Nous sommes le 25 janvier 2019. Il fait encore doux à Naples à cette époque de l’année. Les gens se promènent en bordure de plage. Je suis arrivé tôt au bureau, je n’arrivais plus à dormir. Après 15 jours de vacances, je reprends mes habitudes. Ma journée commence par un café et mon journal.
A 11h, j’entends une voiture freiner juste devant l’immeuble du commissariat. Quelques secondes plus tard, une portière claque et la voiture redémarre en trombe. Le cadavre mutilé d’une jeune fille vient d’être jeté sur le trottoir. Je descends à toute allure. Son visage est méconnaissable mais son bras gauche porte la marque du cartel Don Lucci, une croix au fer. Je me dis en moi-même : les affaires reprennent …
A peine une semaine après, le labo me confirme qu’elle est morte par asphyxie après avoir été rouée de coups. La jeune fille est rapidement identifiée puisqu’elle est fichée comme délinquante juvénile. Plusieurs arrestations pour trafic de drogue. Maria n’a que 16 ans ! Comment supporter cette situation ? Les dirigeants de ces cartels sont des tueurs en puissance. Ils utilisent les jeunes et les jettent dès qu’ils n’en ont plus besoin. En s’assurant qu’ils ne parleront jamais.
Après avoir étudié le dossier, je me rends chez le juge D’Acosta. Dans son petit bureau, je lui explique mon idée. Moi, Marco D’Errico, je vais démanteler et condamner tout le cartel Don Lucci à la prison à perpétuité pour que de telles horreurs n’arrivent plus jamais ! Après tout, je suis flic et je connais le monde de la mafia.
Une deuxième vie va commencer. Oublier son passé et se concentrer sur sa nouvelle identité. Infiltrer un groupe dangereux sans être découvert, assister à des actes atroces sans pouvoir réagir. Et surtout, plus aucun contact avec mes proches. Il faudra tenir et tenir encore quoi qu’il se passe.
Cela fait presque un an que Maria a été assassinée et son image me hante encore. Aujourd’hui, je suis toujours sous couverture, infiltré dans le cartel le plus dangereux d’Europe. Mon objectif reste le même : démanteler cette organisation qui sème la terreur dans les rues de Foggia. Mais surtout détruire le marché de la drogue et des armes de notre beau pays. Nous sommes à l’aube d’y arriver …
J’ai le profil type pour ce job car je ressemble à ces mafieux : je suis basané, plutôt costaud, je porte des tatouages, un air à la Al Pacino.
J’en ai les compétences : je connais ce monde, je peux l’intégrer et surtout y survivre grâce notamment à ma formation militaire.
J’en ai aussi la motivation …
Pendant des mois, mon équipe et moi avons créé ma couverture de toute pièce. Né dans un petit village du sud du Mexique, parents décédés, passage dans plusieurs familles d’accueil, enfance difficile, plusieurs séjours en maison de redressement pour terminer membre éminent du plus gros cartel colombien.
Si je voulais frapper vite et fort, je me devais d’être en contact avec la tête du cartel et pas ses sous-fifres. J’ai donc fait répandre la nouvelle qu’un colombien était en ville pour faire des affaires. Il n’a pas fallu longtemps pour qu’on me contacte. Rendez-vous était pris dans un terrain vague à la sortie de Foggia. Je ne pouvais prendre aucun risque de compromettre la mission, je devais y aller seul.
Directement, trois hommes m’ont attrapé et m’ont jeté par terre. Ils m’ont fouillé pour vérifier que je ne portais ni arme ni micro, m’ont ensuite attaché à une vieille chaise et m’ont tabassé. Juste pour le plaisir.
Matteo Don Lucci dit « Il Pape » est arrivé et m’a posé des questions auxquelles j’avais du mal à répondre étant donné qu’un des hommes m’avait pété une côte. Il m’a reposé la question plus sèchement en pointant son arme sur ma tempe :
- Bon, t’es qui toi, espèce de morveux ? Qu’est-ce que tu viens foutre sur mon territoire ?
Je me suis donc mis à parler sous peine de me faire exploser la tête.
- Quelqu’un qui va vous faire gagner un max de pognon.
