2 février 2020, il est huit heures quand un petit matin d’hiver, je viens de perdre un patient, une mère veuve de cinq enfants, victime d’un accident de voiture.
Il était huit heures quand Josh prenait le chemin de l’école. Tous les matins, il prenait par la main son petit frère Thomas et sa petite sœur Camille, tous deux âgés de six ans, pour les emmener à l’école. Josh, lui, en avait huit. Ils étaient tous les trois en primaire, dans la petite école de leur quartier à côté de l’église. Ils avaient aussi un grand frère et une grande sœur, Will âgé de seize ans et Laura âgé de quatorze ans.
Tous les matins, ils passaient devant la boulangerie et la dame leur donnait un petit croissant. Cela leur faisait très plaisir car le maigre salaire de leur mère ne leur permettait que d’avoir une cracotte le matin, une tartine le midi, et un bouillon de légume le soir.
Habituellement, quand Josh arrivait à l’école avec Thomas et Camille, les deux petits courraient vers leur petit groupe d’amis quand Josh, lui, la tête baissée et le moral à zéro, s’approchait très lentement d’un groupe de garçon à l’abri des regards dans un coin de la cour. Josh déposait alors son sac et entrait dans le cercle qui se refermait et sans broncher, sans pleurer, Josh recevait des coups. C’était habituel et normal pour lui. Mais aujourd’hui, Josh, Thomas, et Camille avaient à peine fait un pas dans la cour que la directrice les invita à la suivre dans son bureau.
Ils entrèrent et s’assirent dans un petit fauteuil confortable. Ils furent très étonnés par le nombre important de personne dans le tout petit bureau de la directrice. Ils aperçurent deux policiers avec leurs uniformes bleus, une inconnue vêtue d’un pantalon noir et d’un petit pull-over blanc et leurs deux professeurs. Mais ce qui étonna encore plus Josh, c’est que par la grande baie vitrée du bureau, il aperçut Will et Laura en pleurs dans ce petit fourgon de couleur bleue. « Qu’est ce qui se passe ? Qu’est ce que vous avez fait à Will et Laura ? Pourquoi ils pleurent et vous êtes qui vous ? » s’écria Josh.
La dame s’agenouilla à la hauteur des enfants, les regarda et prit la parole : « Bonjour, je suis Fannie. Je suis assistante sociale. Ne vous inquiétez pas, je suis là pour vous aider. » Josh, malgré sa grande maturité pour son âge s’énerva et dit : « On n’a pas besoin d’aide, on vit très bien avec notre mère ! » Un grand silence se fit entendre.
« Justement, c’est de ça que je voulais vous parler. Il est arrivé quelque chose de grave à votre mère ». Camille l’interrompit : « Vous savez, ma maman elle est invincible. Depuis que mon papa n’est plus là, tous les soirs, elle venait me le dire. »
« Vous savez les enfants, personne n’est réellement invincible, on peut être fort mais on n’est pas invincible. » Et là, ce fut au tour de Thomas de l’interrompre, en bégayant, avec la larme au coin de l’œil : « Ma, ma, ma maman elle est morte ? » Thomas se mit à pleurer toutes les larmes de son corps tout comme sa sœur Camille et Josh. En pleurs, il se mit à crier : « Je veux ma maman ! »
« Les enfants, malheureusement, votre maman était dans une voiture, et un camion qui venait vers elle l’a percutée… » Et là, plus rien, juste les pleurs des trois enfants, des petits cris, des frissons sur leur peau et des questionnements sur leurs visages.
Après que la cloche se mit à sonner, l’assistante sociale prit dans ses bras Camille, un des policiers fit de même avec Thomas et la directrice suivit en tenant Josh par la main. L’assistante sociale installa Camille à côté de son grand-frère. Quant à Josh et Thomas, ils furent installés au fond de la camionnette, sur la dernière banquette, avec un policier. Fannie, elle, s’assit devant. Dans la camionnette, une ambiance morose, des reniflements et des petits pleurs.
Un grand jardin, des jeux, une balançoire, un toboggan et un grand château avec plein de fenêtres. Fannie, suivi des enfants, poussa la grande porte de l’imposant château, le pensionnat. Les enfants avançaient à reculons, toujours en pleurs.
Quand le policier partit, le ton de Fannie changea : « Je vais vous donner une chambre, vous y aller et vous y restez jusqu’à ce qu’on vous autorise à en sortir ! » A la montée des escaliers, aucun bruit d’enfants, des portes closes, pas de jouets dans les couloirs, aucun personnel du pensionnat ne se baladait… Ils s’arrêtèrent au deuxième étage, le monsieur très étrange qui les guidait ouvrit une porte avec une grande clé comme dans les films. Il y avait une petite fenêtre avec des barreaux qui donnait sur un bois sombre. Aucun matelas sur le sol. Cinq fines couvertures trouées de partout.
Josh entra, suivi de Camille, de Will, de Laura et de Thomas. Josh leva la tête et demanda : « Monsieur, ma, ma maman elle m’a dit que j’aurai un métier quand je serai grand et que même s’il lui arrivait quelque chose, j’aurai un avenir… » Et avant même qu’il eut fini sa phrase le monsieur lui cria de baisser les yeux. Il ajouta qu’ici, il ne faut rien dire, il faut juste obéir aux ordres et que si on ne le fait pas, ce sont des coups de cravache, ou pire qu’on reçoit. Et il claqua la porte au nez des enfants. Les petits et les grands se mirent à pleurer mais Josh, lui, ne bougea pas, ne pleura pas car il croyait en ce que sa mère lui avait dit. Il avait un moral d’acier et il savait qu’il allait y arriver.
Le jour où ma mère est morte, je n’avais plus rien. J’ai vécu un enfer avec mes frères et mes sœurs. Je n’aurais jamais pensé qu’un jour je deviendrai la personne que je suis et que je détaillerai ma vie à des inconnus. Le jour où j’ai perdu cette mère, j’ai repensé à ce qu’il m’était arrivé, car oui, c’est moi le médecin qui venait de perdre son patient.
Tout cela pour dire que même quand on est au plus bas, il faut toujours croire en ses espoirs car rien n’est jamais fini.