Nous regardons tous avec envie la navette de récupération hebdomadaire quitter lentement le port spatial du H.O.P.E. . Cela va faire plus de dix ans que ce vaisseau est le seul et unique lien avec notre véritable habitat, la Terre. Depuis maintenant une décennie, cent millions d’êtres humains vivent dans l’intérieur d’un anneau géant entourant celle-ci. Ainsi il nous suffit de lever les yeux pour admirer notre planète originelle, maintenant devenue le territoire de gens se croyant être les seuls à mériter ce magnifique endroit. « L’Assemblée des Plus Valeureux », comme ils aiment à s’appeler a déporté ceux qu’ils considèrent comme nuisibles en dehors de la surface de leur propre habitat, parfait pour s’en débarrasser sans alourdir leur conscience en les exterminant.
Les « Exilés » qui auraient soit disant reçu la « chance d’être éloignés du Chaos Inhumain présent sur Terre » habitent désormais sur un complexe presque autonome vivant de l’agriculture, de l’industrie et des quelques rations exportées par les intra terrestres. Mon groupe d’amis et moi sommes affectés à la gestion des arrivées de produits chaque semaine au quai spatial.
- Ils en ont de la chance, ceux qui vivent toujours sur la surface, dis-je en déplaçant une caisse de ration. Ils peuvent profiter des dernières richesses de la planète dans de super endroits après nous avoir envoyés sur un donut de métal géant.
- Les gens qui nous ont envoyés ici n’ont aucune considération pour nous, répondit Johan. Ils ont envoyé les moins riches sur un anneau géant autour d’eux pour les éloigner de leur petit paradis ! Et ils appellent ça un refuge !
- Qu’est-ce que vous en savez ? demanda Simon. Il paraît que ce n’est pas si bien que ça en haut, et qu’on a de la chance d’être abrités en dehors du Chaos.
- Mais c’est bien sûr ! Les gens les plus puissants du monde nous auraient envoyés à 500 kilomètres d’eux sur un rond de métal pour nous protéger de « menaces biologiques » ! s’énerva Johan. Quelle touchante naïveté…
Parmi les Exilés, nombreux sont ceux qui croient aux discours de l’Assemblée, selon lesquels quitter le H.O.P.E. serait très dangereux. Ils seraient les seuls à avoir le courage de rester à la surface pour nous fournir une vie meilleure. Bref, tout un ramassis de mensonges éhontés pour se prémunir d’une révolte incontrôlable de notre part.
- Ce dont je suis sûre, dit Chloé, c’est que les rations qui entrent ici diminuent de plus en plus chaque semaine. Je suis certaine qu’il manque au moins 200 caisses par rapport à la semaine dernière, et 100 de plus par rapport à celle d’avant.
- Tu connais la meilleure, dans le dernier communiqué de l’Assemblée il paraît que « les conditions se sont aggravées, et que les ressources devraient malheureusement être restreintes », je suis presque sûr d’avoir vu des feux d’artifices dans le ciel l’autre soir. Ca ne doit pas être si terrible comme conditions pour organiser des fêtes… répondis-je en déplaçant une autre caisse hors de la navette.
Les deux gardes du vaisseau nous zyeutent pour s’assurer que personne ne tenterait de s’infiltrer comme passager clandestin à bord. Ce sont deux militaires en combinaison blanche armés mesurant au moins deux mètres. Une fois notre travail terminé, le vaisseau s’apprête à quitter le quai pour retourner sur la planète bleue, qui tend d’ailleurs vers le brun depuis ces dernières années.
- Où est passé Johan au fait ? dis-je en sortant du quai.
- Chais pas, moi, dit Chloé en dévorant le contenu d’une caisse de rations à peine ouverte. Il est peut-être déjà parti…
Nous l’apercevons quelques minutes plus tard ,courant vers nous avec la tête de quelqu’un qui a vu un fantôme, un fantôme du genre à vous faire tomber en fonçant dans la foule. Il bouscule tout le monde et nous rattrape :
- Vous ne devinerez jamais ce que j’ai découvert tout à l’heure à bord de la navette, s’époumona-t-il.
- On t’a tous vu t’éclater par terre, n’essaie pas de détourner l’attention, répondit Chloé.
- Peu importe pourquoi je suis tombé, j’ai vraiment quelque chose de fou à vous dire, ET ARRÊTE DE RIRE, je suis à peine tombé !
- Explique-toi, j’ai fini de rire, dit Chloé.
- Je crois qu’il y a moyen de prendre le contrôle du vaisseau la prochaine fois qu’il accoste au quai, un moyen de pouvoir quitter l’anneau pour de bon.
* * *
Nous nous sommes réunis dans une allée couverte près des quartiers résidentiels, prêts à écouter le récit de Johan avec attention. Nous avions pris garde de ne pas discuter autour d’un bâtiment avec caméras ou surveillants, car il y avait de fortes chances pour que nous soyons épiés par le monde terrestre.
- Donc tu es sûr que ça peut marcher ? Tu n’as pas peur que ce soit un peu… mortel ? demanda Chloé.
