À nos souvenirs
La vie ne nous avait pas épargnés. Il ne restait rien de notre futur, rien de notre présent et presque rien de notre passé. Je me nomme Lucien et nous nous situons actuellement dans le secteur G012 sur la planète T666, en l’an 947 d’après les données du Xares, le QG de l’empire Davros. Vous devez également savoir que les années sont comptées à partir de la découverte par l’Empire de la nouvelle terre et que de nos jours, cet empire occupe l’entièreté du secteur G012.
Je ne savais rien de tout cela avant de le rencontrer, lui, la seule personne que je pouvais considérer comme un ami. Avant de le rencontrer, il m’arrivait souvent de me demander : « Qui suis-je ? » Il m’a fait découvrir tant de choses à propos de mon peuple jadis oublié. Ça n’a pas été facile pour lui non plus.
C’est un mauvais joueur, certainement la personne la plus têtue que j’aie rencontrée. Il a un sale caractère et pour celui qui ne le connaitrait pas, il serait surement une crapule de la pire espèce. Cependant, il avait transformé son entêtement en une grande détermination, qualité importante pour la seule chose qu’il possédait encore vraiment : la capacité de jouer… et pas à n’importe quel jeu. Il adorait jouer au pitchball, le sport le plus répandu sur Elcatrax.
***
3 semaines auparavant
21 novembre 947
À 567 kilomètres de la Capitale
Je vais vous raconter comment ma vie bascula. Je me souviens comme si c’était hier, de ces trois jours qui scindèrent ma vie en deux. La semaine avait pourtant commencé normalement…
J’y étais, j’y étais presque… La victoire était à portée de main, encore quelques centimètres et j’avais gagné, mais voilà qu’un objet long et étroit entra dans mon champ de vision. Et là, je compris comment il m’avait berné : en feignant son désarmement et en dissimulant l’objet le plus important dans ce sport, le bô, derrière son bouclier. J’esquivai trop tard et l’extrémité de son bâtonme heurta au dos. Je n’avais pas besoin de le voir pour savoir qu’il avait touché la petite sphère rouge incrustée en plein milieu de mon dos. Le match était fini, j’avais perdu…
Il aurait pu être bien plus court ou bien plus long en fonction de mon ennemi. Seule la dernière action menée par Garil pouvait mettre fin au match. À deux reprises, je faillis perdre et deux fois pour la même raison, à croire que le vainqueur était désigné à l’avance. Je dois cependant admettre que cet opposant-là n’était pas n’importe qui. Même s’il n’était pas particulièrement rapide ou agile, il était plus rusé qu’un renard. Mon bô faillit se briser plusieurs fois à cause de lui. S’il était arrivé à ses fins, il y aurait eu, au mieux match nul et au pire, j’aurais dû m’incliner et déclarer forfait. De toute façon, le résultat était le même. L’extrémité de mon bô était cassée, comme à chaque fois que je subissais une défaite.
La nuit était tombée depuis longtemps lorsque je pris le chemin habituel vers mon foyer. Je contemplais le ciel de mon ridicule petit balcon, les étoiles brillaient telles des phares dans la nuit fraiche. Il y en avait tellement et parmi elles, un amas de débris rocheux dérivait autour d’Elcatrax. Mon grand-père m’avait raconté que cette agglomération formait autrefois une sorte de toute petite planète, mais que personne n’y avait jamais vécu. Un instant plus tard, je décidai d’aller me coucher, une longue journée m’attendait le lendemain ainsi qu’un autre match.
