7 janvier 2087. Aujourd’hui, j’ai vingt ans. En cette douce journée d’hiver, je pars faire les courses, pendant mon séjour, en Suisse. Pourquoi en Suisse ? Je viens de finir ma première année d’études de psychologie et je fais donc naturellement un Erasmus dans le plus riche des derniers pays d’Europe.
Alors que je suis en train d’examiner les bouteilles d’huile d’olive synthétique , je reçois un message de Damien, mon voisin de chambre et mon meilleur ami.
Damien : « Hé mec, tu rentres quand ? »
Moi : « Dans genre 40 minutes.»
Damien : « Cool 🙂 »
Moi : « Pourquoi ? »
Damien : « Pcq vu que c ton annif, j’aimerai qu’on aille au Java Club pour fêter ça, en plus j’ai une petite surprise pour toi 🙂 »
Moi : « Ah super, j’suis partant ! »
Encore moi : « Juste pour l’info, « aimerai » s’écrit « aimerais », c’est du conditionnel, mon petit pote. »
Damien : « Toi et ta grammaire ! »
Je ferme mon téléphone en souriant, je me dépêche de choisir un ersatz d’huile et me dirige vers les caisses. Direction le métro : je m’assois dans un wagon. Je monologue un peu pour passer le temps.
Même si je ne suis pas botté par cette idée de soirée d’anniversaire, j’avoue que c’est toujours mieux que de retourner à l’hôtel capsule. Dormir là-bas s’apparente réellement à une prison, c’est à en devenir complètement barjot !
Mais bon, entre la chambre d’hôtel « bon marché » à 1000 francs la nuit et l’hôtel capsule qui ne dépasse même pas la trentaine, mon choix est vite fait. Depuis la vague d’immigration des îles britanniques et d’Europe occidentale, le loyer a tellement augmenté, c’est dingue… J’ai eu pas mal de chance, quand j’y pense… Vivre dans les Ardennes avait un avantage : son altitude. Cela a permis d’échapper aux inondations !
Heureusement, le problème climatique s’est bien amélioré suite au mouvement néo-hippie des années 30…
« PROCHAIN ARRÊT : GRETA THUNBERG, NÄCHSTE STATION : GRETA THUNBERG » lance la voix du métro qui interrompt mes pensées.
Je sors de la gare et vois Damien qui m’attend au loin. Je me dirige vers lui pour lui faire un check.
Damien : « Et bah, t’as pris ton temps ! »
Moi : « Hey, c’est pas ma faute… J’te rappelle que c’est pas moi qui conduis le train ! »
Damien : « Haha… T’inquiète… On prend un taxi ? »
Je hoche la tête et nous commençons à nous diriger vers la station de taxi la plus proche indiquée sur le téléphone de mon ami.
Quelques minutes plus tard, nous sautons dans le véhicule. Damien baragouine quelques mots d’allemand à la machine conductrice. Sans répondre, elle se met en mouvement ! Mon ami me regarde avec un sourire satisfait et narquois.
Damien : « Qu’est-ce qu’on ferait sans moi ? » s’exclame-t-il.
Je m’abstiens de répondre, dépité.
Une vingtaine de minutes s’écoule, le taxi s’arrête et réclame de l’argent pour nous laisser sortir. Connaissant la précarité de mon voisin de chambre, je règle l’addition.
Une fois descendu, je constate alors la grandeur et le prestige du bâtiment qui se dresse devant moi. Cette structure à l’ambiance vaporwave est tout simplement unique et sa magnificence est renforcée par des centaines de néons bleus et roses l’illuminant. Ce sentiment que j’éprouve, est-ce l’extase que ressent une mite face à une lampe de bureau ?
« Ça en jette, hein ? » dit Damien avec un grand sourire.
Nous nous dirigeons vers le couloir qui mène à l’entrée de la boîte. Le portier nous arrête, mon compagnon lui présente une invitation. Le balourd de gardien nous laisse rentrer sans broncher.
Damien me tend un bout de papier buvard avec un émoji qui sourit dessiné dessus et nous nous dirigeons vers le bar, histoire de faire passer la came avec de l’alcool…
Ce fut la plus grosse erreur de ma vie.
Notre timidité ayant disparu avec la boisson et la drogue, nous partons vers la piste de danse pour tenter de draguer de jolies filles.
Quelques heures plus tard, je sens quelqu’un me tirer hors de la piste.
« Qu…qu’est-ce que t-tu m’veux toi…? » dis-je surpris.
Mais je réalise vite qu’il s’agit de Damien qui veut rentrer.
« Mec… T’es complètement fonce-dé, tu vas t’évanouir si tu continues à danser comme un mongol ! »
N’ayant plus de libre-arbitre, je le suis et quitte le club. C’est alors que je m’exclame avec joie :
« Hahaha ! Regarde mec ! Y a la fête et les lumières même là-bas ! »
Je me libère de son étreinte pour courir vers ce que je pense être un dancefloor.
« Chris ! Reviens ! T’es con ou quoi ? C’est les rames du tram !
Et là, plus aucun bruit. Le noir complet…
« Suis-je mort… ? »
« Monsieur ? Vous m’entendez ? »
Je reprends doucement connaissance.
« Ah, vous êtes enfin réveillé ? » lance une voix étrangère.
« OÙ SUIS-JE ? »
Mais ce n’est pas ma voix qui a répondu : à la place s’est fait entendre une voix rauque et robotique.
« QU’EST-CE QU’IL M’ARRIVE ? QU’EST-CE QUI EST ARRIVÉ À MA VOIX ? »
« Un tram vous a écrasé, M. Dubois ! » dit l’homme qui est en fait un chirurgien.
« Je suis vraiment désolé de vous l’annoncer, mais tout votre corps a été détruit à l’exception de votre tête. Et vu que vous présentiez encore de l’activité cérébrale quand nous sommes arrivés, nous avons réussi à vous sauver grâce à une opération qui vient d’être mise au point. »
« C’EST-À-DIRE ? » demandé-je inquiété.
« Nous vous avons fait une pancorporectomie. Votre cerveau est la seule partie qui a tenu le coup. Il est maintenant dans un bocal ! Je suis désolé ! »
Le docteur apporte alors un miroir pour que je puisse constater mon état. J’aperçois alors un bocal rempli d’un liquide blanchâtre.
« Est-ce du liquide céphalo-rachidien ? »
Dans ce fluide se trouve une masse rosâtre striée de rouge. Je n’arrive pas à y croire, s’agit-il de mon dernier héritage biologique, mon cerveau ?
À cette gelée sont branchés une caméra, une enceinte et une bouteille de sang oxygéné.
C’est en voyant l’abomination de ce que je suis devenu que je réalise l’ampleur de la situation.
Que me reste-t-il d’un être humain ? Heureusement que le suicide assisté est autorisé ici.