2020
J’ai deux frères. L’ainé, Jérémy, adore les sciences et a l’esprit matheux. Il aime prendre un air intelligent en retenant des formules. Le plus jeune, Martin, est curieux et touche à tout, mais il n’approfondit que rarement les sujets qui l’intéressent. Sauf le sport, où il excelle. Et entre les deux, il y a moi. Je m’appelle Élise. J’aime sortir, j’aime sentir le vent dans mes cheveux. J’aime la nature et la protège à mon niveau. Pas comme mes frères, qui n’ont que deux choses dans leur vie : leur téléphone et l’école. Mais pour une fois, en découvrant le déi lancé par notre grand-père, ils ont bien voulu quitter leur chambre. C’était un beau soir de mai. Nous sommes partis tous les trois.
— T’es sûr que c’est ici ?
— D’après la légende, et si mes calculs sont bons, le trésor devrait se trouver dans cet entrepôt, a répondu Jérémy.
— C’est juste qu’un vieux hangar qui abrite un trésor, ça paraît bizarre.
— Ne t’inquiète pas. Je connais par cœur le parchemin de grand-père. Bientôt, tout l’or du bateau de John Sharp sera à nous !
Alors que Jérémy répétait son plan pour chercher méticuleusement et selon un quadrillage précis, Martin était déjà en train de fouiller partout.
Nous cherchions depuis plus d’une heure lorsque je mis la main dessus. C’était un magnifique coffre en chêne, orné d’un dragon d’or.
À l’intérieur, il n’y avait qu’un cube de métal sur lequel était gravé l’inscription « 2100 ».
— On dirait un projecteur.
— Ou une machine à voyager dans le temps.
— Trop cool ! dit Martin. Ce serait génial de vivre dans le futur avec toutes les technologies, les transports hyper rapides, la possibilité de visiter d’autres planètes !
— Je ne suis pas sûr que ce soit aussi cool, j’ai répondu. Les ressources ne sont pas illimitées et puis toutes les armes développées… Ça fait froid dans le dos.
— Un seul moyen de savoir comment se sera, il faut essayer !
— Non ! Tu vas le ca…
2100
— …sser !
— C’est quoi, ça ? Il n’y a plus de routes, plus d’immeubles, plus de vieil entrepôt abandonné. On se croirait au Moyen-Âge !
— Ça fait peur… Je voulais juste le faire pour rigoler. Si c’est comme ça, je retourne d’où on vient !
— Regarde, la machine est cassée. Ça ne marchera pas.
— Comment on va faire pour rentrer ?
— Aucune idée. Mais on n’est pas au Moyen-Âge : regardez les câbles électriques.
— Peut-être qu’en fouillant un peu, on trouvera des informations pour repartir…
Nous nous sommes séparés. Je me suis enfoncée dans une belle forêt sauvage, manifestement aménagée par l’homme. Je m’étonnais de la variété des essences qui croissaient autour de moi. De l’aulne, du bouleau, du tilleul et bien d’autres encore. La faune était, elle aussi, exceptionnelle. J’ai croisé des animaux que je pensais disparus ou en voie d’extinction. En descendant, je suis tombée sur un pré fleuri. À mon grand étonnement, il était abandonné à des animaux de ferme qui paissaient librement. Dans le creux de la vallée, une rivière s’écoulait et courait vers une centrale électrique près du village. L’eau était claire et poissonneuse. Les personnes qui entretenaient cette forêt en connaissaient un rayon. Je décidai alors de revenir près de mes frères pour leur raconter mes trouvailles.
— Et vous, vous avez trouvé quoi ?
— Moi, je suis allé vers les champs. Les gens sont pauvres, par ici. La plupart sont des paysans et sont obligés de trimer pour cultiver de quoi se nourrir. Rares sont ceux qui ont une voiture et l’accès à l’électricité est précaire, tout comme les éleveurs qui sont peu nombreux et avec un cheptel qui ne grossit guère. Les magasins n’offrent qu’un faible choix de produits. Ces dernières années, la population décroît, tout comme la taille des villes. Les gens essaient juste de survivre, comme au lendemain d’une guerre. En même temps, je n’ai vu aucune trace de conflits récents. Et toi, Martin ?
— Moi, je suis allé voir la ville. Les maisons y sont petites, puisqu’il y a moins de monde à loger. Les habitants ont fait attention à utiliser des matériaux écologiques. J’ai discuté avec les habitants. Ils se réunissent tous les mois sur la place principale. Ils sont très accueillants et ne m’ont pas l’air particulièrement malheureux. Ils accordent plus de valeur aux choses qui comptent qu’à l’argent, qui n’a plus vraiment de valeur. Lors de ces réunions, ils ont l’occasion de participer aux décisions politiques et d’exprimer leur avis. Les champs des environs sont cultivés selon les principes de la permaculture, si bien que la ville est autonome pour son alimentation, essentiellement végétarienne. Chacun a un emploi. À l’école, l’instruction est axée autant sur les activités manuelles que sur les matières intellectuelles, et tout est fait pour favoriser les interactions sociales. Cet esprit est appliqué dans toute la cité : les magasins ne proposent pas de produits superflus et l’électronique ne sert plus qu’en de rares occasions. Les transports en commun se sont développés et les routes favorisent le vélo ou la marche. Les habitants n’utilisent que très peu la voiture. Quant à la décroissance de la population, elle est davantage le fruit d’une décision de la population elle-même que le résultat d’une guerre.
— Tu avoueras que c’est déprimant, tout ça. Si on n’a même plus accès aux jeux vidéo, à la conquête spatiale…
— Mais regarde le résultat ! lui dis-je. Tu l’as dit toi-même, tu t’attendais à apprendre qu’il y avait eu une guerre. Et tu devrais voir la forêt, elle est si belle… Et elle n’existerait pas si on n’en avait pas pris soin. Moi, ça m’a l’air splendide…
— Ça ne tiendra pas longtemps, ce système. L’anarchie n’est pas loin, je vous le dis.
— Et ce n’était pas l’anarchie en 2020 ?
— Eh, les gars, calmez-vous ! On ne sait toujours pas comment revenir…
2020
À ce moment-là, il y eut un éclair blanc et nous étions de retour. Une silhouette apparut devant un vieil entrepôt.
— Je vois que mon invention vous a conquis !
— Grand-père ! Qu’est-ce que tu fais là ? Et où sommes-nous ?
— À ton avis ? C’est moi qui ai fabriqué cette machine, mais elle est encore un peu difficile à contrôler. Elle donne l’illusion de ce que pourrait être l’avenir.
— Alors, c’était toi depuis le début ! Et ça veut dire qu’on a vu l’avenir ?
— Pas vraiment. Ce n’était que la représentation la plus probable du futur en fonction de tous les paramètres mesurables du moment. Si vous étiez partis quelques minutes plus tard, vous auriez sans doute découvert un monde différent.
— Mais alors, il n’y a pas qu’un seul futur fixé ?
— Et on peut modifier le temps comme on veut ? demanda Martin.
— Pas comme on veut. Il n’y a qu’un seul passé inébranlable, mais une infinité de futurs possibles. À mon époque, par exemple, je me suis battu pour les droits des étudiants. Et ça a marché ! Par vos actions, par vos décisions, vous pouvez influer sur votre avenir. Et je vous le dis déjà, vous pourrez compter sur moi pour vous aider, dans la mesure de mes moyens !
Ce jour-là, j’ai compris quelque chose : notre avenir, c’est à nous de le choisir…