- Ah bon ? Che pretenzioso* ! Tu débarques de nulle part et tu vas me faire croire que tu sais mieux que moi !
- Je m’appelle Juan Montez, j’étais membre du plus gros cartel colombien et j’avais besoin de changer d’air. Quelques petits problèmes avec « el Jefe ». Dans un cartel, on ne peut pas être deux à diriger !!!
- Et pourquoi t’es venu dans ce bled paumé ?
- J’ai entendu parler de ton cartel et je me suis dit qu’avec mon expérience, je pourrais t’aider. J’étais revendeur d’armes pour le cartel de Sinaloa.
- Ok, imaginons. Et en quoi j’aurais besoin de toi ?
Ça y était, le grand patron avait accroché à mon histoire. Je l’intéressais.
- La drogue, c’est pas mal mais si tu veux vraiment devenir un pro, tu dois passer au marché des armes.
- Je sais ce que je dois faire, je ne reçois d’ordres de personne. T’as l’air bien sûr de toi en tous cas.
- Je te le dis, je vais te rendre riche.
- Allons discuter ailleurs.
Les gardes du corps m’ont mis un sac sur la tête et m’ont emmené dans la voiture. On a roulé des heures. Je ne savais pas ce qui m’attendait. La mort peut-être.
Devant moi se trouvait une magnifique villa à l’écart de tout, vue sur la mer. Des grilles, des caméras et des gardes partout. On se serait cru chez Pablo Escobar.
La discussion a commencé. Je connaissais bien mon sujet et je sentais que le poisson mordait à l’hameçon. Dès qu’on parle d’argent, ces gars perdent toute notion de la réalité. Ils aiment le pouvoir, les femmes et le luxe. Et tout cela coûte cher.
Après avoir convenu d’un plan d’action, Matteo me laisse repartir. Il n’a pas totalement confiance, ce qui est logique. Je vais devoir faire attention. Je me sais surveillé.
Je retourne à ma planque, un appartement où se trouve mon équipe. Je leur explique en détails ce que j’ai vu et entendu.
Quelques mois ont passé et je suis très vite monté en grade. Je suis le seul à connaître les fournisseurs et où revendre la marchandise. Je dirige maintenant les opérations.
Leur structure est devenue claire, les noms des dirigeants aussi. Pendant ce temps, mes collègues se renseignent sur les circuits de la drogue que le cartel continue à exploiter en parallèle aux armes. Certains sont chargés de photographier les deals. D’autres écoutent les conversations téléphoniques grâce aux micros que j’ai placé dans la villa de Matteo.
Mi-janvier 2020, quelqu’un sonne à la porte de mon appartement. Le chauffeur du boss est venu me chercher pour un rendez-vous en urgence avec un Grec qui vient acheter des armes automatiques. Je trouve cela étrange puisque d’habitude c’est moi qui prends ces contacts et qui règle tout. Je ne traite qu’avec des habitués.
C’est un acheteur que je n’ai encore jamais vu. Un avocat qui représente un grand armateur de bateaux voulant diversifier son activité. Il souhaite acheter tout notre stock et est prêt à payer en liquide. Je ne le sens pas ce gars. Probablement une arnaque ou quelqu’un qui veut nous doubler.
Je m’éloigne un moment pour téléphoner à Matteo. Je dois en savoir plus. Il me raconte que l’armateur est un ami et qu’il n’a pas le choix.
Je reviens chez l’avocat du Grec et lui explique qu’il me faut quelques jours pour rassembler et préparer le chargement.
Après cette rencontre, je retourne à l’appartement et j’en parle à mon équipe. On est tous d’accord. Le moment est venu d’agir. Une idée me vient … Dans quelques jours, le patron fête son anniversaire. Il Pape mais aussi La Baracca, Lucky Lucciano, Diabolo, Il Ragioniere (le comptable) seront tous présents. Le moment idéal pour faire une descente et les arrêter.
