Il était dix heures et vingt-quatre minutes quand je me suis réveillé. Ce n’était pas comme dans ces films où le personnage se lève et ne se souvient de rien. Moi, je savais pourquoi j’étais là. Je savais ce qui s’était passé et je savais comment je m’étais plongé dans ce long coma artificiel. En me regardant dans le reflet de la télévision, je pouvais estimer plus ou moins le temps que j’avais passé sur ce lit. On devait être en 2025 ou 2030, j’avais donc entre 23 et 28 ans. La seule chose que j’ignorais c’était où je me trouvais. Il faisait très froid dans cette chambre. Je ne me rappelais pas m’être endormi avec autant de couches. En m’approchant de la fenêtre, j’ai vite été aveuglé par une lumière blanche. Elle était tellement forte que je suis parti me recoucher.
Cinq minutes plus tard, trop intrigué, je me retrouvais à nouveau devant cette fenêtre. Je ne comprenais pas où j’étais : de la neige partout, pas le moindre arbre, pas la moindre pelouse, pas le moindre petit oiseau. Que du blanc. Je me suis d’abord demandé si je n’étais pas au Canada ou au Groenland mais bien vite je me suis rappelé que tout le continent américain et ses alentours avaient été détruits par des bombardements. Je ne pouvais pas non plus être dans les pays scandinaves, avec le réchauffement climatique plus aucun flocon de neige ne tombait là-bas. J’étais peut-être en Australie dans le fin fond du pays. Un ami y habitait et chaque hiver il avait la chance de pouvoir skier après l’école. Malheureusement, l’Australie avait brûlé dans des terribles incendies. J’aurai pu être en Asie ou en Europe si ce satané virus qui m’avait plongé dans ce fichu coma n’avait pas contaminé et tué les trois-quarts de la population mondiale.
Le virus s’était propagé partout. Je me rappelle qu’on ne pouvait même plus sortir dans la rue. Quand on est venu me chercher chez moi, la rumeur circulait que l’Europe et l’Asie étaient devenues inhabitables. C’était même pire que la ville de Tchernobyl et ses radioactivités. J’étais peut-être en Afrique… Mais cet hôpital avait l’air beaucoup trop luxueux pour le continent du sud.
Après des heures de questionnement, dans la pénombre du jour qui se couchait, une infirmière répondant au nom de Maddy est entrée dans ma chambre. Je lui ai dit « Bonjour » et aussitôt elle s’est enfuie dans le couloir. Cinq minutes plus tard, trois hommes habillés en costumes blancs sont entrés dans ma chambre, ils m’ont observé sous toutes les coutures, puis emmené pour une batterie d’examens et de tests.
Le lendemain, la belle et jeune Maddy s’excusa pour sa réaction de la veille et me dit avec enthousiasme et son plus beau sourire : « Bonjour Edward, bienvenu en Antarctique ! J’ai une bonne nouvelle ; tu n’es plus contaminé par le virus. J’imagine que tu as plein de questions à me poser. Je t’écoute.
– En Antarctique ? Qu’est ce qui s’est passé ? On ne devait pas aller en Afrique ? répondis-je inquiet.
– Non, finalement nous avons décidé de nous implanter en Antarctique. L’Afrique nous aide à nous réintégrer dans la vraie vie. Les autochtones nous réapprennent à vivre avec le strict minimum. Aujourd’hui, le continent africain est le plus riche. Il nous apporte de vraies valeurs. L’amour, la gratitude, le respect : tout ce qu’on avait perdu avant que tu ne t’endormes.
– Mais si ce sont eux les plus riches. Pourquoi nous ne sommes pas là-bas au chaud ? demandais-je perplexe.
– J’étais certaine que tu allais poser cette question, dit-elle en souriant. Nous en avons longuement discuté, et nous en avons conclu qu’il était temps d’arrêter toutes ces bêtises humaines. Il ne nous restait plus que deux continents, et nous pensions que si nous nous installions en Afrique nous ferions exactement comme avec les autres continents, nous aurions encouragé le réchauffement climatique, nous aurions été à nouveau victimes d’incendies ou encore de terribles bombardements. De plus, le froid guérit le virus. Il ne reste plus que deux patients endormis, c’est incroyable ! »
Le lendemain, Maddy m’a fait visiter la ville. Il faisait très froid mais tout le monde était dehors. Les maisons étaient toutes de mêmes tailles mais décorées de couleurs différentes. Des feux un peu partout permettaient de discuter, il y avait des abris où on pouvait prendre une soupe, des grands frigos avec des produits frais importés d’Afrique, tout le monde souriait, chantait, dansait… c’était inimaginable ! Maddy m’invita à prendre une soupe et m’expliqua qu’il n’y avait pas d’argent ici, que tout était gratuit, que l’entraide et le partage étaient les richesses de ce nouveau monde. Cela faisait quatre ans qu’ils avaient atterri ici. Elle m’expliqua comment ils avaient créé la ville et cette nouvelle société. Elle me raconte que cela leur avait pris deux ans avant que la population s’adapte à ces nouvelles valeurs. Au début ce n’était pas gagné. Nous n’étions plus que deux milliards sur terre dont une grande partie en Afrique. Ce fut très difficile de convaincre autant de personnes, beaucoup n’ont pas adhéré au projet d’un monde meilleur et se sont enfuis dans le froid polaire. J’avoue que je comprenais ces personnes, ce monde apparaissait comme une thérapie qui avait pour but de nous rendre tous beaux et gentils, un vrai « monde de Bisounours » ! Maddy rigola beaucoup de ma réaction et m’assura que je m’habituerais. Elle continua ses explications toute l’après-midi. Il y avait plein de choses à dire. Plus Maddy parlait, plus je l’admirais. Elle avait foi en l’homme, elle était prête à tout pour améliorer ce monde, et elle pouvait être très fière d’elle. Grâce à sa philosophie de vie, nous avions réussi à rétablir la température normale sur terre.
