Elena comme tous les autres étudiants qui souhaitent ne pas se faire expulser de la prestigieuse Université cathodique de Bruxelles commence à préparer les évaluations de fin d’année. Elle suit les cours de Psychologie en 2e année. Pour elle qui n’a jamais été une élève assidue, les cours sont vraiment difficiles à intégrer.
Heureusement, la Télépuce aide à savoir exactement ce que les professeurs pensent des étudiants et toutes les attentes individuelles sont décryptées automatiquement via la puce et envoyées à chaque titulaire de cours. « La transparence », c’est le nouveau crédo gouvernemental. La puce télépathique a été créée en 2027, l’année de la naissance d’Elena.
Elle permet à chaque être humain de connaître les moindres pensées de la personne avec qui on est en train de communiquer verbalement. C’est un outil que le Gouvernement a jugé nécessaire d’implanter dans le cerveau des citoyens belges en 2029. Toute personne qui refuse de posséder ce « chef d’oeuvre » est exécutée sur-le-champ, selon l’article 208 du code pénal.
Elena l’a accepté, sans broncher. Mais quand elle parle à son père et qu’elle entend ses pensées qui lui soufflent à quel point il est déçu d’elle, c’est difficile à encaisser. Ou encore, lorsque elle parle à son petit ami et qu’il est en train de réfléchir à la manière la plus discrète de la tromper, c’est tout aussi dur à digérer.
Ses deux meilleurs amis n’en parlent jamais. Thomas est un grand passionné de football américain. C’est d’ailleurs le gros cliché du mec populaire et chef de son équipe de rugby que l’on voit dans les films. Malgré ce stéréotype qui lui colle à la peau, c’est un garçon généreux et drôle qui ferait n’importe quoi pour ceux qu’il aime. Ensuite, il y a Asher. Il est tout aussi gentil que Thomas, il a juste plus de mal à le montrer. Il a vécu une enfance difficile qui lui a forgé un mental en béton. Il a un tempérament plutôt calme, voire même froid, mais il a une personnalité vraiment douce quand on apprend à le connaître. Dès qu’Elena commence à discuter avec ses deux amis, elle entend alors à quoi ils pensent. Thomas a généralement des idées assez simples, par exemple : qu’est-ce qu’il va manger au soir ? Comment il peut améliorer sa condition physique ? Celles d’Asher sont souvent un peu plus profondes, il réfléchit principalement à des questions existentielles que la vie n’a pas encore résolues.
Elena est perdue dans ses pensées. Elle se met à réfléchir, à la vie, aux autres.
« Ce qui est dommage avec la Télépuce, c’est qu’on n’écoute plus ce que dit une personne quand elle parle. On est tellement focalisé sur ses pensées les plus intimes qu’on oublie les informations qu’elle souhaite nous transmettre. L’être humain est bien plus intéressé par les désirs les plus sombres de l’Homme, que par les discours futiles qu’il débite pour combler le silence. Connaître les secrets des autres rend plus puissant. Ces secrets, nous pouvons en tirer profit. Nous pouvons les utiliser comme une arme. Nous n’avons pas peur que l’autre trahisse notre confiance puisque nous avons quelque chose pour contre-attaquer. D’ailleurs, il y en a même qui frappent en premier pour être sûrs de ne pas souffrir. Parce que nous le savons, repousser les autres est bien plus facile que de les laisser nous approcher. »
Elena se dit qu’elle aurait tant aimé en parler avec Emy. Elle seule aurait pu la comprendre …
Emy lui avait confié ses doutes. Son arrivée en Belgique, avec ses parents qui se pensaient obligés de rentrer au pays par solidarité avec la famille, leur installation dans la grande maison familiale de sa tante, sa dépression, son refus de cette société …
Elena mène en secret des recherches sur Freud. Elle n’est pas censée lire cet auteur. Il n’est plus au programme de Psychologie. Ses lectures l’amènent à réfléchir autrement mais elle n’ose pas en parler à ses professeurs. Elle craint d’être découverte et fait mine d’écrire un roman afin de justifier ses pensées.
« En quoi la puce est-elle dangereuse ? Pourrait-elle menacer la race humaine ? Si tout le monde connaît tout sur tout le monde, quel est l’intérêt de converser, à part activer la Télépuce ? A part se menacer les uns les autres ? A quoi ce prototype peut-il nous servir ? Quelle est la raison qui a amené le Gouvernement à créer cette puce ? Il n’y aura jamais plus de retour possible. Mais… ne serait-ce pas le but du gouvernement, tout compte fait ? Non mais c’est vrai quoi ! Pourquoi cette puce est-elle considérée comme essentielle ?
Quelque chose cloche dans les manoeuvres du Gouvernement. Nous arrivons au début de la fin. »
Toutes ces questions agitent l’esprit d’Elena. Elles peuplent les dialogues des héros de son roman fictif. Mais ses réflexions ne sont pas isolées. Le gouvernement qui contrôle jusqu’aux vies intimes des gens s’aperçoit en juin 2045 qu’une majorité de citoyens commence à réfléchir à l’essentiel d’une vie humaine. Elena, elle, décide de fuir.