision, des aménagements sont prévus : décidez de vivre quinze ans, et richesse et bonheur seront assurés. En revanche, le choix d’une vie éternelle s’accompagnera de pauvreté, de solitude et de malheur. Un choix intermédiaire existe : quarante-cinq ans. Ce destin, choisi par la majorité, implique une vie de famille ainsi qu’un salaire confortables, et un quotidien accablé de soucis épars et raisonnables.
Je n’ai pas encore choisi. Probablement devrais-je suivre l’exemple de mes parents : tous deux ont fait le choix médian. Une autre décision risquerait de les décevoir, moi qui suis leur seul enfant.
À ma naissance, j’avais été leur espoir. Je suis à présent leur désespoir. Alors qu’enfant, ils étaient ma seule référence, j’ai fini par comprendre dans quel monde nous vivions. Et surtout, qu’ils ne faisaient rien pour l’améliorer. À mes yeux, mes parents ne sont rien de plus que de simples respirations de plus dans l’univers. Vivre ici, dans ces circonstances, ne m’intéresse pas. Mais au-delà de cette cage, au loin, je sais qu’il existe d’autres populations qui ne vivent pas dans la peur et l’inquiétude. Des villes où personne ne doit poser de choix impossibles.
Les jours défilent et mon anniversaire approche. Je ne suivrai pas le chemin qui a été tracé. Je me révolterai contre le système. Le jour de mes seize ans, je partirai loin. Loin de cette ville, à la recherche du bonheur.
Quelques jours après le jour J
Je n’avais plus que deux pas à faire. Cette phrase tourne en boucle dans ma tête. J’en deviens fou, enfermé dans cette pièce sombre à espérer entrevoir la lumière, fût-ce quelques secondes. Il faut que je sorte de cette pièce. Non plus pour m’enfuir de cette ville, mais pour la sauver.
Avant les derniers pas, j’étais confiant, je me voyais déjà loin de ce monde, j’étais plein d’espoir. Je voyais une lumière blanche, celle qui me guiderait vers le bonheur. Mais ce n’était pas le bon phare : ce n’était que le signal qui me rappelait que je ne pouvais échapper à mon destin. Cette lumière provenait des phares de leur grosse berline. C’était eux, les hommes en noirs. Je ne pouvais les ignorer ni même les fuir…
Le jour de l’évasion
Quand, enfin, je parvins à sortir de cette pièce, je ne voulus pas fuir, mais faire face. Leur faire face.
10 ans plus tard
Mes études terminées, me voilà aujourd’hui prêt à travailler. Premier jour. J’enfile mon costume noir et embrasse ma femme. Heureusement, il me reste trente-cinq ans.