Maman,
Ça fait longtemps que je ne t’ai pas parlé. Désolée. Aujourd’hui, dans le journal, je suis tombée sur un article qui m’a fait un choc. Une fille s’est fait harceler à l’école. Elle avait mon âge. Tu te rends compte ? Ça aurait pu m’arriver. Elle se faisait frapper, pousser dans les escaliers et insulter. Une vidéo d’elle a même tourné sur Facebook. Mais pourquoi elle a rien dit ? C’est dingue ! Si ça m’arrivait, j’irais directement en parler, sans hésiter. Maman, elle a fini par se suicider en plus, j’y crois pas. Elle a laissé toute sa famille derrière elle pour quelques personnes qui se moquaient d’elle… Incompréhensible ! Moi, je saurais pas comment faire.
Aujourd’hui, on a joué à Action ou Vérité avec les filles de ma classe. J’avais déjà joué à ce jeu mais elles avaient changé les règles. Je devais dire un défaut sur toutes les filles que je connaissais puis, à leur tour, elles ont toutes dit du négatif sur moi. Il y a eu un peu de positif quand même mais surtout des insultes et des remarques. Je ferais trop « mon intello », je serais « frotte-manche avec les profs » et il faudrait aussi que je « me calme parce que je suis insupportable ».
Je crois que c’est pas méchant, elles veulent juste m’aider à évoluer pour que je sois comme elles pour avoir beaucoup d’amis. Elles m’ont bousculée dans les couloirs, mais c’est pour rire, je le sais. Tant que je me fais de nouveaux amis, ça me va.
On a également joué à « Pierre, Papier, Ciseaux ». Celle qui perdait se faisait frapper à l’épaule pour augmenter le challenge. Elles ont tout le temps gagné, elles sont beaucoup trop fortes et moi, j’ai hyper mal à l’épaule maintenant. Il faut vraiment que je me concentre plus… Bon, il y a quand même du positif : quand les filles me frappaient, un garçon super beau est passé, m’a remarquée et m’a souri. Maman ! J’ai réussi à faire rire un garçon, c’est magnifique ! Je suis sur un nuage.
Je dois te laisser, j’ai du travail pour l’école. On se reparle dans quelques jours, c’est promis.
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Maman,
Aujourd’hui, j’ai entendu parler à l’école d’une fille qui s’est fait violer par le garçon qu’elle aimait. Je comprends pas. Quand on aime une personne, on est toujours consentant, c’est normal, non ? Je crois qu’au fond d’elle-même, elle ne l’aimait pas vraiment, sinon elle aurait pas dit un truc pareil.
Bref, tu te rappelles du garçon de la dernière fois ? Il est venu me parler sur Instagram, le réseau social où on poste des photos et où des filles de mon âge deviennent riches rien qu’en postant des vidéos de beauté. On a discuté dessus toute la nuit ! Mon cœur a commencé à palpiter, ça s’arrêtait pas.
Ce midi, on a même mangé ensemble. Les filles de ma classe rigolaient à chaque fois qu’elles passaient devant nous. J’étais horriblement gênée. Je savais pas quoi faire et lui, il éclatait de rire aussi. Il n’y a que son rire qui m’importait…
En y repensant, je trouve qu’elles commencent à devenir distantes. Elles me critiquent de plus en plus en classe. Je commence à sentir leurs regards insistants quand je passe devant elles.
Bisous, maman. Je t’aime, reviens vite…
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Maman,
Ça fait une semaine que je ne t’ai pas parlé. J’ai passé des journées horribles… Thomas est venu à la maison pour travailler sur un exposé et ça ne s’est pas passé comme prévu.
Juste après les cours, on est partis chercher Guillaume à l’école puis on est rentrés à la maison. Tout au long du trajet, il s’arrêtait pour m’embrasser. C’était magique, je te jure !
Avant de rentrer dans ma chambre, il m’a touché les fesses. Ça ne m’a pas dérangée même si j’avoue que j’étais pas super à l’aise. Tout est allé très vite ensuite. Trop vite… Je n’ai pas eu le temps de retirer mon sac que déjà…
J’ai ouvert mon ordi, pour la recherche, il l’a pris et l’a balancé contre le mur. Mon ordinateur… ton cadeau maman ! J’ai commencé à avoir très peur. Il s’est approché de plus en plus de moi. Il a mis sa main glaciale sous mon t-shirt et est monté vers ma poitrine. J’étais terrorisée, je savais pas quoi faire donc je l’ai laissé faire pour lui faire plaisir. C’était peut-être ça, la fameuse « première fois », après tout.
Il a retiré mon t-shirt, mon soutien-gorge, mon jeans et pour finir ma culotte. Je me suis retrouvée nue en face de lui. J’ai pas eu le temps de dire quoi que ce soit ni même de réagir… Il me disait de le laisser faire parce que toutes les filles font ça et qu’on faisait ça à mon âge. Je l’ai cru. Du moins, j’ai essayé.
