Année 2120.
Je me réveille, c’est encore l’aube. Je regarde autour de moi par le restant de la fenêtre, tout est bien en place. Il faut être prudent, les Affamés sont de plus en plus nombreux. Je descends discrètement. J’effectue un rapide état des lieux. Certains sont passés devant chez moi, mais aucun n’est entré. Mon ventre gargouille. Je fouille les tiroirs, un peu de nourriture. J’en prends une toute petite partie ; le reste, ce sera pour demain. Je remonte et récupère mes affaires. Enfin, je sors pour commencer mon exploration. Je prends de la hauteur et ensuite, je fais une pause. J’ai faim, mais je ne peux pas manger. Je regarde le ciel et le soleil brille. Je reprends ma marche. J’entends un bruit, je me cache difficilement. Un Affamé est devant moi, je regarde tout autour. Personne, alors, je pars discrètement. Il m’entend, me voit et me pourchasse. Il va si vite que l’on dirait un animal. Dire que dix ans plus tôt, cet homme devait être heureux, mais la faim l’a rendu fou et bestial, lui et plein d’autres, d’ailleurs. Je cours plus vite. Je vois une maison en ruine, alors j’accélère pour m’y réfugier. À l’intérieur, je prépare mon piège et mon couteau. Il me suit et rentre précipitamment. Il tombe sur mon piège, je lui saute dessus. Je le poignarde, encore et encore. Il s’arrête, tout s’arrête. Je me lève et respire. Je contemple ce qui deviendra ma nourriture pour les prochains jours. Rien que d’y penser, mon ventre gargouille. Il est temps de préparer ma pitance : je lui ôte le reste de ses vêtements et prépare un feu de fortune avec ce qu’il y a près de moi. Il prend vite, tant mieux, j’ai faim. Je coupe les parties inutiles, mais je les garde comme solution de repli. Je démembre ce qui reste de l’homme. Je cuis tout. Je mange un des morceaux et range le reste dans mon sac. J’ai deux jours maximum pour tout manger. Je lève la tête vers le ciel. Le soleil est encore haut, mais le temps presse. Je remballe tout et marche rapidement. Je marche longtemps. Au loin, quelques maisons encore en bon état. Je regarde le ciel, le soleil commence à se coucher. Il faut courir, je dois atteindre l’une d’elles avant la nuit. J’arrive devant la première, tout juste au début du crépuscule. Je rentre, je fouille les pièces rapidement. J’installe à nouveau mon piège et en improvise d’autres, l’expérience m’aide. Les Affamés sont incontrôlables et ont du flair pour repérer la nourriture. Je dois absolument chercher un autre endroit pour ranger la mienne. Je rejoins une autre maison, deux rues plus loin, j’y dépose une partie de mes provisions dans un coin, au sol et mange l’autre directement. J’ai tout de même pris un risque en les gardant sur moi tout ce temps. J’entends un bruit dehors, puis deux, puis trois. Ils ont l’air nombreux. Je sors précipitamment, les bruits sont plus distincts : on dirait des pas qui résonnent sur les murs, mais ce ne sont pas des pas humains, mais bien ceux des Affamés, en meute, appâtés par ma nourriture. Je cours vite, aussi vite que je le peux. Mon couteau ne sera pas suffisant pour me défendre, il me faut une autre arme. Je regarde derrière moi, ils me rattrapent, l’écart se réduit. J’arrive devant chez moi, je rentre et je monte sur le toit pour mieux les piéger. Ils se sont séparés : une vingtaine essaie d’attraper les derniers morceaux que j’ai semés pour faire diversion. Une dizaine fonce vers moi, mes vêtements sentent la viande et ils adorent ça. Je dois rapidement trouver une solution, alors, je retourne toute la maison. Je trouve une hachette et un couteau de rechange. Serait-ce suffisant ? Les Affamés se rapprochent vite, plus vite que je ne le pensais. Je vérifie tous mes pièges, ils m’ont déjà sauvé et j’espère que cette fois-ci, ils me sauveront encore. Je retourne sur le toit, il ne me reste plus qu’un tout petit peu de temps.
Je fouille mon sac à la recherche d’un objet susceptible de m’aider à me sauver de ces fous furieux. J’y retrouve les restes inutiles de ma victime du jour. Je les sors et attends le moment idéal. Ils sont proches mais pas encore assez pour les piéger. Cinq, quatre, trois, deux, un… C’est le moment, je jette les restes à deux endroits pour espérer les disperser. Ça marche. Bien qu’ils soient futés, seuls quatre ont quitté le groupe. Les autres, six ou sept individus, avancent toujours vers la maison, suffisamment pour qu’ils puissent me voir. Je me repositionne correctement, mais ils m’ont déjà repéré. Ils commencent à courir. Ils courent, mais pas dans la direction que j’avais espérée. Je quitte le toit pour retourner dans la maison en espérant qu’ils fassent de même. Bingo ! Les deux premiers sont pris dans mes pièges et piétinés par les autres. Encore quatre à éliminer. L’agencement de la maison va m’aider. Je recule dans le couloir et là, un par un, j’arrive à les tuer. J’ai survécu. Épuisé par cette épreuve, je m’écroule. Je ferme les yeux quelques secondes. J’entends un bruit. Je me relève et ramasse mes armes. J’avance vers la porte et penche ma tête dehors. Avec effroi, je constate que quatre Affamés s’approchent. Je serre fort mes armes, prêt à les affronter. Au loin, je vois la dernière partie de la horde. Mon combat est vain. Désespéré, je lâche mes armes, recule et trébuche sur un des cadavres. Ma dernière réflexion est : suis-je vraiment différent d’eux ? Les Affamés me sautent dessus. Alors que leurs dents pénètrent ma peau, je contemple le ciel par le restant de la fenêtre. Je l’ai contemplé tant de fois, mais il n’a jamais été aussi beau qu’aujourd’hui.