En me dirigeant vers mon lit à moitié moisi, je pris un morceau de pain bien moins appétissant que les mets rencontrés dans les rues bondées de la ville où s’était déroulé mon match. Il était fade et sec tout comme cette minuscule maison, d’ailleurs. Mais pouvait-on, comme tous les bâtiments du quartier, encore les appeler « maisons » ? Elles ressemblaient plutôt à de gros containers. Quelques-unes possédaient un balcon fait de câbles et de tôle, quelques restes de la guerre de quarante ans. La mienne comportait deux pièces : dans la plus grande, un matelas poussiéreux avec de fins draps me servait de lit. Dans un coin, une cheminée était installée et des livres à moitié déchirés trainaient par terre. En regardant la deuxième pièce, je fus pris de nostalgie. Je n’étais pas rentré dans cette pièce depuis la disparition de mes parents qui me manquaient énormément. Elle était bien plus petite et seul le mur de gauche était occupé par des objets. Une gravure peinte, suffisamment ancienne que pour être pratiquement effacée était encastrée dans le mur. Sur la pierre était peint un jeune couple en-dessous d’un magnifique arbre recouvert de belles fleurs roses tourbillonnant dans le vent. À côté, un long bâton en bois brun avec des reflets bleus, aussi ancien que la gravure, était posé. On aurait pu croire que la moindre petite brise réduirait en poussière cet objet tant chéri par son propriétaire. Il y avait également autre chose dans cette pièce, une écriture dissimulée dans la roche derrière la peinture… On pouvait lire distinctement les lettres T O R N.
J’ai rêvé cette nuit-là. J’étais le spectateur du plus grand match de pitchball à la fin duquel le vainqueur serait reconnu comme le plus grand joueur de tout l’Empire. À l’intérieur du gros cube servant de ring appelé cubix, le combat faisait rage. Les deux adversaires étaient presqu’à force égale et ce fut le plus beau match qu’il me fut donné de voir. Trois jours, c’est le temps que prit mon père pour être reconnu comme le champion qui fait encore rêver les enfants. J’étais si fier de lui. Je n’ai pourtant jamais pu lui dire ces mots. Mes parents sont morts quelques heures après un tremblement de terre. Cela faisait plus de 7 ans que je vivais seul et l’unique souvenir qu’il me reste de mon père est son bô qu’il a lui-même hérité de son père.
Monsieur Le Roi ouvrez, Monsieur Le Roi !
Un homme de petite taille se tenait debout devant la porte, un colis dans les bras.
Dites, mon gars, vous n’êtes pas le p’tit jeune Marcus qui s’est fait ramasser hier au stade ? demanda le livreur d’un ton moqueur en me tendant le colis.
Et un instant plus tard, il éclata de rire. « Bien sûr que non, vous lui ressemblez seulement, c’est impossible qu’un poltron comme vous puisse entrer dans un stade » répondit-il à sa propre question.
En effet, on dit souvent que je lui ressemble, déclarai-je irrité d’avoir été réveillé si tôt. Merci pour le paquet et passez une bonne journée, clamai-je en lui claquant la porte au nez.
Sur le chemin vers la capitale, je repensai au jour du décès de mes parents. J’avais 13 ans lorsqu’un groupe de personnes vêtues de capes noires et possédant un tatouage noir sur le bras vint vers nous. Le tremblement de terre avait débuté, tout le monde courait et criait. Ma mère était allée me cacher en-dessous des gradins, un gigantesque labyrinthe de fer. Puis elle a crié quelque chose que je n’ai pas entendu avec tout ce brouhaha et a rejoint mon père pour attirer l’attention des hommes en noir loin de ma cachette. La minute d’après, un énorme bruit résonna dans toute la ville. C’est à ce moment-là que je vis s’écrouler des tonnes de ferrailles à l’endroit précis où mes parents se tenaient moins de cinq secondes auparavant. Après ça, mes souvenirs sont flous. J’ai dû m’évanouir car je me suis réveillé dans un hôpital deux heures plus tard.
La semaine qui suivit, on annonça les personnes mortes lors de la secousse et mes parents faisaient partie de cette liste. Les médecins chargés de cette affaire avaient été clairs, les gens répertoriés étaient tous morts écrasés sous les éboulements.
J’entrai dans le cubix, le match ne tarda pas à commencer et j’étais déterminé à gagner contre ce Roland.
« Des mois après le décès de mes parents, je découvrais que les types en noir étaient des soldats de l’Empire que l’on reconnait grâce à leur dessin d’hydre noir au bras. » « Qu’est-ce que l’empire attendait de nous ? »
Mon adversaire attaqua le premier, j’esquivai facilement tous ses coups.
« Mon père m’avait dit un jour que maman et lui appartenaient à la première génération, celle qui avait colonisé cette planète après sa conquête. Seulement, à part eux, je ne connaissais personne de cette génération. » « Cette piste était une impasse. »
Roland était rapide et fort mais manquait cruellement de technique. Un simple croche-pied le fit tomber, emporté par son propre poids.
