Moi, c’est Jessie et si je vous parle, c’est parce que ma meilleure amie, Cristal est dans le coma depuis une semaine. Elle est atteinte d’une maladie très grave et se trouve entre la vie et la mort. Il m’est impossible de rester les bras croisés comme le font les médecins impuissants qui la regardent s’éteindre à petit feu…
J’ai fouillé pendant plusieurs jours sur Internet et dans des livres. J’ai même contacté d’éminents spécialistes, mais pas de remède. J’étais donc sur le point de baisser les bras lorsque j’ai entendu parler d’un nouveau jeu vidéo qui prétend sauver des vies.
D’après les instructions, le malade ou la personne en danger de mort doit intégrer le jeu et le finir. Pour réussir sa mission, il dispose de trois vies ; s’il les épuise, il meurt et il lui est impossible de revenir en arrière.
J’ai du mal à penser que la vie de mon amie pourrait être entre les mains d’un jeu vidéo, mais c’est sa dernière chance. Il m’a fallu du temps pour convaincre sa famille, mais elle s’est rendue à l’évidence : c’était l’unique opportunité de sauver Cristal. Jusqu’à présent, très peu de personnes, voire aucune, n’ont réussi à franchir les cinq niveaux du jeu sans y perdre leurs vies.
Quand Cristal intégrera le programme, je pourrai communiquer avec elle et l’aider, ce qui me réconforte un peu. Les médecins ont donné leur accord et c’est donc ce mardi 21 février 2045, le jour de ses 17 ans qu’elle entrera dans le jeu et se transformera en pixels, capable de tout mouvement.
*
– Cristal, tu m’entends ? lui demandé-je pour établir le contact et me rassurer.
Elle acquiesce et tout excitée, je maintiens le contact.
– Tu m’as tellement manqué, je suis vraiment contente de pouvoir te parler malgré l’écran qui nous sépare !
Mais Cristal, inquiète, me lance :
– Jessie, qu’est-ce qui m’arrive ? Où suis-je ? Où es-tu ? Pourquoi je ne te vois pas ?
Je lui explique ce qui se passe et lui donne toutes les informations nécessaires pour qu’elle puisse revenir dans le monde réel. La situation la terrorise, mais ma présence l’apaise un peu.
C’est la boule au ventre que nous décidons d’appuyer sur la touche commencer la partie. Il me faut quelques minutes pour me faire à l’idée que mon amie est réduite à ces pixels sur l’écran. Je finis par m’y habituer.
Nous commençons le premier niveau qui, d’après ce que j’ai lu, est très facile, mais quand on n’y a jamais joué, tout paraît plus compliqué.
– Jessie, j’ai peur ! crie-t-elle. Tout semble si… si irréel !
À vrai dire, je ne suis pas sereine non plus, mais, ne voulant pas l’inquiéter, je me limite à lui demander de me faire confiance.
Nous progressons dans le jeu, doucement mais sûrement, afin de lui laisser le temps de s’habituer à ce nouvel univers. Après une heure de jeu à surmonter les attaques de monstres, les falaises et les autres nombreux obstacles du premier niveau, nous passons au deuxième.
Après six heures de jeu, nous avons réussi les quatre premiers niveaux sans perdre de vies. Mais, ai-je lu, tout devient plus complexe à partir du niveau cinq, le dernier et pas le moindre ! Il est intitulé le niveau de la mort tant il semble impossible à franchir.
Cristal et moi sommes épuisées, nous faisons donc une pause.
– Tu es prête pour l’ultime niveau ? Si on le réussit…
– Je suis prête ! s’exclame-t-elle sans me donner le temps de finir ma phrase.
À notre grande surprise, le dernier niveau n’est pas si difficile ; il est même presque plus facile que les autres… Nous nous approchons du but. Toutefois, Cristal et moi n’arrivons pas à comprendre la raison pour laquelle ce niveau contient si peu d’obstacles.
Quand nous finissons, nous avons toujours nos trois vies ! Tout à coup, l’écran devient noir : je ne vois plus et je n’entends plus Cristal pendant quelques minutes.
– Cristal, on a réussi ?
– Oui… Jessie. Mais j’ai dû faire un choix… désolée… m’annonce-t-elle, la voix tremblante.
Je ne prête pas vraiment attention à ce qu’elle dit, concentrée sur le fait que nous avons réussi et que je vais enfin la retrouver. Mais soudain, je me sens partir, je m’endors…
Je me réveille quelques minutes plus tard dans un endroit inconnu, mais qui me semble familier. Il ne me faut que quelques instants pour comprendre ce qui vient de se produire.
– C’était donc ça, le fameux choix…
Depuis ce monde fait de graphismes, dans lequel je suis désormais emprisonnée, je peux apercevoir Cristal de l’autre côté de l’écran.
Avant de quitter la pièce, elle jette un dernier coup d’œil à l’écran sur lequel est affiché en grandes lettres : GAME OVER.