27 décembre 147 – 2h13 PM
Je m’appelle Elen, j’ai quinze ans. À la suite de la Grande Guerre de 2062-2067, le monde a été plongé dans un hiver nucléaire. L’espèce humaine n’aurait pas survécu sans la base Alta sur Mars. La Terre est restée inhabitable pendant quatre-vingt-quatre ans, à la suite desquels l’homme s’est progressivement réinstallé sur sa planète. Son retour a été nommé Renaissance. Pour marquer cette nouvelle ère, les historiens se sont accordés pour reprendre le calendrier à zéro.
Il n’y a désormais plus qu’un gouvernement, un pays uni, ce qui limite les guerres et la corruption. Le système a également mis en place une gestion particulière des emplois. Tout enfant de plus de dix ans est désormais tenu de suivre des entraînements jusqu’à ses dix-huit ans. Chacun dure deux semaines et aborde un métier différent. Les entraînement sont assignés à chacun de manière aléatoire au fil de l’année, à une exception près, sur laquelle je reviendrai. Au fil de ces huit années, chacun accumule des points. À l’issue de chaque entraînement, les éléments les moins performants sont rayés de la liste. Au terme de nos études, nous sommes dirigés vers le métier pour lequel nous avons démontré les meilleures dispositions.
28 décembre 147 – 4h55 PM
En ce moment, j’accomplis l’entraînement E5. Je me trouve dans le même groupe que mon meilleur ami. Heureusement… E5, c’est la forge : la formation la plus ennuyeuse. Il se termine demain. À forger, mes mains sont devenues sèches et dures. Mais lundi commence mon entraînement favori, l’E1.
L’E1, c’est le moment de l’année que tout le monde attend : l’entraînement de pacificateur. Les pacificateurs aident les personnes âgées à traverser, dispersent les manifestations et empêchent les conflits civils, d’où leur nom. En bref, ils empêchent autant que possible les violences, afin de limiter les interventions policières. Cet entraînement est le seul qui dure deux mois et que tout le monde est certain d’avoir tous les ans. On y apprend à tirer, on fait du sport, l’uniforme est beau et confortable, et on est respecté. Les meilleurs effectifs sont envoyés sur Mars, comme Pacificateurs d’Elite, afin de maintenir une paix internationale. En effet, sur Mars, il y a toujours un système de pays à l’ancienne. Ce sont eux qui nous fournissent la plupart de nos ressources vitales. Mon rêve est de partir là-bas.
29 décembre 147 – 8h35 AM
— Maman, j’y vais !
— À ce soir, mon chéri, et fais attention.
— Ne t’en fais pas, je ne suis pas Marc.
Marc, c’est mon meilleur ami. Il se blesse tout le temps pour rien et prend des risques inutiles… Le cauchemar d’une mère.
Seul avantage de l’E5 : on commence tard, à neuf heures.
*
— Ah, enfin tu es là !
— Désolé, Marc, je suis partie en retard.
— C’est malin… Aujourd’hui, on a inspection. Il va falloir qu’on se grouille.
— Je sais ! J’espère que ce ne sera pas le même inspecteur que l’année passée.
Bingo ! C’est le même homme gris. Ses cheveux sont gris, son costume est gris, jusqu’à sa peau est grise, alors qu’il ne doit avoir que la cinquantaine.
Seuls ses yeux et ses chaussures sont noirs.
Il prend la parole de sa voix monotone :
— Avant l’inspection, le ministère m’a chargé de vous faire parvenir une information. À partir de lundi, toute personne âgée de quinze ans au moins et non plus dix-huit devra être assignée à un métier. La sélection de cette année aura lieu dans trois jours.
Des protestations s’élèvent, mais je suis trop paralysée pour réagir. Je n’ai pas eu de points cette année en E1 car je n’ai pas encore eu l’occasion de suivre l’entrainement.
L’inspecteur tape brutalement sur une plaque métallique pour appeler au silence, sur quoi, il descend pour l’inspection.
1 janvier 148 – 7h30 AM
Ce matin, les résultats des quatre années vont être divulgués pour plus de deux cents métiers, ce sera long. Les résultats sont diffusés à la télévision, et commencent par les plus âgés. Groupe par groupe. Je suis dans le cent-dix-neuvième de la quatrième année.
Mon père rentre à neuf heures du matin. Il travaille au ministère et est revenu plus tôt à cause des manifestations contre le nouveau système d’assignation, organisées devant la Maison Gouvernementale.
— Alors, Daddy, est-ce que j’ai une chance d’être sélectionnée ?
C’est mon rêve le plus cher depuis toujours.
— Oui. Les personnes qui n’ont pas pu suivre l’entrainement E1 cette année seront sélectionnées selon leurs points de l’an dernier, et tu étais troisième du classement. Selon toute probabilité, tu iras sur Mars.