« Maintenant que j’y pense, nous étions poursuivis depuis déjà quelques mois. Nous avions emménagé dans les bidonvilles loin de la capitale et mon père Marius ainsi que ma mère Elli avaient changé de nom. J’ai d’ailleurs suivi leur trace en changeant le mien et en essayant de rester le plus discret possible. »
Mon adversaire se releva rapidement. C’était à moi d’attaquer : je fonçai la tête la première. Il se prépara à encaisser mais laissa une ouverture à gauche sans grande importance si j’avais tenté une attaque frontale. Je profitai de cette opportunité pour me glisser dans son dos. Il voulut esquiver… trop tard, mon bô avait déjà touché la sphère rouge de son armure.
Pendant que le présentateur annonçait le vainqueur, je sortis du stade à la hâte, impatient de satisfaire ma faim. Je me souviens très bien que l’endroit où nous vivions encore à trois m’avait paru suspect. En effet, les bidonvilles ne sont pas des endroits très fréquentés par les joueurs de pitchball. Ce sport demande un certain apport financier. Je suis bien placé pour le savoir, il faut dépenser une petite fortune rien que pour obtenir un bô, petit bijou de technologie.
Soudain, je fus arraché de mes pensées par de violentes secousses. Un immense tremblement de terre était en train de ravager la ville. Ces catastrophes naturelles étaient fréquentes dans la région. De ce fait, les édifices étaient prévus pour ce genre de situation. Je suivis la foule vers le refuge le plus proche situé derrière le stade. Je courus le plus vite possible, me frayant un chemin dans la foule grandissante. J’aperçus le bâtiment où une centaine de personnes s’étaient déjà réfugiées. L’ombre du stade serait bientôt derrière. Nous n’avions qu’à traverser la route pour rejoindre l’autre groupe. Je sentis les gouttes de sueur perler sur mon front, mon pouls s’accélérait et ma respiration se faisait plus difficile. Dans ma tête, la réalité et le passé se mêlèrent. Je vis ce stade dans lequel j’avais remporté tant de victoires céder et s’effondrer sur moi, prêt à emporter ma vie comme il l’avait fait avec mes parents. Mes muscles se contractèrent, mon corps ne m’appartenait plus, il n’obéissait plus qu’à l’instinct de survie qui guidait mes pas. J’aperçus un dernier rayon de soleil avant que tout ne devienne noir.
Je me réveillai allongé sur le dos sans aucune blessure apparente. Mes oreilles sifflaient, ma tête tournait et ma vue était aussi trouble qu’un lac gelé. Je me relevai doucement puis fis quelques pas, me heurtant à ce qui semblait être des barres de fer. Après de multiples collisions aves ces obstacles, je compris que je me trouvais en-dessous des gradins.
Il y a quelqu’un ? À l’aide ! Je suis sous les gradins, quelqu’un m’entend ?!
Aucune réponse. Je n’osais pas élever la voix de peur de créer un nouvel éboulement qui m’écraserait à coup sûr cette fois. Je décidai donc de trouver une sortie. Tous mes sens en alerte, je ne me fiai qu’à ma seule mémoire des lieux.
L’air était lourd et humide, je me demandais toujours comment j’étais encore en vie. J’avais dû sauter sous les gradins, juste avant que je ne sois écrasé. Tout à coup, je me sentis oppressé, ma respiration se fit plus saccadée, je cherchais mon souffle comme s’il n’y avait plus d’oxygène. Mes souvenirs se dénouèrent. Je revis ma maman me cacher dans ce même stade et me crier ces mots jadis enfouis dans ma mémoire : « Trouve Torn, Jacques »
Si mes souvenirs sont bons, je me trouvais juste sous l’entrée du stade lorsqu’un grincement retentit, brisant le silence. Je tendis l’oreille pour déterminer l’origine de ce bruit, mais le son se répercutant sur les poutres d’acier rendait la tâche plus difficile. Ce bruit semblait venir du centre des souterrains. Mes yeux s’étant habitués à l’obscurité distinguèrent une silhouette non loin de moi.
