Je n’y vais pas pour mourir. J’y vais pour voir si je suis vraiment vivante.
Mera Reign se réveilla en sueur. Il était rationnel d’être tendue lorsque l’on s’apprêtait à entamer le périple le plus important de sa vie. Après cette journée, elle deviendrait criminelle interplanétaire, traître de la race humaine. Il n’y aurait pas de retour en arrière. Elle sortit de son logement et partit rejoindre le reste de son modeste équipage dans la salle de vie du Bouclier d’Éden. Celui-ci n’était plus au top de la technologie lorsqu’on le comparait aux vaisseaux nouvelle génération de l’an 2071. Il n’était pas le plus rapide, mais ce vaisseau était toujours considéré comme le meilleur vaisseau de défense qui existe. Je suppose que les gens n’ont guère envie d’explorer les possibilités défensives qui sont pourtant cruciales lors de batailles interstellaires, de nos jours.
Aux commandes de ce véhicule interstellaire, il y avait Ken Kombau. Ancien ingénieur dans l’armée Humanum, les nouveaux humains, mixtes avec d’autres espèces extraterrestres. Il avait quitté ses rangs afin de venger sa planète d’origine, la Terre, du viol qu’elle recevait de ses frères et sœurs de race. En effet, le pillage de ressources des chefs des anciens gouvernements avait transformé leur géniteur commun, leur maison, en une sphère désertique où seule la mort et le désespoir règnent. Mais ils ne s’étaient pas arrêtés à la Terre, non. Dès qu’une planète semblait habitable, elle connaissait le même sort que la protégée d’Atlas. Insatiables, leur soif de conquête n’était jamais réellement apaisée.
C’est avec Ken que Mera créa l’Ordre de la Rose Rouge, un “groupe d’éco-terroristes mercenaires qui ne cherchait qu’à détruire le progrès de l’humanité”. Du moins, c’est ce que disaient les politiciens corrompus par l’idée de pouvoir contrôler des centaines de planètes et de s’enrichir toujours plus. A leurs yeux, ils étaient envoyés par la planète pour effectuer un combat impossible : arrêter la destruction et la colonisation de formes de vies par la race humaine, et restaurer la Terre pour lui rendre sa beauté d’antan.
Avec eux dans la salle principale était assis Carter Jear, un jeune homme plein d’entrain, ancien acrobate. Ses parents étaient morts lorsqu’il n’était qu’un enfant. C’est alors qu’un forain l’avait pris avec lui. Après cela, Carter avait été amené dans les rangs du Cirque Galactique, pour lequel il s’était entraîné sans répit dans le but d’être le meilleur acrobate dans le système solaire. Cependant, un jour, l’armée Humanum attaqua le cirque : ils détruisirent leur matériel, ainsi que la vie de leur dirigeant et d’une poignée de ses amis, tout cela dû à des “suspicions d’activités criminelles”. Depuis, Carter jura qu’il ferait tout pour arrêter l’armée. Il rejoignit les rangs de Mara et Ken peu de temps après, malgré leurs intérêts divergents.
Carter lança une conversation. ”Alors Miss, tu te réveilles enfin ?”, dit-il d’un ton moqueur.
“Laisse-la un peu, elle avait besoin de sommeil. Surtout aujourd’hui, cela pourrait être sa dernière nuit.”, rétorqua Ken.
Mera soupira. “Avec cette logique Ken, j’aurai toute l’éternité pour dormir dans les abysses de l’enfer, tout comme au sommet du Mont Olympe, donc ce n’est pas si grave. On en est où dans les préparations du saut dans l’Hyper Espace ?”
“On sera prêts dans une bonne heure”, répondit Ken. “Bon, c’est bien beau tout ça, mais c’est quoi le plan ? On est censé débarquer sur Terre et planter nos graines expérimentales au dernier lieu de verdure ? L’endroit le plus gardé dans toute la galaxie ? C’est du suicide !”
Mera rit. “C’est pas plus mal. Si on échoue, je préfère crever que d’aller au trou.”
En effet, Mera n’avait rien à perdre. Elle avait dévoué sa vie à la protection d’autrui : si elle échouait dans sa tâche, que lui resterait-elle à faire ? Pourrir en prison en attendant l’inévitable marche cauchemardesque vers le vide de l’autre monde ? C’était hors de question.
Après une longue attente, ils arrivèrent enfin à destination. Nom de code : 34-RTH. La planète Terre originale. Ils atterrirent à proximité de leur cible, le dernier espace vert de la planète, connu sous le nom du Jardin d’Ève. Luxurieux, cet espace était l’habitation du seul pourcent de la population qui avait les moyens d’y vivre. Fontaines à eaux infinies, le liquide étant synthétique bien évidemment, diverses activités, des maisons gigantesques. Bref, le paradis sur Terre. Les habitants étaient généralement des humains non-hybrides : ils étaient favorisés par le public général grâce à leur perception de la perfection. En effet, malgré les avantages à être hybrides, ceux-ci ne se sentaient pas assez “humains” et espéraient donc recevoir l’attention et transformaient en dieux vivants les rares non-hybrides qui existaient encore, ce qui leur donnait une grande valeur potentielle. Ils étaient utilisés surtout pour les publicités : et les publicités de nos jours, ça paye cher.
