18 janvier, 2063.
Elle était là, dans cette pièce neutre, banale, vide, assise par terre et recroquevillée sur elle-même. Elle ne partageait pas d’émotion, ni de mouvement, elle était d’une maigreur sans limite, la peau grisée par l’enfer, seuls ses cheveux étaient restés intacts, cachant son visage ridé par le passé.
Qui était-t-elle ? Que lui était-t-il arrivé ?
Le 2 septembre, 2010.
Hôpital de Caravala, 6h44.
Kara est née, elle ne respire pas, le pédiatre commence le protocole de réanimation, la mère inconsciente, le père absent. En l’espace d’un instant cette famille peut être détruite…mais en un seul geste le bébé pleure, la mère reprend conscience, le père ouvre la porte de la pièce, la famille est redevenue normale. En une seconde le destin peut tout faire basculer et changer le court de l’histoire…
Imaginons ce qui aurait pu arriver, le bébé aurait pu ne pas respirer, le père ne serait peut-être jamais arrivé et la mère aurait donc été toute seule avec un bébé mort dans les bras.
Le 2 septembre, 2013.
Maison familiale, 12h00.
Toute la famille est réunie, les grands parents, les parents, les cousins.
Tout le monde est heureux, la petite Kara fête ses 3ans, elle s’apprête à souffler ses bougies, quand un des grands parents prend l’attention de tout le monde. Il est là assis aux côtés de son fils, il devient soudainement tout bleu, il est tout simplement en train de s’étouffer avec un morceau de fromage. Pendant une seconde, tout le monde le fixe, l’homme est entre la vie et la mort. Le fait d’être resté inactif pendant cette seconde l’a probablement tué. La petite a tout vu, elle pleure sans comprendre, la mère la met dans sa chambre, le bruit de l’ambulance retentit inutilement, il est déjà trop tard.
Le 6 novembre, 2020.
Centre commercial, 14h10.
Kara et ses parents se promènent dans les magasins. A l’extérieur le temps est gris, il fait sombre, mais tout le monde est content, la petite Kara a déjà bien oublié son grand père, elle ne pense plus qu’à sa nouvelle poupée qu’elle a appelée Mia. Tout le monde est content suite à l’arrivée des fêtes. Dans l’allée centrale du centre commercial, un homme vêtu de noir entre, muni d’une cagoule, il pointe une arme sur la foule et tire. Le sourire qui est présent sur le visage des gens disparaît en une fraction de seconde, l’histoire des familles visées change complètement. Kara, prise de peur, court. Ses parents, figés par la peur, voient leur fille partir à pleine vitesse dans un recoin d’une enseigne. Sur ce coup-là, Kara a été plus intelligente qu’eux. De loin, elle voit son père gisant au sol et sa mère effondrée couvertee sang de la tête au pied, l’homme qui a tiré vient d’exploser la tête de son père. A cet instant, elle perd la personne qu’elle aime le plus au monde, qui lui partage tout son savoir, sa culture, son histoire. Malheureusement, Kara n’entretient pas une telle relation avec sa mère. Elle a donc perdu la personne la plus importante à ses yeux, celle qui aurait pu l’aider avec tous ses problèmes, traverser l’adolescence, le premier travail, le premier mariage.
Septembre, 2023.
École,
Kara reprend l’école, elle a réussi sa première année sans soucis, mais en étant toujours seule, ce qui ne la dérange pas plus que ça. Kara est très douée dans le dessin, mais personne ne l’a remarqué, à la maison non plus elle ne parle pas beaucoup. Sa mère, Emma de son prénom, a commencé à boire sans limite suite à la mort de son mari, elle ne s’occupe donc pas beaucoup de sa fille, c’est même plutôt l’inverse. Kara se débrouille pour mettre sa mère au lit tous les soirs. Et pense à elle après.
Novembre, 2025.
École, 17h15.
Kara est à l’école, elle commence à avoir des gens qui lui parlent de plus en plus, cela est probablement dû à sa beauté qui s’amplifie au fur et à mesure des mois et des années.
Kara sur le chemin du retour, la nuit tombée, elle est seule, mais elle se sent suivie, elle ne réfléchit plus et commence à courir de toutes ses forces mais trop tard, il est déjà là.
Le 2 septembre, 2028.
Maison,
Kara a 18ans aujourd’hui, elle est contente, elle peut enfin se débarrasser de sa mère qui devient un vrai poids mort pour elle.
