Bip, bip, bip. Mon réveil sonne, il est 6:00 du matin. Encore dans mon rêve, je tâte à l’aveuglette ma table de nuit pour éteindre ce bruit infernal. Aujourd’hui est un grand jour, on est le 14 septembre 2020 et je fais mon entrée à l’université. Fini de vivre chez papa et maman, c’est décidé, je prends mon envol. En étant sorti la veille, j’ai du mal à me réveiller. Je saute donc dans la douche pour avoir les idées un peu plus claires et m’habille en troisième vitesse. Il est l’heure de partir. Je ferme à clé mon nouveau kot et sors dans la rue où Elise, ma copine, m’attend. Bruxelles n’a totalement rien à voir avec ma petite campagne paisible. Ici, il y a des tas et des tas de voitures et ça ne s’arrête jamais. On a constamment une odeur d’essence et de pollution. Super l’écologie !! Malgré cela, il y a plusieurs endroits à Bruxelles que j’ai hâte d’explorer. Comme par exemple le centre-ville avec ses rues piétonnes ou tous ses parcs fleuris ou encore ses cafés avec ses terrasses ensoleillées. Mais trêve de rêveries ! Avant cela, il faut tout d’abord passer par l’étape des cours et le reste viendra par la suite. Après avoir pris le métro, nous arrivons devant l’université de droit. Je n’arrive pas à y croire, je vais enfin apprendre le métier dont je rêve depuis tout petit. Nous nous dirigeons vers l’amphithéâtre et sommes encore une fois frappés par le nombre d’étudiants qui n’a rien à avoir avec notre petite classe de rhéto qu’on avait à Arlon. La première journée de cours se déroule plutôt bien. Nous finissons nos cours à 14 :00 puis nous décidons de nous balader. Le temps est agréable, il fait chaud avec une petite brise qui rafraîchit le tout. « Tu penses faire ton baptême toi ? Moi, je ne sais pas trop et j’ai peur que ça me donne du retard au niveau des cours par la suite… ». Elise me parle et je l’écoute attentivement d’un air amoureux. Peut-être même trop attentivement…Je m’engage sur la chaussée sans faire attention à la circulation. Elise crie, je me retourne et vois une voiture arriver droit sur moi, mais il est trop tard pour tenter de l’esquiver…
Bip, bip, bip. Je ferme encore les yeux. Je n’ai vraiment pas envie de me lever et j’ai un terrible mal de crâne. Cette nuit, j’ai fait un rêve horrible. Effrayant même. Les bips du réveil ne cessent de continuer. Alors, toujours les yeux fermés, je tâte à droite de mon lit où est censée être la table de nuit. Seulement je ne sens rien. J’ouvre mes yeux et mon cœur s’arrête de battre. Je suis dans une salle immaculée de blanc. Mais où suis-je ?
Stressé, je reprends ma mauvaise habitude et commence à me ronger les ongles. Grâce à ce geste, je remarque alors que mes bras sont ridés et remplis de tâches de vieillesses et ressemblent étrangement à ceux de mon grand-père. Je passe une main dans mes cheveux et je remarque qu’il ne m’en reste qu’une petite poignée. J’essaye alors tant bien que mal de me redresser dans mon lit pour apercevoir mon visage dans le miroir accroché sur le mur en face de moi. La découverte me fait perdre la parole. J’aperçois un vieillard, mais il n’y a aucun doute…ce vieillard, c’est moi. Mille et une questions me viennent en tête. A commencer par celle de la durée de mon coma. Les autres questions fusent et ne s’arrêtent jamais, si bien que mon cœur de vieille personne commence à s’emballer et fait sonner la machine à laquelle je suis branché et je perds connaissance. « Monsieur vous m’entendez ? » Une voie lointaine me parle. J’ouvre alors les yeux et vois un médecin se tenant devant moi. Soulagé, je lui demande de bien m’expliquer tout ce cirque car je n’y comprends rien. S’en suit alors une longue et douloureuse discussion. Dans celle-ci, j’apprends qu’après le choc avec la voiture et une réanimation, j’ai été plongé dans un long coma. D’ailleurs, mon réveil est un miracle, je n’avais qu’un seul pourcent de chance de me réveiller et surtout sans séquelle neurologique. Par la suite, je demande que mes proches soient prévenus de mon réveil. Mais je me suis réveillée bien trop tard, car mes parents sont partis depuis bien longtemps… Etant fils unique et ne connaissant pas le reste de ma famille, il ne me reste qu’une seule personne, Elise.
