Je suis confortablement installé, plus précisément, je suis accroupi. Mon logis est douillet, il fait toujours bien chaud. J‘adore nager, il m’arrive d’ailleurs de faire des figures acrobatiques quand je suis en forme. Comme après chaque séance de sport, je reçois ma ration journalière qui me nourrit toujours à ma faim. En somme, le seul inconvénient de mon abri luxueux est la qualité du sommeil. En effet, il n’est pas rare que je me réveille en sursaut. La plupart du temps, c’est à cause d’un « toc-toc » qui provient de derrière la cloison de mon habitat. Ne sachant pas ce que c’est, je me recroqueville au fond de mon abri en attendant que ça passe. Ce bruit est de plus en plus fréquent et la curiosité commence à me démanger. Je pense que j’aurai bientôt le courage de regarder derrière la porte.
Après quelques mois d’hibernation, je suis violemment éjecté de mon havre de paix : décidément, les réveils en douceur ce n’est vraiment pas acquis. C’est jusqu’à présent le passage le plus difficile de ma vie. Le soleil est levant mais il fait pourtant froid. Ce moment ne dure heureusement pas longtemps. Très vite, je suis accueilli dans un autre endroit presque tout aussi sécurisant. Bien que je sorte à peine de mon hibernation, je ressens déjà beaucoup de fatigue. Bercé par les vagues, je m’assoupis aussitôt. Je ne dors pas très bien. Je sens que je bouge beaucoup, comme lors d’un voyage en apesanteur mais une chose est sûre, j’ai toujours bien chaud. Tout à coup, un frisson me parcourt, j’écoute attentivement mais n’entends plus aucun bruit et ne sens plus les vagues qui me berçaient lentement. J’entrouvre les yeux, la nuit est tombée, je tourne ma tête de tous les côtés mais ne reconnais pas l’endroit sécurisant où je m’étais endormi. Pris de panique, je me mets à hurler au plus fort jusqu’à ce que des larmes coulent de mes yeux. J’entends alors des bruits à intervalle régulier se rapprocher. Encore plus apeuré, mon corps se met à trembler comme une feuille. Une grosse pince m’attrape délicatement par les flancs et me soulève. J’ai l’impression de planer à nouveau dans l’air mais je ne sais pas où je vole. Je voudrais savoir ce qui me porte, où je vais mais tout est flou. Plus tard, la pince me dépose. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe et n’arrive pas à me calmer. Je perçois à nouveau les vagues et avec elles je reprends mon vol. Doucement je me rappelle que ces bercements viennent de l’endroit sécurisant qui m’apaise mais je n’arrive pas à me rendormir et pourtant je n’ai plus froid. Je décide alors de partir en quête de nourriture. J’ai trouvé un liquide que je n’ai jamais bu pendant mon hibernation, je le goûte d’abord avec précaution ne sachant pas à quoi m’attendre. Je bois une petite gorgée, il est chaud et crémeux et, tout de suite, j’en engloutis le plus possible tellement il est réconfortant. Je me suis endormi en buvant, tant ces épreuves m’ont épuisé. Plus tard, quand je me réveille, je reconnais l’endroit qui m’a tant effrayé la veille. Cette fois, je ne crie plus, je sais que je ne dois pas m’inquiéter.
Petit à petit, je me fais à cette nouvelle vie. Aujourd’hui, la grosse pince m’a transporté dans un nouvel univers. J’entends un grincement suivi d’un « split splash plouf ». Je sens que je suis proche d’une source de chaleur. Je me pose quelques questions mais je ne prends pas peur. Doucement, mon extrémité touche un liquide tiède. Réticent, je me mets en boulle et je gémis. La pince n’en n’a que faire et me plonge entièrement dans ce fluide. Après m’être débattu intensément, je n’ai plus d’autre choix que d’abandonner. Suite à cet effort, je finis par me détendre, c’est, tout compte fait, plutôt agréable. Cela me rappelle mon premier habitat, je me souviens alors que j’adorais nager et que j’étais même plutôt doué. J’essaye donc de refaire des acrobaties mais manifestement j’ai perdu tout talent. Je me rends compte que je ne sais plus nager mais par contre, je suis devenu plus fort. Je suis prêt à affronter mes peurs afin de découvrir de nouveaux horizons. Une soif d’aventure grandit en moi, j’ai envie de toucher à tout.
Tout à coup, lorsque j’entends un « tic-tac » s’approcher, je m’attends à être enserré par la douce pince habituelle mais je suis surpris de ne pas la reconnaitre. Mes narines sont attaquées par l’odeur puissante et piquante d’un parfum qui me fait éternuer. Inquiet, j’ouvre les yeux et découvre une pince inconnue et ridée mais qui me regarde avec autant d’amour que la pince qui s’occupe de moi quotidiennement… l’angoisse me submerge jusqu’à ce que je reconnaisse une voix familière annoncer : « voici ton petit-fils ! ».