14 Janvier 2020.
Moi, c’est Ella et c’est la première fois que j’écris dans un journal intime. Aujourd’hui c’est mon anniversaire et c’est peut-être la bonne occasion pour commencer à entretenir ce journal.
J’ai enfin 14 ans et pourtant c’est le cadet de mes soucis. Je sais que je devrais être super heureuse à l’idée de fêter mon anniversaire mais cette année, le cœur n’y est pas.
C’est vrai que j’ai toujours été gâtée voire très gâtée par mes deux parents. Ils ont essayé durant plusieurs années d’avoir un enfant sans y arriver. Au bout de cinq ans d’essais et de déceptions, ils ont décidé d’arrêter et de laisser les choses se faire naturellement. C’est à ce moment-là que je suis arrivée. Je suis leur unique enfant, leur petit miracle. J’ai l’habitude de recevoir une tonne de cadeaux pour mon anniversaire mais aujourd’hui, je n’ai rien reçu. Vu la situation, c’est normal.
Je m’apprête à passer cette journée loin de chez moi mais surtout seule car mes parents travaillent tous les deux. Ils ont toujours été très occupés par leur boulot. Ma maman, Ava, est infirmière dans l’hôpital de la ville. Elle y travaille énormément jour comme nuit. Mon père, lui, est pompier donc comme ma mère, il a un horaire très chargé. Par conséquent, je suis assez autonome, j’ai l’habitude d’être seule à la maison. En réalité, je n’ai jamais été vraiment seule car mon chien, Cooper, était toujours là. Mes parents me l’ont offert à l’âge de dix ans pour éviter, justement, que je me sente trop seule. Cela les rassurait de me savoir avec mon chien et c’est vrai que moi aussi ça me rassurait. Cela fait, maintenant, presque deux mois maintenant qu’il est parti et il me manque.
Ce jour-là, ma journée avait commencé de manière normale. Le réveil avait sonné comme tous les jours à sept heures, je me suis préparée puis je me suis mise en route pour l’école. En rentrant, je me suis préparée un bon petit plat pour changer un peu. J’ai dégusté mon plat devant un film qui passait à la télé. Dès que j’ai eu fini de manger, je suis montée dans ma chambre. J’étais crevée de ma journée donc je me suis rapidement endormie. Quelques heures après m’être endormie, je me suis fait réveiller par les aboiements de Cooper. Ce n’était pas dans ses habitudes d’aboyer comme ça : il se passait sûrement quelque chose d’anormal.
Je suis vite descendue mais quand je suis arrivée en bas, j’ai vu les flammes qui détruisaient ma cuisine. J’ai eu dix secondes d’absence puis je me suis reprise. Il fallait que je quitte la maison mais Cooper était pris au piège dans la cuisine. Je ne pouvais pas le laisser, c’était impossible pour moi. J’ai appelé mon père mais je n’ai pas eu de réponse puis j’ai appelé la caserne. La personne qui m’a répondu m’a ordonné de sortir de la maison. Cela m’a brisé le cœur mais il fallait que je sorte ou moi aussi j’allais être prise au piège.
Je suis alors sortie tout en sachant que je ne reverrai plus Cooper. Les pompiers ont pris du temps à arriver. Un grand nombre d’entre eux, dont mon papa, étaient mobilisés sur d’autres incendies qui faisaient rage dans la région. Pendant que je les attendais, j’ai eu le temps de voir les flammes se propager dans ma maison. Littéralement, toute ma vie partait en fumée. Je n’ai jamais ressenti une sensation pareille. Je me sentais tellement impuissante. C’était horrible.
J’ai été emmené à l’hôpital pour contrôler si tout allait bien. Mes parents n’étaient pas joignables, ils n’étaient pas encore au courant de ce qu’il s’était passé. Lorsque j’ai été prise en charge par un médecin aux urgences, ils ont cherché ma maman. Quand elle est arrivée, elle ne savait pas encore ce qu’il s’était passé à la maison. C’est donc moi qui ai dû lui annoncer que notre maison avait brûlé et que Cooper était décédé dans l’incendie. Cela a été un réel choc pour elle. Ma mère et mon père ont travaillé très dur pour pouvoir payer notre maison. Elle représentait le fruit de leur travail, un petit bout de terre qui leur appartenait. Alors, je n’ai pu imaginer ce que ressentait ma maman. Après avoir appris la nouvelle, elle est restée très silencieuse. C’était sûrement dû au choc. Elle disait juste : « Le principal c’est que tu n’as rien ma chérie, tout va bien se passer. ». Ses mots auraient dû me rassurer ou me consoler mais elle n’était même pas convaincue elle-même de ce qu’elle disait alors comment aurais-je pu l’être aussi.
Mon père, lui, a été mis au courant par le chef de sa caserne en rentrant de sa nuit de service. Il nous a rejoint à l’hôpital dès qu’il a su. Malgré les circonstances, mon papa n’a pas pu rester avec nous très longtemps. Il devait retourner travailler car ses collègues avaient besoin de lui. Je suis restée une semaine en observation à l’hôpital. C’était pratique parce que ma maman pouvait rester près de moi et en même temps continuer à travailler.
Depuis cet épisode tragique, je m’interroge beaucoup sur l’avenir. Que faire de ma vie ? Où est-ce que je serai dans dix ans et même dans cinq ans ? Tant de questions banales qui sont devenues presque existentielles.
Aujourd’hui, on vit dans un gymnase avec un tas d’autres personnes qui ont vécu la même chose que nous. Le côté positif à ça, c’est qu’on peut parler en se sentant réellement compris. Mais j’avoue que je ne m’y habitue toujours pas. Ma maison et Cooper me manquent tellement. Mais il y a des habitudes qui ne changent pas, mes parents travaillent toujours autant, voire encore plus.
Ces derniers temps, ils sont très sollicités tous les deux dans leur travail ce qui fait que je ne les vois pas beaucoup. Pourtant, j’aurais aimé les avoir plus souvent près de moi pour m’aider à traverser cette période mais notre pays a vraiment besoin de gens comme mes parents. Je suis très fière d’eux, ils aident tellement de personnes au quotidien. Seulement, je me fais aussi du souci pour eux. Surtout pour mon papa. Il travaille vraiment beaucoup, il est tout le temps sur le terrain et je le sens fatigué que ce soit moralement ou physiquement. Il ne me parle plus beaucoup. C’est vrai qu’on a plus trop le temps de se voir alors qu’on a été très proche avec mon papa. Cette situation n’est pas habituelle et elle me fait de la peine. Je sais qu’il se sent mal par rapport au soir de l’incendie à la maison. Ma maman m’a dit qu’il s’en voulait de ne pas avoir été là et de ne pas avoir pu rester auprès de moi pendant que j’étais à l’hôpital. Mais je ne lui en veux pas du tout, ce n’est pas sa faute. Ses collègues avaient besoin de lui comme toute l’Australie avait et a toujours besoin de lui.
Les pompiers, comme mon papa, sont nos héros nationaux. Ils se battent chaque jour, donnent corps et âme pour l’avenir de notre pays.