Toc, toc, toc. La porte s’ouvre. Une vieille dame entre, Elise. Je la reconnais immédiatement, impossible de se tromper. « Bonjour Hector », me dit-elle d’une voix douce et tremblotante. Des larmes coulent sur mes joues, je viens enfin de retrouver mon amour de jeunesse, c’est le seul point positif de cette journée. Nous passons un long moment où elle me raconte ce qu’elle est devenue. Après l’accident, elle a pris une année pour se retrouver auprès de sa famille puis a finalement recommencé ses études de droit qu’elle a finies avec succès. Elle s’est mariée avec notre meilleur ami commun, il me semblait bien qu’il avait un faible pour elle, et est veuve depuis 5 ans. Le médecin interrompt notre conversation pour que je puisse signer mes papiers de sortie. Seulement, je n’ai nulle part où aller. « Viens chez moi Hector, je te parlerai de tout ce que tu n’as pas connu et on se tiendra compagnie. » Lorsque je me prépare à partir je remarque sur le coin d’une chaise les vêtements que je portais lors de l’accident. C’est à ce moment précis que je comprends la gravité de cette situation…
Pour rentrer chez Elise, je m’attendais à prendre le métro. D’ailleurs, elle a bien ri quand je lui en ai fait la remarque. « Enfin Hector, les métros n’existent plus depuis bien longtemps. Maintenant tout le monde se déplace en petite voiture électrique ». Quand nous sommes arrivés, je me sentais étrangement bien. Elise habite un quartier tranquille dans la périphérie de Bruxelles. Et vit dans une maison bourgeoise et mitoyenne. Celle-ci est décorée avec goût et simplicité. On monte mes affaires dans la chambre d’amis et je remarque alors qu’il y a dans le couloir une photo d’Elise et de moi-même lors de notre proclamation. Cela devrait me faire chaud au cœur, mais ma réaction est opposée. Je trouve cela injuste. Injuste car mon moment d’inattention me coute toute ma vie. Je suis vivant bien sûr, mais 60 années de ma vie m’ont été ôtées. Elise me laisse seul quelques minutes le temps de reprendre mes esprits. Ensuite, je descends dans le salon pour qu’on puisse commencer à discuter de tout ce que je n’ai pas connu. Pour commencer, la troisième guerre mondiale a bien eu lieu entre l’Iran et les Etats-Unis et a affecté toute la planète avec les bombes nucléaires. De même, toutes les habitudes du quotidien ont changé pour essayer d’atténuer le changement climatique. Même s’ils s’y sont pris beaucoup trop tard… Il n’y a plus de saisons. Chaque région a son propre climat qui reste pratiquement le même toute l’année. A force de parler de tous ces changements, Elise me propose plutôt d’aller faire une ballade dans Bruxelles. Après avoir pris sa voiture électrique, on arrive devant la faculté de droit où j’étais censé faire mes études. Lorsque je revois les bâtiments, j’ai l’impression que ma rentrée à l’université était hier. La ballade se poursuit et je suis étonné de la façon dont le centre-ville a changé. Tout est robotisé, les vendeurs des magasins ne sont plus là. Désormais, on est servi par des machines. Plus personne ne se regarde ou même lève les yeux dans la rue, tout le monde est fixé sur l’écran de son téléphone. Je trouve ça triste, déjà qu’à mon époque ce n’était pas fameux je ne pensais pas qu’il était possible de faire pire. Le monde est triste…
Au retour, je ne me sens pas très bien. Je suis déçu. Déçu de ce qu’est devenu le monde. Déçu de l’importance que les personnes portent à leurs objets plutôt qu’aux gens qui les entourent. Je veux un autre monde, mais c’est impossible. Finalement, le fait que je me sois réveillé n’est pas ce qu’on appelle un miracle. Je confie mes sentiments à Elise et je suis soulagé lorsqu’elle me dit qu’elle pense tout à fait la même chose. « On a que le choix d’accepter Hector. Que veux-tu qu’on fasse à notre âge ? » Seulement voilà, je n’ai pas son âge. Pour moi, je suis encore ce jeune adolescent excité de faire sa rentrée à l’université et qui a encore tout une vie devant lui. Mais comment faire pour pouvoir rattraper tout ce temps perdu ? Malheureusement aucune réponse ne me vient en tête…
