Aujourd’hui, il fait enfin chaud. C’est réconfortant. Le soleil n’avait plus brillé depuis longtemps. La météo quotidienne se résumait à un ciel sombre, envahi par de nombreux nuages. Depuis la disparition des saisons, la vie était devenue bien terne. Les humains avaient détérioré l’environnement à un point tel que la Terre s’était révoltée, mécontente. Une terrible explosion avait secoué la planète et un brouillard épais s’était ensuite répandu, continent après continent, balayant tout sur son passage.
De longues années s’étaient écoulées avant qu’une végétation très différente de celle que nous connaissions avant la catastrophe finisse par se développer. De nouvelles plantes aux couleurs improbables étaient apparues. Des milliers d’animaux avaient disparu tandis que d’autres avaient tout simplement muté. La race humaine avait été éradiquée, telle une maladie infectieuse. D’ailleurs, pourquoi ai-je survécu ? J’ai plus de cent ans et mon corps a étrangement conservé sa jeunesse d’antan.
Une légère brise me fait revenir à la réalité. Je lève les yeux, Arum se tient devant moi. Nous nous sommes rencontrés peu après la destruction de notre monde. Mes souvenirs de cette époque lointaine sont très vagues, comme s’ils commençaient à s’effacer de ma mémoire. Arum claque des mains, je sursaute.
— Tu m’écoutes ?
— Oui, m’empressai-je de répondre.
— Que t’ai-je dit alors ?
— Si…euh…
Il sourit d’un air moqueur.
— Tu ne m’écoutais donc pas. Tu réfléchis encore à ton projet ?
Partir ! Voilà ce à quoi je pense depuis des semaines, jour et nuit… Sommes-nous seuls sur terre ? Cette question me hante. Je ne parviens pas à croire à la fin de la race humaine.
Je hoche la tête. Arum se lève et marche un peu.
— Alors, c’est décidé, tu pars vraiment ? demande-t-il, une lueur de tristesse dans les yeux.
— Oui, j’ai l’intention de me mettre en route demain à l’aube, le temps que je termine de préparer mes affaires.
Alors qu’il m’observe sans répondre, j’enchaîne sans attendre.
— Tu sais que tu seras toujours le bienvenu à mes côtés.
— Oui, je le sais. Merci.
Je le quitte et me dirige vers mon habitat végétal, entièrement construit à base de bois et d’algues. Le concept est, pour mon plus grand plaisir, très différent de nos maisons d’autrefois. J’aime la nature à laquelle je me suis toujours sentie intimement connectée. Je pénètre dans mon petit nid douillet, enthousiaste à l’idée de boucler mon sac. Vêtements, plantes médicinales, carte, couvertures, sans oublier un léger pique-nique : je suis parée pour demain. Je respire profondément et m’installe pour vider mon garde-manger : des baies sauvages, accompagnées de myrtilles et de graines. Une fois la dernière bouchée avalée, je me change rapidement et me glisse dans mon lit. Demain, c’est le grand jour. Tout va bien se passer, tout doit bien se passer. Mes yeux se ferment petit à petit et le sommeil m’emporte.
L’aube vient à peine de se lever et je suis déjà prête. Je n’ai pas cessé de me retourner dans ma couchette, tout en pensant à mon voyage et à ce qu’il implique. J’ai hâte, hâte de partir à l’aventure et hâte de trouver des survivants de l’apocalypse. J’empoigne mon sac et sors de l’abri qui m’a fidèlement protégée durant toutes ces années. Il va me manquer.
Une voix familière se fait alors entendre juste derrière moi.
— Alors, on y va ?
Je me retourne, un large sourire aux lèvres. Arum !
— Allons-y !
Nous marchons d’un bon pas et atteignons rapidement Vilnius. Je m’y rendais souvent avec mes parents. Nous marquons une pause, le temps de manger un peu, puis reprenons notre route.
— Tu sais où nous allons au moins ? me demande mon compagnon de route.
— Honnêtement, je n’en suis pas certaine. Je peux situer les routes avec précision mais pas les rescapés. Il est préférable que nous nous dirigions en priorité vers les grandes villes.
Il acquiesce. Nous marchons jusqu’à la tombée de la nuit et nous abritons pour la nuit. Arum s’est directement assoupi. Quant à moi, emportée par mon enthousiasme, je ne parviens pas à trouver le sommeil.
Les jours se suivent et se ressemblent. Et toujours aucun survivant en vue. La végétation a envahi les villes que nous avons traversées jusqu’à présent, même à l’intérieur des bâtiments en ruine. Nous avançons depuis deux semaines et devrions avoir atteint la Belgique, sans certitude en l’absence de panneau. Alors que nous progressons, nous apercevons les décombres d’une structure en métal familière : l’Atomium ! Bruxelles ! Ravis, Arum et moi arpentons les rues de feu la célèbre capitale de l’Europe, à la recherche de nourriture car notre voyage nous a ouvert l’appétit. Arum attire soudainement mon attention.
