C’était une après-midi ensoleillée de février. Plus précisément, c’était le cinq février, le jour de l’anniversaire de Daniel. Ce dernier se trouvait dans sa chambre, en compagnie de Lucie.
-Tu te souviens que je recevais des cadeaux pour mon anniversaire? demanda Daniel.
-Oui, je m’en souviens. Mais à quoi ça servait de s’offrir des cadeaux? demanda Lucie.
-À célébrer l’événement, à faire plaisir à la personne qui fête son anniversaire.
-Tu aimerais recevoir encore quelque chose pour ton anniversaire?
-Oui. Mon père essayait toujours de m’offrir un cadeau pour me faire plaisir.
-Et pourquoi ta mère n’a pas fait pareil depuis qu’il est parti?
-Je suppose qu’elle ne voulait pas prendre le risque de me faire plaisir.
Et toi, t’as jamais voulu recevoir un cadeau pour ton anniversaire? Enfin, remarque, tu l’as jamais fêté.
La famille de Lucie et celle de Daniel étaient très différentes l’une de l’autre. Du moins, elles l’avaient été. La famille de Lucie avait choisi de se conformer à la société comme elle était devenue.
La famille de Daniel, par contre, avait toujours refusé de se laisser entraîner dans ce monde. C’était d’ailleurs ce qui avait coûté la vie au père de Daniel. Ce dernier était tellement révolté par le système qu’il allait protester dans les rues avec le peu de population qui pensait comme lui. Mais tout cela avait très mal tourné, les manifestations étaient devenues de plus en plus violentes et les autorités avaient fini par abattre les manifestants. Le père de Daniel y avait perdu la vie.
C’est à cause de cet événement que sa mère avait décidé de ne plus faire part de son désaccord face à la société et de se conformer au système pour les protéger son fils et elle.
Daniel ne pouvait pas pardonner cette volte-face de la part de sa mère. Il était dévasté, sa mère décidait de devenir comme tout le monde et son père était parti.
Ce dernier lui avait transmis tout son savoir, lui avait appris à défendre ses idées et qui il est.
Son père avait toujours été son meilleur ami, en dehors de Lucie. Mais avec Lucie, c’était différent. Parce que Daniel aimait Lucie. Il ne lui avait jamais dit. Parce qu’elle semblait si inaccessible, même s’ils avaient toujours été amis. Il y avait quelque chose chez elle qui semblait si hermétique.
-À quoi tu penses ? demanda Lucie.
Daniel tourna la tête pour la regarder. Il plongea ses yeux dans les siens puis il détourna le regard avant de répondre;
-À tout. À rien. À mon père, à toi, à ma mère, aux cadeaux. J’aurais aimé fêter mon anniversaire aujourd’hui. Comme avant.
-Écoute, Daniel, avant, c’est terminé. Il faut que tu te rendes compte que c’est fini. Il faut que tu apprennes à vivre comme maintenant, pas comme avant.
Daniel fronça les sourcils.
-Quoi? Tu veux que je vive comme vous? C’est hors de question. Je m’ferai pas amadouer comme toi, comme ma mère et comme tous les autres.
-Tu ne peux pas vivre dans le passé! Il faut que tu grandisses et que tu comprennes que les choses sont comme elles sont et que tu dois les accepter! s’exclama Lucie.
-Pars, s’il-te-plaît, dit calmement Daniel.
Il était très énervé par leur discussion mais il ne voulait pas se fâcher avec Lucie.
Cette dernière le regarda alors, se leva du lit et quitta la pièce.
Ce soir-là, Daniel réfléchit beaucoup mais il finit quand même par s’endormir.
Le lendemain, il se réveilla puis se leva alors et sortit de sa chambre pour aller prendre son déjeuner à la cuisine.
Là, il ouvrit le frigo, puis ensuite l’armoire et prit ce dont il avait besoin pour manger.
Il s’assit ensuite à la table et se servit un verre de jus d’orange. Dès qu’il reposa la bouteille sur la table, le robot de sa mère s’approcha pour la prendre. Le robot avait détecté que Daniel n’en n’avait plus besoin et s’apprêtait à la ranger dans le frigo. Mais Daniel lui arracha violemment la bouteille des mains.
-Maman! Viens éteindre ce foutu robot!
La mère de Daniel arriva alors dans la pièce.
-Bonjour aussi, Daniel.
-Je t’ai déjà dit un milliard de fois que je ne veux pas que ce putain de robot s’approche de moi.
-Enfin, Daniel, on en a déjà parlé. Il faut que tu t’y fasses. Roger est là pour t’aider au quotidien.
-C’est parfaitement débile! Il n’a même pas besoin de nom, c’est un robot!
-Stop! On ne va pas recommencer cette conversation encore une fois.
-Pff…Si papa voyait ça.
-Ton père n’est plus là. Laisse Roger s’occuper de toi, maintenant.
Daniel se leva alors, sans terminer son petit déjeuner et partit dans sa chambre.
Il se prépara ensuite en se disant qu’il devrait aller parler à Lucie à propos d’hier.
Il se rendit alors à la porte d’entrée de chez lui et sortit de l’appartement. Il dévala les escaliers et sortit finalement de l’immeuble.