Pendant la soirée, Elise et moi nous passons notre temps à nous remémorer les bons moments passés ensemble. Pour elle, cela semble lointain, mais pour moi cela semble si proche. Je vois bien qu’il y a un monde de différences qui s’est installé entre nous. Elise a accompli tous ses rêves et ne demande plus rien de la vie à part vivre des jours heureux et être en bonne santé. Pour ma part, je veux tout savoir, tout vivre. Si bien que la conversation s’essouffle petit à petit. Nous décidons alors d’aller nous coucher. Pendant la nuit, je ne cesse de me retourner encore et encore. Je pense à tellement de choses qu’il m’est impossible de dormir. Et puis, c’est une perte de temps vu le nombre d’années que je n’ai pas connues. Je décide alors de me lever et de descendre dans la cuisine pour grignoter quelque chose. Je commence petit à petit à repenser à l’accident. Pourquoi c’est tombé sur moi ? Qu’ai-je fait pour mériter ça ? Il semblerait que parfois le hasard ne fait pas toujours bien les choses.
La nuit est fraiche, je me promène dehors et seul. Ma famille me manque, je n’ai pas eu le temps d’y penser pendant la journée avec tout ce qu’il s’est passé, mais maintenant je peux clairement ressentir le manque intérieur. Le fait que je sois dans mes pensées ne me fait pas remarquer que quelqu’un me suit. Jusqu’à ce qu’une branche craque sous sa semelle. Je me retourne et suis rassuré en voyant que ce n’est qu’Elise. « J’ai entendu du bruit dans la cuisine et j’ai remarqué que tu n’étais plus là. Tu ne devrais pas te promener la nuit, ça peut être dangereux. » Nous continuons alors tous les deux, mais sans aller trop loin car on a déjà marché toute la journée et à notre âge ce n’est pas vraiment raisonnable. Le silence se fait lourd. Ni moi, ni Elise ne parle. Je suis trop dans mes pensées pour pouvoir engager une conversation. Je repense alors à l’accident. Un élément m’échappe. « Est-ce que tu as pu voir le conducteur qui m’a foncé dessus ? » Elise me dit alors que malheureusement non, que cela s’est déroulé tellement rapidement qu’elle ne se souvient même pas comment était sa voiture. « Et j’imagine bien qu’il n’est pas venu par lui-même au poste de police, c’est ça ? » Encore une fois, il n’y aucune réponse. Tout cela me rend triste. Je veux retrouver ma jeunesse. Retrouver le fait d’avoir toute une vie devant moi. D’avoir un futur, des études, des amis, … Et surtout d’avoir encore ses parents. A force de penser à ce que je n’ai pas assez connu, la colère prend le pas sur la tristesse. Je n’arrive plus à me contrôler, il faut extérioriser tout ça. Je crie fort et longtemps. Cela surprend Elise, mais elle me laisse faire car elle voit bien que j’en ai besoin. Je me sens déjà mieux mais ce n’est pas encore ça. Un souvenir me vient en tête, j’étais jeune et je courais le plus vite possible dans la rue. Mon sang ne fait qu’un tour. Je commence à accélérer le pas. Je marche vite, mais je n’en ai pas assez il me faut plus de sensations. Je décide alors tant bien que mal d’essayer de courir. C’est dur, avec un corps aussi vieux je ne dois pas aller aussi vite que je ne le pense, mais ce n’est pas grave. Je me sens bien et heureux et ne réfléchis plus à rien, si bien que je cours au milieu de la route. J’entends au loin Elise crier, je me retourne et vois arriver une voiture droit sur moi. Je me retrouve dans ma peau de gamin de 18 ans et encore une fois il est trop tard pour l’esquiver…