Soudain, des alarmes résonnèrent au cœur de cette communauté de privilégiés.
“Ne bougez plus bande de fumiers ! Vous êtes encerclés ! Rendez-vous et peut-être qu’on vous laissera vivre un jour de plus!”
“Enfin un peu d’action !” lança Carter. “N’y va pas espèce d’idiot !”,Mera cria dans l’espoir d’empêcher son coéquipier de se jeter dans la gueule du loup. “Hey, tu l’as dit toi-même; si on va échouer, autant crever. Et si je crève, ce sera en beauté ! The show must go on !”
“Ce gamin va finir par me tuer !”, dit Ken en allant lui prêter main forte, Mera à ses côtés.
Ils devaient être une centaine. Devant eux s’étendait la puissance de l’empire Humanum. La bataille commence alors. Carter, léger comme le vent, sautait sur les têtes des militaires qui portaient des équipements trop lourds, les empêchant de l’arrêter. Mera, elle, restait avec Ken : Celui-ci disposait d’un bouclier énergétique, qui ne laissait passer au travers de celui-ci que des balles spécifiques, utilisées par Mera elle-même. On penserait qu’avec tous les progrès technologiques, comme la possibilité de transférer une conscience humaine dans un androïde, on aurait des meilleures armes à feu, mais uniquement les munitions ont été améliorées pour fonctionner en anti-gravité.
“On sait ce que votre graine va faire !”, dit un soldat. “Vous allez planter une bombe et détruire ce qu’il reste de la Terre ! Tant que je serai vivant, je ne vous laisserai jamais-”, sa phrase demeura incomplète à cause d’une balle dans son crâne. “Oups.”, dit Mera avec un sourire narquois. Elle ressentait tout de même quelques remords : le soldat ne connaissait pas la vérité, il ne méritait pas un tel sort.
Tout semblait se passer à merveille, mais leur révolution fut interrompue. Ils avaient eu Carter. Ils brisèrent le bouclier de Ken, et une balle perdue atterrit dans son crâne. Mera était seule, sans munition, sans équipage. Il fallait se rendre à l’évidence, ce combat était bel et bien impossible, qu’importe le nombre de soldats abattus sous les balles vengeresses de mercenaires plein de regrets et de désespoir.
La population effrayée, qui observait depuis leurs villas verdoyantes, avait pitié des fous qui croyaient en leur cause. “C’est terminé. Maintenant, dites-nous pourquoi vous vouliez détruire le Jardin d’Ève, ou payez le prix ultime.”, dit le général de la troupe envoyée pour les arrêter.
“On souhaite le meilleur pour la planète, mais vous êtes trop corrompus pour le voir.” rétorqua Mera. Le général rit. “Elle est bien bonne celle-là ! Quelle idée de s’opposer à votre propre espèce ? Et seulement à trois ? Quelle piètre chef !”
“Ils étaient les seuls qui avaient le cran d’opposer la conscience commune.”
“Les seuls assez stupides pour s’y opposer, plutôt. Dans votre prochaine vie, évitez de faire des manœuvres suicidaires. Après, c’est juste un conseil.”
“Je ne suis pas venue ici pour mourir.”
“Hm?”
“Je suis venue pour voir si j’étais vraiment vivante. Un tel univers, détruit par les corrompus, pour moi, ne peut exister. J’ai l’impression d’être dans un rêve ; même un cauchemar. Je n’ai plus rien à perdre. Alors si je perds la vie, cela n’a pas d’importance. Car si j’ai voulu me battre pour ce qui est juste, d’autre feront de même.”
“Je vois. Tant mieux, tu pourras mourir sans regrets.”
“Qu’est-ce donc ? De la compassion ? Général, vous ne devriez pas montrer vos faiblesses, vous savez.”
“C’est vrai, mais c’est ça être humain. Cependant, votre sort reste scellé.”
“Je comprends. Hâtez-vous.”
“Adieu.”
Et c’est ainsi que l’Ordre de la Rose Rouge disparut.
Cependant, leur impact, lui, est toujours présent. Le message était simple, mais tout de même réussit à émouvoir le général, qui commença à penser comme eux. En effet, la grande bataille du jardin d’Ève lui avait laissé un mauvais goût dans la bouche. Après sa victoire, il était rentré chez lui et avait regardé par la fenêtre. Pas d’arbres, pas de fleurs, pas d’herbe. Juste du bleu métallique régnait dans la métropole. Ce manque de vie et d’âme l’avait fortement déprimé, surtout après avoir vu la beauté du jardin d’Ève. Il s’était alors demandé s’il avait commis une erreur en empêchant la révolution. C’est pourquoi il décida d’utiliser sa notoriété pour faire progresser Humanum en étant le moins destructeur possible. Quant aux habitants du Jardin d’Ève, ils trouvèrent la graine par hasard et décidèrent de la planter au centre de leur paradis. Un grand courant d’eau émergea et, petit à petit, rétablit la faune et la flore de la planète.
Leur mission était accomplie.