- Je pense que ça pourrait fonctionner, il suffit d’aller chercher les caisses comme d’habitude, puis de passer par un couloir d’issue de secours du vaisseau pour arriver devant la réserve d’armes. De là, on pourra neutraliser les deux seuls gardiens sans faire trop de bruit et alerter les surveillants de l’anneau.
- La réserve est restée ouverte pendant le déchargement ? Sans personne pour la surveiller ? Demandais-je
- Non, mais c’est une porte en verre qu’on peut briser, il suffira de faire diversion pour que personne n’entende de bruit, répondit-il
- Supposons qu’on arrive à prendre le contrôle de la navette, comment comptes-tu piloter ce machin ? Je te rappelle que tu as toujours du mal avec un vélo, lâcha Chloé
- J’en sais rien moi, ça ne doit pas être compliqué. On peut toujours obliger un type à nous amener en haut, et on prendra le plus de monde possible avec nous.
- La question est plutôt de savoir quoi faire si on réussit à atterrir, on ne sait pas à quoi ressemble la surface ni comment on sera accueillis, dis-je sur un ton légèrement angoissé.
Nous passons les jours de la semaine en ne pensant qu’à ce plan délirant, nous sommes tous sûrs de vouloir le faire, mais pas de vouloir en prendre le risque. La tension monte progressivement au fur et à mesure que la date du prochain convoi se rapproche. La semaine s’avère d’autant plus stressante que nous nous occupons de passer le mot à des gens de confiances qui pourraient vouloir fuir avec nous. Nous savons pertinemment que de grosses récompenses sont offertes à ceux qui dénoncent des hors-la-loi. La veille du Jour-J, nous avons réuni 130 personnes partantes pour venir avec nous.
* * *
Jour-J. Les 130 futurs passagers clandestins se sont regroupés près du quai, prêts à faire diversion comme l’indique le plan. La navette arrive enfin, le long vaisseau blanc entre dans le quai et ouvre ses portes. De notre côté, nous nous apprêtons à embarquer pour sortir les rations comme chaque semaine, en espérant que ce soit la dernière fois. Pour l’instant l’atmosphère est calme et personne ne se doute de rien. Après quelques minutes, les gardes partent de leur poste d’observation en urgence. Ils ont entendu un grand fracas en dehors de la zone d’accostage. C’est le signal, le moment de passer à l’action.
- Dépêche ! Ils vont revenir dans à peine cinq minutes ! cria Simon
- C’est par là ! dit Johan en indiquant un couloir sombre à l’arrière du vaisseau. Tournez à gauche ! L’autre gauche ! Et voilà, il va falloir enfoncer la porte.
Chloé et moi apportons un extincteur et brisons la porte d’un coup sec. Elle vole en éclat, et après quelques secondes à se regarder sourire bêtement, les lumières virent au rouge, et une alarme assourdissante se déclenche.
- C’est quoi, ça ? Pourquoi ça sonne ? demanda Johan en paniquant
- À ton avis ! On va se faire repérer, il faut partir avant que les gardes ne reviennent. S’ils nous attrapent on est tous morts, hurla Chloé
- Pas question de fuir, ils sauront de toute façon que c’est nous. Prenez vite une arme et sortez de là ! On a promis de ne pas faire marche arrière ! répondis-je
Dès que les deux gardes reviennent en courant, ils entrent à bord du vaisseau et vont vers la salle de contrôle. En une fraction de seconde, une foule de civils se précipite vers le quai pour embarquer. Nous nous jetons désespérément sur les gardes pour les neutraliser, et pris de surprise ils ne parviennent même pas à se défendre. Nous les emmenons vers le cockpit une fois désarmés pendant que les fuyards se bousculent à travers les quais pour aborder. La panique sur l’anneau se répand, les gens se piétinent et se bousculent à tel point que beaucoup suivent le mouvement sans même comprendre ce qu’il se passe. C’est alors que l’alarme générale de tout l’anneau se met à sonner, et au vu de la folie de la situation nous refermons les portes de la navette déjà remplie d’au moins 300 personnes apeurées.
Aussi effrayés que nous, les deux gardes emmènent sous nos ordres le convoi hors du quai alors que les portes commencent tout juste à se refermer. Nous passons de justesse hors du sas et quittons l’anneau pour la première fois.
- Vous ne savez pas ce que vous faites, il y aura de sérieuses conséquences pour ce que vous entreprenez… nous dit l’un des gardes avec un ton de sincérité glaçant
Entassés dans les cales de la navette, les évadés regardent tous l’espace par les hublots, heureux d’avoir pu s’enfuir mais toujours terrifiés à l’idée des possibles conséquences de ce voyage. Après une dizaine de minutes, nous perçons à travers les nuages et apercevons la surface. La navette se rapproche du sol atterrit en douceur sur une colline de gravier rouge, tout sauf ce à quoi nous nous attendions. Lorsque nous débarquons, il n’y a rien. Un champ de ruines et de débris à perte de vue, recouvert d’un épais brouillard orangé. Il n’y a que désolation, aucune trace de civilisation aux alentours, rien que la mort et la destruction…
- Vous n’auriez pas dû faire ça, nous dit le garde pris en otage, vous n’auriez pas dû…
* * *