Kara est heureuse, elle ne sait pas comment mais elle l’est, elle a trouvé un copain pas “trop con”, un peu utile mais pas trop. Mais Kara a changé, elle est devenue très méchante et inaccessible, sûrement pour se protéger, elle a des projets, elle va faire médecine. La médecine, en 10 ans, a eu une évolution fulgurante, une grosse diminution des différents types de cancers comme ceux des seins, ou bien ceux du cerveau, qui sont devenus très faciles à guérir à présent. Kara va rentrer dans une des meilleures universités du pays, à croire qu’en devenant méchante, elle va mieux réussir.
Le 25 décembre, 2033.
Appartement, 23h12.
C’est Noël. Tout le monde est content mais Kara s’en moque. Elle, elle étudie. Pour elle Noël est « une fête de con, sauf pour ceux qui ne savent pas qu’ils le sont ».
Mais cela fait aussi un peu plus de 13ans que son père est mort, le seul avec qui elle pouvait apprécier Noël.
Sa mère, elle ne sait même pas où elle habite. Elle s’est probablement fait virer de sa maison, ou peut-être est-elle morte ? Kara s’en fout totalement, elle préfère étudier la médecine pour sauver des gens intéressants qui en valent la peine.
« Pas des demeurés qui s’apitoient sur leur sort » dit-elle.
Le 6 juin, 2041.
Université.
Kara est contente, elle a réussi et va être diplômée, les étudiants sont tous présents avec leur famille sauf Kara, “qui n’en avait rien à foutre”, elle veut juste son diplôme et se casser.
Kara, n’a même pas besoin de chercher un hôpital, pour travailler, c’est l’un des meilleurs hôpitaux du pays qui est venu à elle.
Kara est dans les dernières à passer, bientôt son tour. Un bruit assourdissant retentit, ce sont les alarmes d’évacuation en cas de tremblement de terre, Kara a compris qu’elle ne sera pas diplômée aujourd’hui.
Malheureusement, le tremblement de terre qui les a touchés n’est pas d’une petite ampleur et a rasé l’école.
17 février, 2045.
Hôpital.
Kara a mal aux pieds, très mal aux pieds, elle vient de réaliser deux opérations d’affilée avec pas mal de complications. Cela fait 4 ans qu’elle travaille mais elle est déjà l’une des meilleures.
Le problème, c’est que la deuxième opération est celle de son nouveau petit ami qui vient d’avoir un accident. La chirurgie ne s’est pas très bien passée. Elle ne fait pas beaucoup d’erreurs, pourtant elle vient de le paralyser, elle va donc devoir le quitter, elle n’a pas besoin d’un second poids mort dans sa vie, sa mère lui suffit.
Octobre, 2050.
Maison.
Kara a quarante ans mais elle en fait soixante, elle est fatiguée, elle travaille tout le temps. Kara est devenue une véritable femme d’affaire, de l’argent à n’en plus finir et des maisons un peu partout dans le monde. Elle investit tout son argent et en gagne trois fois plus.
17 janvier, 2060.
Hôtel.
Kara en a marre de travailler, elle a pris des vacances avec son mari. Et oui, déjà deux ans de vie commune, mais elle commence à en avoir marre de l’avoir toujours dans ses pattes. Pendant leurs deux semaines de vacances ils ont préféré se disputer à longueur de journée plutôt que de profiter mais le dernier jour avant de prendre l’avion, ça a dérapé. Tous les deux dans la chambre d’hôtel toujours en train de se disputer au bord de la piscine. Kara le pousse. Pas par méchanceté, mais plutôt par impulsivité. On peut croire qu’il a trébuché dans l’eau mais non il est bien tombé en arrière et vient de s’éclater le crâne contre le rebord de la piscine. Kara est chirurgienne, Elle sait ce qu’il faut faire dans ce genre de situation, mais elle préfère partir, elle va louper son vol.
18 janvier, 2060.
Maison, 8h45.
Kara vient de réaliser ce qu’elle a fait, est-ce que ça l’a atteint ? Pas vraiment. Est-ce qu’elle va continuer sa vie normalement ? Bien sûr. Va-elle encore mentir ? Bien sûr, comme tous les jours de sa vie… mais jusqu’à quand ?
18 janvier, 2063.
Hôpital psychiatrique, 16h05.
Pendant que certains sortent de cours, d’autre réalisent l’impact de leurs actes. Kara vient de se rendre compte des siens. En trois ans son état mental s’est dégradé : pertes de mémoire, absences, pertes de connaissance, crises d’angoisse, troubles du comportement, etc.
Elle a 53 ans et vient seulement de se rendre compte de tout ce qui s’est passé lors de sa vie, ça va la tuer. C’est trop tard.