Salut toi, tu es nouveau ici ? Moi, ça fait longtemps que je suis là. Comme tu es nouveau, je vais te raconter mon histoire. C’était un jeudi, si ma mémoire est bonne, je venais d’arriver au magasin. J’étais d’une beauté éclatante, toute neuve, robuste, certes, je n’étais pas à un prix élevé mais j’avais mon charme. Ce jour-là, des gens sont entrés dans le magasin, ils ont fait le tour, se sont arrêtés 2 ou 3 fois près de moi. J’étais toute excitée, ils m’ont regardée sous tous les angles puis ils ont finalement craqué pour moi ! C’était la famille Mercuri. Ils sont partis, le vendeur est venu me chercher. Je dois avouer que j’étais tellement effrayée que je ne voulais pas rentrer dans leur voiture mais, après de multiples tentatives, j’ai accepté et ils ont réussi à m’y caser. Le trajet était long et je gênais les enfants, c’est vrai que je prenais beaucoup de place. J’ai vu défiler de beaux paysages : forêts, champs, villes et bien d’autres. Après plusieurs minutes, j’ai compris que nous arrivions à destination. Leur maison était vraiment belle, spacieuse, en pierre rougeâtre, bordée d’un magnifique jardin; en soi, elle respirait le confort, je pourrais même la caractériser de cocoon.
Une fois sortie de leur voiture, je fus emmenée à l’intérieur de leur maison. Luc, le père de famille, hésitait beaucoup à propos de l’endroit où ils allaient me mettre mais Capucine, la mère, avait trouvé l’emplacement idéal pour moi : dans le salon, près du feu. J’étais très bien installée, surtout quand on sait que je suis de nature frileuse, le feu de bois était parfait pour moi ! Ni une ni deux, la famille s’est regroupée autour de moi, j’étais si heureuse d’avoir une famille. Capucine était toute excitée, elle posta des photos de moi sur les réseaux sociaux pour montrer à quel point elle était fière de sa nouvelle acquisition. Pour eux, j’étais ce qui allait les réunir, ce qui allait permettre de les reconnecter. Et, en effet, pendant des semaines, tout le monde se réunissait autour de moi. Le matin, les enfants venaient s’asseoir près de moi ; à midi, j’étais parfois seule vu que les parents travaillaient et que les enfants étaient à l’école mais, le soir, tout le monde revenait près de moi. Les petits faisaient tranquillement leurs devoirs avec moi, puis, après chaque repas, on me donnait de l’attention, on me brossait ou alors on me donnait un petit coup de fraîcheur. Les enfants me salissaient souvent quand ils faisaient tomber de la nourriture ; au début, ça me dégoutait mais, à la fin, je me suis habituée. Capucine avait raison, j’avais réussi à les reconnecter ! Mais, comme dans toute famille, il y avait des aléas.
Je me souviens de l’anniversaire de Julia, une des enfants, c’était un jeudi et tout le monde était heureux ! Je gardais fièrement le gâteau d’anniversaire et tous les enfants couraient autour de moi. C’était un moment très agréable jusqu’à ce que Luc propose de taper dans la piñata à coup de batte de baseball. Robert, l’ami de Luc, voulait s’amuser comme les enfants, il enfila un bandeau et prit la batte mais, malheureusement, ce ne fut pas la piñata remplie de bonbons qu’il toucha mais ma patte. Je n’oublierais jamais cette douleur, j’avais tellement mal que je me suis écroulée. Le lendemain de l’accident, un homme est venu pour me « réparer », je ne comprenais pas ce qui m’arrivait et on m’emmena quelques jours loin de ma famille. Je me suis sentie seule et, pendant près de 2 semaines, je suis restée avec l’homme étrange qui avait les mains fort baladeuses. Une fois réparée, je pouvais enfin rentrer chez moi, les Mercuri étaient contents de me revoir, ils s’étaient ennuyés sans moi.