Hey, je ne te veux aucun mal. Peux-tu te montrer, s’il te plait ? dis-je le plus doucement possible.
Le jeune homme avec un sac à dos sortit de sa cachette et s’avança prudemment. Il était un peu plus petit que moi, habillé tout en noir, portait des gants, de grosses lunettes pendaient à son cou et une capuche ainsi qu’un col couvraient son visage. Quelque chose me dérangeait chez lui. Je compris quoi en remarquant ses mains. Elles comportaient cinq doigts. Quand j’aperçus son visage, je fus d’autant plus étonné ; il avait le teint beige et des oreilles arrondies. Plus de doute, ce n’était pas un extracien. Nous, les extraciens, avons la peau rouge, les oreilles pointues et n’avons que trois doigts.
Comment t’appelles-tu ? Moi, c’est Jacques, dis-je le plus naturellement possible.
Il resta muet un instant puis demanda mon nom de famille. Je finis par le lui donner et je crus voir l’instant d’une seconde une étincelle dans son regard.
Torn, ravi de te rencontrer, finit-il par déclarer calmement en me tendant la main.
Je ne sais combien de temps je suis resté figé. Mon cerveau tournait à cent à l’heure et mille questions se bousculaient dans ma tête. Je ne le savais pas encore, mais ces quelques mots allaient changer ma vie pour toujours.
Je connaissais tes parents, Jacques. Ce sont eux qui m’ont dit de te trouver. Le temps presse, ils me trouveront bientôt, j’ai besoin de ton aide pour sortir d’ici discrètement.
C-comment connais-tu mes parents, et puis, qui es-tu ?
Visiblement gêné, il finit par me conter son histoire. J’écoutai attentivement sans dire un mot, curieux de connaitre enfin la vérité sur mes parents. Ils étaient scientifiques et avaient aidé Torn et sa famille à échapper à l’Empire qui traque son peuple.
Après deux heures, nous avions mis en place un plan pour le faire sortir furtivement. Pendant que je m’extirpais des décombres avec l’aide d’urgentistes, mon compagnon se cachait au fond des souterrains. Ensuite, je suis allé le rechercher avant le lever de la lune pour l’emmener dans les bidonvilles. C’est un endroit idéal pour un fugitif : plus de 7.666.000 personnes y vivent.
De retour chez moi, nous nous sommes engouffrés dans la petite pièce où se trouvaient les quatre lettres gravées dans la roche. Et maintenant ! J’avais déjà cherché un indice qui m’aurait éclairé sur ce que mes parents m’ont légué. Rien, pas la moindre piste.
Torn est un nom de code, il faut une clé pour ouvrir la base de données T.E.B., expliqua mon partenaire.
Alors, c’est quoi ton vrai nom ?
Je me nomme Lucien, répondit-il en appuyant sa main sur la pierre qui se mit à briller d’une lumière bleue.
Un grand écran tactile apparut sur le mur. Les informations étaient écrites dans une langue qui m’était étrangère, mais un cadre attira mon attention. Des caractères changeaient à intervalles réguliers.
Un compte à rebours, s’exclama Lucien. Il nous reste deux heures avant que l’Empire n’arrive ici.
Alors, il faut partir ! J’ai une vieille moto cachée derrière la colline, déclarai-je en fourrant des habits dans mon sac à dos.
Nous avons ensuite rejoint l’autre côté de la vallée après que Lucien a retiré toutes les données cachées à l’aide d’un boitier de stockage. Sur ma moto, on s’est dirigés vers la planque la plus proche indiquée sur le T.E.B. sans jamais nous retourner.
Ce jour-là, je suis devenu le fugitif le plus recherché de la planète.
***
La personne qui m’a sauvé s’appelle Jacques Le Roi. Je lui ai demandé d’écrire une lettre des derniers événements.
Mon acolyte a choisi de suivre la même voie que ses parents, celle qui est de recruter et d’aider les terriens encore en vie. Cependant, après maintes recherches, nous sommes arrivés à la conclusion suivante :
« Moi, Lucien, je suis le dernier survivant de l’espèce humaine. »
Si vous recevez cette enveloppe, tâchez de nous envoyer un message crypté et souvenez-vous : l’Empire vous surveille, n’importe où, n’importe quand.
Nom de code : TORN