Charlotte marchait dans les rues de Bruxelles, pancartes à la main, voilà plusieurs années qu’elle allait régulièrement aux manifestations. En ce vendredi 14 février, elle y retourna encore une fois. Elle avait vu les manifestations devenir de plus en plus violentes : les fumigènes, les vitres brisées, elle voyait les gens crier, agiter leur pancartes comme des armes, jouant avec des couteaux… Ce jour-là elle marchait, elle voyait autour d’elle des gens s’offrir des chocolats. Tout le monde voulait une boite de chocolats en ce jour, sauf peut-être Charlotte : depuis la dernière manifestation, elle ne voulait plus jamais entendre parler d’amour, après ce qui lui était arrivé dans cette ruelle…
Charlotte était dans une petite école, dans une petite ville et elle détestait profondément son prof de sciences, une effroyable personne et un abominable prof qui enseignait des choses profondément stupides et fausses, un sourir carnassier toujours au lèvres. Médisant à propos de tout et particulièrement du climat, et hypocrite qui plus est ! Un jour il se vante de protéger le climat, l’autre il fait imprimer un syllabus de 300 pages recto uniquement et ce pour 5 classes. Celui-ci avait fait des études de médecine et Charlotte se demandait bien comment il s’était retrouvé à enseigner dans le taudis qui lui servait d’école.
Charlotte marchait, seule, se frayant un chemin parmi les gens. Soudain, quelqu’un lui attrapa le bras.
– Ca va, petite ?
Un jeune homme, la vingtaine peut-être, les cheveux blonds, comme elle, les yeux bleus, et un sourire sympathique.
– Qu’est-ce que tu veux, pauvre type ? T’as pas une copine ?
– Tu n’as pas l’air d’être de très bonne humeur.
– Ca tombe bien, parce que je ne le suis pas.
– Parle-moi de tes problèmes.
– Vous êtes psy, maintenant ?
Le jeune homme la regarda intensément. Elle se présenta, et le jeune homme avait raison, rien n’allait plus dans sa vie : le climat était foutu et elle ne savait même pas pourquoi elle continuait à marcher… elle lui parla de son prof de sciences, elle lui parla aussi de Simon, petit, les cheveux roux, les yeux marron. Il l’avait suivie, plusieurs jours de suite, convaincu qu’elle était amoureuse de lui, tout autant que lui était amoureux d’elle. Elle avait refusé ses annonces gentiment. Puis vint le jour où elle eut un petit copain … Quelque temps plus tard il fut retrouvé mort devant l’école, sans qu’on trouve le coupable de ce qui s’avérait être un meurtre… Charlotte avait des soupçons. Elle avait été brisée ce jour-là, et son prof de sciences s’était montré pour la première fois sympathique, il l’avait recueillis sous son aile et lui avait même proposé de la conduire à la prochaine manifestation.
Charlotte hésita un moment à parler du reste à cet illustre inconnu. Celui-ci avait l’air choqué, et il y avait de quoi : un psychopathe à l’école secondaire en crush sur un gamine, c’était pas fréquent, et c’était pas à ladite gamine de porter ce fardeau. Celui-ci continua :
– C’est très grave, ce que tu me racontes là, si tu mens il faut arrêter tout de suite !
– Pourquoi vous mentirais-je ?
Le jeune homme sembla hésiter, il regarda un peu autour de lui, avant de dire à Charlotte :
– Viens, on va s’écarter un peu du parcours de la manif…
– Mais pour aller où ?
– Au poste de police.
Charlotte n’accordait plus d’importance à rien, de toute façon on finirait tous par mourir. Sur le chemin, elle lui expliqua sa manière de voir l’écologie : les dés étaient jeté, tout le monde le savait, tout le monde savait que les politiques se tournaient les pouces, tout le savait que les bons gars n’existaient plus, les pauvres restaient pauvres, les riches devenaient de plus en plus riches, et c’est comme ça que ça fonctionnait.
En chemin, il passèrent devant un clochard, sur sa pancarte il était écrit “ J’ai essayé”. Charlotte déposa une pièce dans son chapeau et ils continuèrent leur route vers le commissariat de police.
– Pourquoi lui avoir donné une pièce ?
– Parce que j’espère pouvoir me dire ça lorsque le climat sera définitivement foutu, j’espère que je pourrai me dire que j’aurai essayé.
– Et si tu pouvais faire plus qu’essayer, et si tu pouvais changer les choses ?
Charlotte rigola, elle avait toujours rêvé de faire plus, mais c’était impossible, juste et simplement impossible.
– Et tu as un copain?
– Non… et je ne veux pas entendre parler de ce genre de choses.
– Pourquoi ?
Charlotte hésita, puis lui raconta. C’était à la dernière manifestation : alors que son prof de sciences était censé la conduire au départ du cortège, il s’était arrêté soudainement au milieu de nulle part. Il avait tiré Charlotte hors de la voiture et l’avait plaquée contre un mur… elle savait ce qui allait se passer, elle ne voulait juste pas admettre que ça lui arrivait à elle. Elle n’avait appris que plus tard que le prof avait perdu sa licence en médecine à cause d’une affaire similaire, avec une de ses patientes. Ils se rapprochaient petit à petit du poste de police quand soudain le jeune homme lui posa une question.
– Tu le déteste vraiment, ton prof ?
– Bien sûr !
– Est-ce que tu aimerais te venger ?
– Evidemment !
– Et pour le climat, jusqu’où serais-tu prête à aller, si c’était pour vraiment changer les choses ?
La question perturba un peu Charlotte, elle hésita.
– Je suppose, à tout ….
A ce moment, le jeune homme sortit une arme à feu de sa poche, et pointa le manche vers Charlotte.
– Tu peux aller à ce poste de police, ils ne pourront rien pour toi, tu peux aller à cette manifestation, ils ne pourront rien changer. Mais tu peux prendre cette arme, et rejoindre mon organisation terroriste, et tu pourras te venger et sauver le climat.
Charlotte hésita : ce garçon était-il en train de la manipuler, était-il en train de profiter d’un de ses états de faiblesse ? Mais elle s’en foutait, elle prit le pistolet et sourit.
– Bienvenue dans l’Arbre, Charlotte ! …
Le jour suivant, elle se rendit à son école. Cette fois c’était à son tour d’arborer un sourire carnassier. C’était son devoir.