Puis, ça s’est passé… Il me tenait les poignets et son corps contre le mien me plaquait au matelas. Je pouvais pas bouger, j’arrivais pas à crier… ça s’est passé…
Il m’a regardée une dernière fois et il est parti… Mes larmes ne cessaient de couler, je me suis sentie vide, un esprit dans un corps vide. Je suis directement partie prendre une douche tant je me sentais sale, salie. J’arrivais plus à me regarder dans la glace. J’avais honte de moi, de ce que je venais de faire, de ce qui venait de se passer. Des flash de lui contre moi défilaient dans ma tête. Dès que je me couche dans mon lit, je le revois m’embrasser, me toucher… J’en peux plus… Il me hante, maman…
Je comprends pas ce qui m’est arrivé depuis ce moment- là. C’est horrible. Pourtant, je l’aimais. Pourquoi j’ai pas aimé ? Pourquoi il m’a fait ça ? C’était un pari ? Aide-moi à comprendre ça, maman, aide-moi… C’est moi qui suis coincée ? Je suis pas normale, c’est ça?
Le lendemain, les filles de ma classe sont passées devant moi et m’ont niée, pas une parole à part des rires… Thomas leur a dit, tu crois ? Pourquoi elles sont comme ça avec moi ? Je suis normale, j’ai toujours été cool avec elles. J’ai pas de boutons sur le visage, je n’ai même pas de super notes à l’école. Je m’habille normalement, vis normalement… Pourquoi moi ?!
Dans les couloirs, elles ont continué à me pousser, à me frapper de plus en plus fort. J’ai compris que ce n’était plus pour rire. Je voyais leurs regards humiliants sur moi. J’ai essayé d’accrocher le regard des autres élèves qui passaient derrière elles pendant que j’amassais les coups sur mon corps. Mais ils passaient et ne disaient rien. Je pleurais de douleur, je sentais leurs poings serrés contre mon ventre.
Je ne bosse plus pour les cours, j’arrive plus. Ma prof de religion m’a demandé de citer tous les apôtres. Mes mains tremblaient face à son regard insistant et les rires des gens de ma classe. J’ai pas su répondre à cause du stress. Les 12 bourreaux, je les connais… pas les apôtres.
Ça a duré toute la semaine mais en allant chercher Guillaume, je devais faire semblant. Oui, sourire devant lui pour pas qu’il s’inquiète. Je suis sa petite maman, maintenant. Ce soir-là, j’étais à bout et je n’ai pas réussi à ne pas craquer devant lui. Il veut maintenant toujours être avec moi, à croire qu’il sent que je ne vais pas bien. Avant de dormir, il vient dans mes bras, c’est même mon seul moment joyeux de la journée. Celui que je préfère. Ce petit de huit ans doit se demander « Pourquoi les filles pleurent ? Pourquoi elles sont pas bien? » et surtout « Pourquoi maman n’est pas là ? »
Je te laisse m’man, tu me manques, reviens, je t’en supplie ! Je t’aime.
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Maman,
Ce matin, j’ai découvert que les pestes de ma classe avaient créé une conversation sur Facebook avec tous mes camarades de classe, même Léna et Laura, les seules qui m’adressaient encore la parole. J’y ai lu plein de critiques sur moi, ainsi que les « plans » qu’ils avaient mis sur pied pour me faire souffrir, encore…
Une personne voulait surement m’aider, m’ouvrir les yeux en m’ajoutant dans cette conversation. J’aurais aimé savoir de qui il s’agit… Qui a voulu m’aider ? Certainement une personne qui avait conscience de l’enfer que j’étais en train de vivre. Les insultes constamment, les coups amassés, le souffre-douleur…
« Mais vous avez sa jupe? Elle l’a trouvée dans une poubelle ? »
« Alors, Thomas, c’était bien chez elle ? »
« Mais quelle pute! »
« Regardez la photo que j’ai prise quand elle était aux toilettes »
« Mais elle a pas honte de porter des fringues aussi horribles ? »
« Vous pensez qu’elle passe sous le bureau? »
« Qu’elle crève, personne ne l’aime »
« J’apporte la corde pour elle si vous voulez »
Et c’est rien par rapport à tout ce que j’ai encore pu lire.
Toute la journée, on m’a regardée de haut en bas. Dès que je passais dans les couloirs, tout le monde riait. Je n’ai fait que penser à ces messages, je me suis même mise à pleurer en classe. Personne n’a réagi, même pas la prof. J’étais invisible, j’étais plus personne…
Je suis allée voir le directeur en fin de journée. C’était la dernière personne qui pouvait m’aider à revenir une ado normale, la dernière personne qui pouvait tout arrêter. Je lui ai tout montré, mes traces sur le corps, la conversation Facebook. Je lui ai expliqué où tu étais, comment je me sentais tous les jours, comment j’ai l’impression de n’être plus rien… Il m’a dit que, malheureusement, j’avais pas de preuves concrètes de mon harcèlement et qu’il pouvait pas m’aider. Il m’a juste conseillé d’aller voir une psychologue scolaire pour m’aider dans mes relations avec les gens de ma classe. J’ai eu l’impression qu’il voulait rien entendre, rien ! Il a même pas essayé… il faut juste que mes problèmes et moi, on sorte de son bureau. Il m’a finalement dit que je devais retourner en cours si je voulais avoir de meilleures relations avec les élèves de ma classe.
Voilà, maman. Je viens juste te dire que j’ai décidé de m’en aller. On se retrouve là-haut dans un futur proche ou lointain, c’est à toi de voir.
Bisous, je t’aime.
***
Elle posa, pour la dernière fois, un baiser sur le front de sa mère, prit ses affaires et s’en alla.
Sur le pas de la porte, l’ado entendit un bruit, et courut vers le lit où se trouvait sa mère.
« Maman ! Maman !… Infirmière ! Infirmière! Je crois que maman sort du coma ! »
La vie seule décidera de leur offrir un futur à toutes les deux…