Nous sommes mardi, je fais un aller-retour sur Naples pour voir le juge D’Acosta et lui explique mon plan. Il est dubitatif. Quatre jours, c’est trop peu. Il faut mettre les équipes au courant et les préparer. Je le rassure, nous avons les plans de la villa, des photos de tous ces mafieux, les enregistrements des appels téléphoniques, assez de preuves pour les envoyer en prison à vie. Et lorsque nous serons à la villa, je suis certain de trouver les livres de compte.
Puisque l’armateur est un ami de Matteo, je suggère à son avocat de faire la vente samedi lors de l’anniversaire. D’une pierre deux coups, une petite visite surprise et une vente colossale. Quel beau cadeau…
Je passe trois jours dans la planque avec mon équipe à répéter notre intervention. Chacun aura un rôle bien précis. Le timing sera important. Nous devrons faire vite.
Samedi, c’est l’effervescence à la villa entre la préparation des armes automatiques et celle de la fête d’anniversaire. Je suis dans le hangar, je supervise le chargement dans les camions. Il est 17h, la soirée commence dans le jardin afin de profiter de la vue magnifique. C’est un ballet de voitures et d’hélicoptères qui déposent les mafieux et leurs familles. Des femmes en robe de soirée, des bijoux plus voyants les uns que les autres, des clowns pour les enfants, des DJ pour animer la soirée, des serveurs partout avec des plateaux de petits fours et de flûtes de champagne. Ça sent le pognon à plein nez. Tout ce luxe m’écœure.
L’intervention se fera à 19h. Il fera encore clair. Mais d’abord, je devrai m’assurer que notre client est arrivé et que la vente a bien eu lieu.
Nous nous retrouvons dans le salon avec le patron et son invité surprise. Ils s’embrassent, sont heureux de se revoir. La vente n’est qu’une formalité. Les valises sont mises au coffre et le Grec et moi allons vérifier les armes dans le hangar. C’est fini. Nous pouvons à présent profiter de la fête … et quelle fête !
J’appelle les gars de mon équipe. Ils sont planqués dans un garage, à quelques kilomètres seulement.
Malgré les nombreux gardes du corps armés, les policiers rentrent facilement dans le domaine. Ils se déploient très vite. Le bruit de la fête a couvert les sirènes. Quasiment personne ne réalise que la police est là. Le garde du corps de Matteo l’entraîne vers le bas du jardin. Il veut l’extraire par la mer. Je cours derrière eux, je les rattrape. Le garde du corps sort un couteau. Nous nous battons férocement. Il me met à terre et porte son couteau à ma gorge. J’arrive à sortir mon arme et le coup part. Son corps s’affale sur moi. Vite, je dois sortir de là et me concentrer sur le boss. J’ai perdu quelques minutes, il a déjà sauté dans son bateau et s’éloigne. J’avoue que je me doutais un peu de ce subterfuge et j’avais demandé aux gardes côtes de se tenir prêts. Ils sortent de la baie et le prennent en charge. Aucune chance pour lui de s’enfuir.
Il aura fallu plus de 90 policiers pour arrêter tout ce beau monde, une trentaine de voitures, trois bateaux et dix combis pour assurer les transports des familles. Probablement, la prise la plus phénoménale des trois dernières décennies.
Quelques jours plus tard, nous réalisons que le cartel Don Lucci est mort. Le plus important fournisseur de drogues et d’armes d’Europe a été démantelé. Les mafieux vont devoir parler. Nous prenons contacts avec les autres brigades anti-mafia en Europe. Foggia était une plaque tournante mais elle a des ramifications partout. C’est au tour de nos collègues d’intervenir.
Nous sommes le 25 janvier 2020, je suis de retour à Naples pour quelques jours de repos. La tombe a été récemment fleurie. Je m’agenouille devant la photo de Maria D’Errico, ma petite sœur, morte beaucoup trop jeune. Justice a été rendue. J’ai tenu la promesse que je m’étais faite. Ce monde est aujourd’hui plus sûr.
Mon vol pour la Colombie est dans 2 mois. J’ai déjà ma nouvelle couverture pour infiltrer le cartel de Sinaloa. Nettoyer ce monde de la drogue et des armes. Un espoir vain ? Peut-être, mais je suis convaincu que c’est possible.
*che pretenzioso : quel prétentieux, vaniteux.