Les jours défilèrent et, au fil du temps, je sentais une distance se créer avec ma famille, on m’accordait de moins en moins de soins, on ne venait plus près de moi, on ne me lavait plus, ce n’était plus nécessaire car les enfants ne me salissaient plus. Non, ils avaient grandi. Je commençais doucement à prendre la poussière. Les Mercuri ne mangeaient plus ensemble, ils se dispersaient dans le canapé, la cuisine, les chambres, ou, parfois, il arrivait que certains ne dînaient même pas à la maison. Les enfants passaient plus de temps sur leur téléphone, Luc rentrait de plus en plus tard et Capucine passait la plupart de son temps au travail. Ils s’étaient tous déconnectés les uns des autres. Puis, un jour, j’avais l’impression que j’existais à nouveau ! Les grands parents venaient manger à la maison, la pièce était à nouveau animée, on me donna une énorme quantité d’attentions. Des rires, les conversations qui défilaient, le chahut, la chaleur, les miettes qui tombaient, tout ça m’avait tellement manqué. J’étais heureuse. Le soir, on me lava, je ne prenais plus la poussière, je faisais à nouveau partie de la famille !
Après le départ des grands-parents, je redevins pessimiste en pensant être à nouveau délaissée mais, à ma plus grande surprise, les Mercuri se réunissaient à nouveau autour de moi. Ils avaient compris s’être trop éloignés les uns des autres et, pendant plusieurs semaines, l’animation était revenue, je ne dirais pas que j’étais le centre de l’attention, mais j’étais présente avec eux, et ça me suffisait amplement. Les enfants grandissaient encore jusqu’à devenir de beaux adultes, chacun prit sa vie en main et ils quittèrent papa et maman tels des oisillons qui s’envolent du nid. C’était difficile de s’habituer à leur départ, ils passaient de temps en temps donner des nouvelles, c’était déjà ça. Chacun partait de son coté, Luc et Capucine ne me remarquaient plus, cela faisait déjà plusieurs années que je prenais la poussière, j’avais l’impression de faire partie des vieux meubles. Puis, un jour, Luc revint heureux en annonçant qu’il voulait déménager et qu’il avait trouvé une maison parfaite pour eux en bord de mer. Enfin ! Je voyais dans cette annonce une opportunité pour retrouver ma place, recommencer ma vie ailleurs et peut-être avoir, moi aussi, un nouveau rôle ! Ils discutaient de ce qu’ils allaient emporter ou non, leur nouvelle maison était apparemment beaucoup plus petite. Je ne me faisais pas le moindre souci, je savais qu’ils allaient m’emporter avec eux. Après tout, ils avaient flashé sur moi en un clin d’œil. Un jeudi, Luc vint avec un autre homme, ils m’emmenèrent dans une camionnette ; avec moi, il y avait beaucoup d’objets : vases, meubles, objets électroniques, … J’étais toute excitée, le trajet fut long et il faisait fort sombre.
On arriva à destination, les portières s’ouvrirent d’un coup, la lumière m’aveugla un moment mais, après quelques instants, je repris mes esprits. On me sortit de la camionnette et, avant que je pusse comprendre, on me jeta dans une benne. Non, il n’y avait pas assez de place pour moi, je ne faisais plus partie de leur famille. Est-ce que je les avais reconnectés ? Au final, je ne sais plus. Moi qui pensait avoir eu de l’importance pour eux, faire partie de leur famille, tout ça n’avait été qu’une illusion, un mensonge.
Soudain, deux hommes passent :
- Marcus ! Regarde ! C’est hallucinant le nombre d’objets encore en bon état que les gens jettent…
- Tu as raison Nico, oh ! Regarde cette table là-bas ! Elle est vraiment belle, on devrait peut-être la prendre ?
Et oui, c’est moi. Aujourd’hui, je me retrouve dans cette déchetterie, au milieu des objets dont on veut se débarrasser. Pour finir, je n’aime pas les jeudis. Et toi ? Quelle est ton histoire ?