— Hé, regarde, on dirait un parc.
Sans attendre, Arum s’est précipité vers une barrière qui porte l’écriteau « Défense d’entrer ».
— Arum, attends !
— Allez, dépêche-toi Azalée, je meurs de faim !
Je soupire et décide de le rejoindre, bravant l’interdiction. Cette oasis inattendue abrite de nombreux arbres fruitiers. Je parviens à différencier ce qui est comestible de ce qui ne l’est pas : des baies sauvages, des pommes, des fraises des bois, des graines diverses et plein d’autres bonnes choses à cueillir. J’observe Arum qui a la bouche déjà remplie. Amusée, je l’accompagne dans sa dégustation. Alors que nous nous régalons, nous entendons tout d’un coup un bruissement derrière nous. Nous nous retournons, surpris. Une fillette âgée d’une dizaine d’années se tient devant nous, les yeux écarquillés.
— Qui êtes-vous ? D’où venez-vous ? Du Nord ? nous interroge-t-elle.
Arum et moi restons sans voix. Nous ne sommes pas seuls, je l’ai toujours su. Je ne peux cacher mon excitation. Plein de questions se bousculent dans ma tête.
— Je m’appelle Azalée. Et voici Arum. Nous venons de l’Est, de Lituanie plus précisément. Nous avons fait un long voyage à la recherche de survivants de l’apocalypse. Tu es le premier humain que nous rencontrons depuis notre départ. Quel est ton nom ? Etes-vous nombreux ici ?
La petite fille hoche la tête.
— Moi, c’est Juliette. Vous me suivez ?
— Où ? la questionne Arum.
— Eh bien, à la base !
La jeune fille s’éloigne et nous lui emboitons le pas. Après quelques minutes, nous arrivons devant ce qui semble être un ancien hangar. La fillette pousse la grande porte et nous invite à entrer. Plus de cent personnes de tous âges se tiennent devant nous. Submergée par l’émotion, je perds l’équilibre et m’accroche au bras d’Arum. J’ai finalement eu raison de garder l’espoir.
Une jeune femme nous accueille chaleureusement.
— Salut, je suis Danielle !
— Salut. Moi, c’est Azalée, et lui Arum. Nous venons de Lituanie.
— Votre voyage a dû être long. Venez, je vais vous indiquer où vous pouvez vous reposer.
Nous la suivons à travers le hangar. Tandis que nous progressons, les habitants nous observent. Certains nous adressent un regard bienveillant, d’autres non. Danielle s’arrête et nous sourit.
— Voilà, c’est ici. Installez-vous confortablement, nous vous réveillerons quand le dîner sera servi.
Je la remercie, reconnaissante !
Le petit espace privé est confortable à souhait. Arum se laisse tomber sur le lit et ferme les yeux. Je dépose mon sac sur le sol, m’étire et entreprend d’explorer les lieux. L’envie de rencontrer les habitants me démange. Je me dirige vers la pièce centrale et remarque quelques personnes rassemblées autour d’un jeu de société. Danielle m’aperçoit et me fait un signe de la main.
— Tu veux te joindre à nous, Azalée ?
J’accepte l’invitation avec joie. Danielle m’apprend qu’elle a aménagé ce vieil hangar afin d’accueillir les survivants de l’apocalypse. Des représentants de toute l’Europe se réunissent ici, comme au bon vieux temps, lorsque Bruxelles brillait de mille feux. Raphaël et Nolan viennent d’Italie, tout comme Juliette. Lucie est originaire de Roumanie, Marie et Jean ont voyagé depuis l’Espagne. Ils sont tous très sympathiques et je me sens bien à leurs côtés.
Des semaines puis des mois s’écoulent tranquillement. Arum et moi nous sommes bien intégrés à cette communauté à laquelle chacun contribue selon ses talents et capacités. Je ne peux toutefois pas m’empêcher de me demander s’il y a d’autres survivants ailleurs dans le monde. Et puis, j’éprouve le besoin de bouger, le besoin d’aventures et d’actions. Je décide donc de quitter Bruxelles et de continuer ma quête aux côtés d’Arum qui a accepté mon idée avec enthousiasme.
Je suis à la fois impatiente et émue lorsque que nous saluons Danielle et franchissons la porte du hangar. Mon rêve merveilleux s’est accompli et un autre lui succède.
Après quelques semaines de marche, nous atteignons Porto, au Portugal, une solution en poche pour traverser l’océan et rejoindre l’Amérique du Nord. L’heure du départ est arrivée. Arum glisse sa main dans la mienne et je lui rends son étreinte. Aujourd’hui, je vois enfin la lumière briller au bout du tunnel.