Il est 16 heures. Je viens de sortir de ma session rendue plus difficile que d’habitude à cause d’une atroce migraine que même un antidouleur ne peut soulager. Je n’ai pas le choix : je dois prendre sur moi. Dans une heure, je vais me former à l’utilisation des nouvelles neuro-puces qui vont bientôt être mises sur le marché. Je ne peux pas rater cette formation… C’est crucial, pour ma carrière, pour mon existence !
Il est maintenant vingt heures et Monsieur Gaubert finit son exposé sur l’insertion d’une puce dans le cerveau par l’oreille. Je n’ai pas encore fini l’exercice mais cette migraine persiste et empire de jour en jour, d’heure en heure et de minute en minute… Je dois trouver une solution à ces douleurs qui me handicapent beaucoup. Je songe sérieusement à consulter un spécialiste.
Non ! Mauvaise idée ! Depuis la loi de 2040 autorisant les hôpitaux à utiliser des humanoïdes, cela risque d’être une épreuve ! Je vais plutôt demander un avis à Oncle Raj qui a exercé avant cette loi de 2040.
La rencontre avec Oncle Raj n’a pas été très concluante. Il m’a servi tout son « blabla… » habituel et la seule chose quilui est venue à l’esprit est que la seule façon de régler un problème est de revenir à la source ! À la source ? Mais quelle source ?
Je ne sais pas où il veut en venir… Veut-il évoquer son pays d’origine ? Veut-il faire allusion à nos origines bhoutanaises? Il est vrai que le Bhoutan est encore un des seuls pays au monde qui soigne encore les gens de manière naturelle et qui emploie de vrais médecins humains !
La seule façon de le savoir, c’est de s’y rendre ! Je vais immédiatement me connecter à une session voyage sur mon casque VR.
« AUCUN PAYS NE CORRESPOND AUX TERMES DE RECHERCHES SPÉCIFIÉS ».
Je ne suis pas fou ! Ce pays dont je suis originaire est bien le Bhoutan ! Je suis tout à coup pris de panique.
Pimpom pimpom… Les gyrophares de la police éclairent tout mon quartier avant de s’arrêter devant chez moi. J’ai tout de suite compris que le voyage virtuel que j’ai essayé d’effectuer n’est pas anodin…
Cela fait maintenant plus de trois heures que je suis dans cette salle sombre, occupé à me demander pourquoi j’ai été embarqué. Serait-ce parce que je m’intéresse à un pays idéal, l’antithèse de notre état devenu totalitaire ? Le Bouthan, un pays himalayen qui détient le secret de longévité et qui fait passer le bonheur de ses habitants avant la croissance économique…
Un agent se décide enfin à venir m’interroger. Il sort un bloc-notes et s’adresse à moi d’un ton sec. Curieux… il me faitune description très détaillée de ma vie. J’apprends des choses sur moi dont j’ignorais l’existence. Il finit par une question :
– Nous connaissons les origines de votre famille et nous voulons savoir pourquoi vous voulez retourner dans ce pays primitif ?
Je lui réponds tout simplement que je voulais juste par curiosité voir à quoi ressemblait ce pays merveilleux dont on m’a tant parlé.
Il range ensuite son bloc-notes nerveusement et me dit qu’à partir de maintenant, je suis interdit de voyage dans le métavers mis à part pour des raisons professionnelles et que si j’ai le malheur de refaire un voyage en dehors du cadre professionnel, ça sera la case prison !
En sortant de ce commissariat, une seule idée me trotte en tête : il faut que je réussisse par tous les moyens à accéder à ce pays… Si c’était le seul remède à mon mal être ?
Ma session de travail commence dans trente minutes… J’ai donc vingt-cinq minutes pour déserter avant que mes supérieurs ne remarquent mon absence.
Par où commencer ? Je dois tout d’abord me cacher jusqu’à ce que je trouve le moyen de me rendre au Bhoutan. Chez mes parents, c’est trop risqué, les andropoliciers commenceront à fouiller chez eux… Oh, je sais ! Oncle Raj m’a dit avant que je ne le quitte qu’il allait dans sa maison de vacances dans les Ardennes.
J’enfourche ma moto et direction La Roche !
Avant de prendre l’autoroute, j’aperçois avec effroi un avis de recherche accroché à un éclairage public… avec ma photo en grand ! Il a donc fallu trente minutes aux vigiles pour remarquer que j’avais pris le large. C’est à ce moment que je me rends compte que je suis devenu un fugitif, autrement dit “un criminel” pour nos autorités !
Après de nombreux détours, notamment par les chemins forestiers, j’arrive discrètement chez mon oncle. Les douleurs reprennent, s’amplifient et je m’évanouis devant sa porte.
Deux heures plus tard, je reprends mes esprits.
– Tu es fou ! me lance Oncle Raj. Si tu te fais prendre, tu es mort ! Tu as de la chance que ton père peut faire jouer ses contacts au Ministère de l’Intérieur ! Tes parents risquent aussi de sérieux ennuis ! Et moi ? Moi, je passerai un mauvais quart d’heure en te cachant. Tu as de la chance que cette maison n’est pas enregistrée dans leurs bases de données !
Je ne parviens pas à sortir quoi que ce soit.
– Mais…
– Je ne sais pas si tu te rends compte de ce que tu fais là, Harris, c’est de la haute trahison…
– Je n’ai rien fait de mal… Je ne me suis juste pas présenté au travail.
– Tu connais le système dans lequel nous vivons depuis 2040 : la loi Perfection, ça ne te dit rien !
– Oncle, la seule solution pour nous sortir de tout ce pétrin, c’est de rejoindre le Bhoutan ! Je suis certain que tu as une solution pour y aller sinon tu n’en aurais jamais parlé !
Bien sûr qu’Oncle Raj a une solution pour aller au Bhoutan ! Il faut d’abord gagner la France où se trouve le dernier groupe rebelle.
Après une heure et demie de route, nous arrivons aux abords de la ville de Lens. Nous suivons les coordonnées que le contact d’Oncle Raj lui a données. Nous nous retrouvons dans une vaste plaine au milieu de nulle part. Soudain, Oncle sort une seringue de la poche de sa veste et me pique. Juste avant que je ne m’endorme, j’entends une douce voix me dire « désolé !»
Je me réveille. Je ne sais pas après combien de temps. Je ne sais pas où je suis… Tout ce que je sais, c’est que je me réveille agréablement. Je suis dans un lit confortable et je vois que je suis dans une maison en bois. Ma douleur à la tête a complètement disparu comme si elle n’avait jamais existé. Je me lève et me dirige vers la porte. En ouvrant celle-ci, face à moi, une vue extraordinaire, une sensation de plénitude traverse tout mon corps. Je respire un air pur.
Je comprends directement que je ne suis plus en France…