Nous avons conclu la conversation sur le sujet des éclaireurs. A ma grande surprise, les autres continents n’étaient pas inhabités mais occupés par des équipes d’hommes nommés les éclaireurs. Ils étaient 100 millions répartis un peu partout. Leur but était de faire revivre la nature et de garantir un environnement sain pour le futur. Les éclaireurs avaient fait du bon boulot et notre rapatriement était prévu dans quelques mois.
Cela fait maintenant trois mois que j’étais revenu à moi. Notre retour était planifié deux semaines plus tard. Il m’avait fallu quelques jours avant de m’habituer à mon nouvel environnement. Mais je m’étais très vite fait des amis dont Juliette, Félix, et Georges, avec qui nous projetions de construire une maison à notre retour en Europe. Les éclaireurs étaient venus nous rendre visite pour raconter toutes leurs péripéties, leurs années de travail, leurs miracles et surtout le futur qui nous attendait. Entre les maisons écologiques, les routes en briques recyclées, les nouvelles espèces, les milliers de chevaux en liberté… nous restions béats face à ce monde plein d’espoir ! Nous rêvions tous de ce nouveau monde et nous n’avions qu’une hâte : partir d’ici.
Pendant les deux semaines qui suivirent, les occupations ne manquèrent pas. Nous passions notre temps à déconstruire la ville, l’hôpital, les frigos, tout ce qu’on devait enlever pour laisser la nature reprendre ses droits.
La veille de notre départ pour l’Europe, nous étions tous très silencieux. Il ne restait plus qu’un grand feu dans la ville où nous étions tous regroupés. J’avais hâte de partir mais ce monde idéaliste allait beaucoup me manquer et puis j’avais au fond de moi une crainte qui grandissait de jour en jour. Cette crainte de retourner à un monde où l’argent est plus important que l’amour, où on ne prend plus le temps de danser, de chanter, de rire, où le travail remplace le bonheur.
Finalement, le lendemain matin j’avais abandonné cette peur sur le sol glacé de l’Antarctique et je m’envolais avec Juliette, Félix et Georges dans un magnifique avion écologique. Après trente heures de vol, Paris nous attendait. Cela ne ressemblait plus à une ville, c’était une espèce de grand parc avec quelques beaux monuments. Il faisait beau, il y avait des arbres partout, des oiseaux par milliers, des écureuils, et surtout un air frais. On se croyait à la montagne pendant un mois de juillet. Nous nous sommes très vite installés avec mes amis dans une de ces nouvelles maisons écologiques. Quand nous allumions la télévision, il n’y avait que des bonnes nouvelles ! Nous vivions très heureux, l’argent n’était toujours pas nécessaire, il y avait des jardins communs avec de la nourriture un peu partout dans la ville et cela nous suffisait. Notre travail consistait en l’entretien des potagers, des parcs et des routes. Nous aidions nos voisins quand ils en avaient besoin et ils en faisaient de même en retour. C’était comme Maddy l’avait prévu : un monde où la fraternité et l’entraide étaient les clefs du bonheur.
Un beau matin, en allumant la télévision, ce fut le choc. En Amérique, l’ancien patron de l’entreprise Coca-cola avait ouvert une usine pour donner du travail aux enfants. Deux jours plus tard, c’est l’Europe qui décida de réinstaurer l’argent et le travail pour construire des centres commerciaux et des parcs d’attractions pour se divertir. Le continent australien, lui, était touché par de nombreuses émeutes de groupes révolutionnaires qui souhaitaient recréer un gouvernement et monter au pouvoir. Et puis, plus près de nous, ce n’était que vols, pillages, meurtre. J’avais l’impression d’être dans un cauchemar, c’était un cercle vicieux : Trump président, le coronavirus en Chine, l’Australie en proie aux incendies pendant de nombreux mois,…
D’un coup, un bruit de coup de latte en métal sur mon bureau me fait reprendre mes esprits. Il est onze heures dix-huit. Le regard accusateur de mon professeur d’histoire me fait comprendre que je n’ai rien fait depuis le début du cours et qu’il est temps que je lise ce document sur l’Antarctique. Il est surtout temps que j’arrête de regarder la télévision…