Il marcha ensuite jusque chez Lucie. Là, il s’avança jusqu’au perron et appuya sur la sonnette.
La porte s’ouvrit, laissant apparaître la fille.
-Daniel? Qu’est-c’que tu fais là?
-Écoute, j’voudrais parler d’hier.
La jeune fille avait l’air plutôt sceptique. Et Daniel le remarqua.
-Je suis désolé, Lucie.
Ils restèrent comme ça, à se regarder dans les yeux pendant plusieurs secondes.
Daniel trouvait ça bizarre. Pas le fait qu’ils se regardent mais la façon dont Lucie le faisait.
On aurait presque dit qu’elle avait comme arrêté de fonctionner, comme si tout en elle s’était bloqué.
-Je peux entrer? demanda le jeune homme.
Lucie retrouva alors ses esprits et eut immédiatement l’air de retourner à la normale.
-Non, ce s’rait mieux si on allait chez toi.
-Okay.
Les deux amis se mirent alors en route pour aller chez lui.
Une fois arrivés, Daniel et Lucie remarquèrent que l’appartement avait l’air très calme.
Ils conclurent alors que la mère de Daniel était sortie et qu’ils étaient donc seuls.
Ils se dirigèrent ensuite tous les deux vers la chambre de l’adolescent et, une fois dans la pièce, ce dernier s’installa sur son lit. Lucie le rejoignit alors. Les deux amis étaient assis côte à côte et le silence envahit la chambre.
-Désolé pour ce que j’ai dit hier. Enfin, je pensais ce que j’ai dit et je le pense toujours mais je suis désolé si je t’ai parlé agressivement.
-Ce n’est pas grave.
Le silence revint alors dans la pièce. Jusqu’à ce que la jeune fille reprenne la parole :
-Hier, quand je t’ai demandé à quoi tu pensais, tu as dit que tu pensais à moi. À quoi tu pensais à propos de moi?
Daniel plongea alors ses yeux dans ceux de Lucie. Il rougit et baissa la tête, embarrassé.
-Dis-moi, s’il te plaît, insista Lucie.
Daniel reprit alors son courage à deux mains et mêla une nouvelle fois son regard à celui de son amie.
-Je pensais à quel point tu es importante pour moi. Lucie, je crois que je suis amoureux de toi.
-Amou-quoi?
– Amoureux. Ça veut dire que je t’aime. Que je ressens pour toi des sentiments plus forts que pour les autres. Ça veut dire que j’aime être avec toi, que j’apprécie chaque détail à propos de toi.
– Non.
-Non? demanda Daniel, ne comprenant pas.
-Tu n’es pas amoureux de moi, déclara Lucie.
-Je crois que si.
-Non. Tu as dit qu’être amoureux signifiait que tu apprécies chaque détail à propos de moi.
-Oui, et c’est la vérité. Je t’aime vraiment bien, Lucie.
-Si tu connaissais tout de moi, tu ne m’apprécierais pas. Tu ne me connais pas vraiment, Daniel.
-Qu’est-ce que tu racontes? Je te connais aussi bien que tu me connais. Qu’est-ce que je n’sais pas sur toi?
Les deux jeunes se regardèrent une nouvelle fois en silence. Daniel voyait que Lucie hésitait à parler.
-Allons chez moi, proposa-t-elle.
-Mais…Tout à l’heure, tu ne voulais pas qu’on reste chez toi.
-Te poses pas de questions, tu vas me faire changer d’avis.
Ils quittèrent alors l’immeuble et marchèrent jusque chez Lucie en silence.
Le chemin parut long mais ils arrivèrent finalement chez la jeune fille. Ils entrèrent et Daniel suivit Lucie.
Ils montèrent les escaliers et Lucie s’arrêta devant une porte.
-Écoute, quand j’aurai ouvert la porte, tu pourras penser ce que tu veux. Mais promets-moi une chose. Promets-moi que tu ne te fâcheras pas, demanda Lucie.
-Ouais.
-Promets-le, vraiment!
-D’accord, je le promets!
Lucie ouvrit la porte. Daniel, ne voyant pas bien ce qui se trouvait dans la pièce, regarda Lucie comme s’il lui demandait l’autorisation d’entrer.
-Vas-y, tu peux entrer, déclara l’adolescente.
Daniel fit alors quelques pas et entra dans la pièce.
Ce qu’il vit lui fit un effet tel qu’il ne pouvait plus avancer, comme s’il se sentait bloqué. C’était comme si son coeur s’était arrêté de battre.
Des machines. Partout. Elles ressemblaient à la machine où le robot de sa mère allait se ranger le soir pour se recharger. Sauf que là, elles étaient de taille humaine. Les pensées s’entrechoquaient dans la tête de l’adolescent. Daniel eut mille et une idées qui lui vinrent à l’esprit lorsqu’il vit les machines. Il regarda furtivement Lucie et l’inquiétude se mêla alors à son regard, voyant qu’elle ne tentait pas de donner une quelconque explication qui pourrait le rassurer.
-Lucie, qu’est-ce que…Je comprends pas, qu’est-ce que ça veut dire?
-Daniel, tu sais ce que ça veut dire.
Oui, Daniel le savait. Il avait compris.