-Génial ! Tu as entendu, Mam…
Mon père ne me laisse pas terminer ma phrase et continue :
— Il faut que tu saches que la décision du ministère d’abaisser l’âge minimum pour travailler n’est pas innocente. D’importantes tensions règnent sur Mars. Elles peuvent dégénérer, voire aboutir à une nouvelle guerre. Le Gouvernement veut envoyer un maximum de pacificateurs là-bas afin d’éviter le pire.
— Mais une guerre sur Mars ne nous affecterait pas…
— Au contraire. 90% de nos ressources viennent de là-bas. Si les routes spatiales sont bloquées, nous mourrons tous dans les trois ans.
— Raison de plus pour que je parte !
— Je ne peux pas t’empêcher de partir, mais il faudra que tu sois prudente.
3 janvier 148 – 3h PM
Le départ de la navette est fixé à 3h45. J’angoisse. J’ai mis vingt minutes avant de trouver mes parents dans la foule. Tous les pacificateurs de cette année sont là.
— Sois prudente, ce sont des sauvages sur Mars.
— Oui, Maman, mais je ne tirerai jamais sur quelqu’un qui ne m’a pas menacée.
— Tu as entendu ce qu’a dit ton p…
Comme à son habitude, mon père lui coupe la parole et dit d’un ton franc :
— J’ai dit qu’elle était faite pour maintenir la paix, pas pour alimenter la guerre. Marc est là ?
— Oui, il dit au revoir à ses parents.
— Stella, peux-tu aller dire à Marc de veiller sur elle ?
Ma mère partie, mon père m’observe d’un regard profond.
— Qu’y a-t-il papa?
— Il faut que je te mette en garde, Elen
— Je sais, ils sont sauvages…
L’histoire habituelle qu’on nous serine depuis l’enfance…
— Non, ils ne le sont pas justement.
— Comment ça ?
— Je ne suis pas autorisé à te le dire, le ministère me ferait tuer. Mais méfie-toi de tout le monde, et confie également ceci à Marc. Là-bas, ce sont des humains comme nous, et cette navette n’est pas nommée O-zone, mais zéro-zone, car le Gouvernement a décidé de partir occuper toute la planète. C’est une invasion, pas une mission de pacification
Des officiers commencent à écarter les parents et je suis forcée de rejoindre le vaisseau. 0-zone…
*
Un homme à l’uniforme blanc pur des pacificateurs, mais avec des motifs noirs et rouges sur ses épaules se place entre les rangs et prend la parole :
— Nous arriverons sur Mars dans une heure. Vérifiez vos armes et préparez-vous. Vous allez entrer en zone de tension. Si vous voyez quelqu’un portant quelque chose ressemblant à une arme, abattez-le. Si vous voyez quelqu’un montrer un signe de violence, abattez-le. Ces êtres ne sont pas comme nous. Ils ne connaissent rien à la démocratie et ne rêvent que d’envahir notre planète. Ce sont des indigènes, traitez-les en tant que tels.
Il prononce ces derniers mots avec une haine palpable, qui confirme ce que m’avait annoncé mon père.
*
Nous sommes arrivés à dix-sept heures. La première chose que nous avons vue était une immense forêt de sapins et de belles montagnes couvertes de neige C’était magnifique.
Dès notre arrivée, j’ai prévenu Marc du danger. Il ne m’a d’abord pas crue, mais en lui rappelant le discours de l’officier, il a acquiescé d’un air sérieux. Nous nous sommes discrètement écartés.
Le village était désert et les habitants fermaient leur rideaux en nous voyant. Mais au milieu de la rue se tenait un berger, qui nous interpella :
— Que faites-vous ici ? Vous n’êtes pas les bienvenus dans ces montagnes, ni dans ce village, ni sur cette planète.
— Bonjour, monsieur, je m’appelle Marc, et voici Elen. Nous ne sommes pas ici pour vous persécuter, mais pour vous prévenir que l’État Terrestre a prévu de vous envahir et de vous réduire en esclavage.
— L’Etat Terrestre ?
— Qu’y a-t-il ?
— Eh bien, jeune fille, je pense que je serais au courant si ma planète décidait de s’envahir elle-même !
— Pardon ?
— Cela fait 78 ans que je vis sur cette planète, alors je connais au moins son nom ! Vous, vous venez de Mars, la planète rouge.
Cette affirmation nous laissa incrédules.
— Je sais ce que vous vous dites, mais en ce moment, vous foulez la terre de vos ancêtres. Votre gouvernement n’a fait que vous laver le cerveau afin de vous contrôler et pour que vous n’ayez aucun remords à nous tuer. On a déjà vu ça lors de guerres précédentes, vous savez ?
Je ne pouvais pas y croire. Et pourtant, à mesure que les habitants sortaient de leurs maisons, je sentais que le vieil homme disait la vérité…