Je viens de me réveiller, je suis dans une clairière, le soleil est déjà haut dans le ciel, il doit être midi. J’entends un cri d’oiseau au loin, un bruissement dans un buisson, le vent qui souffle dans les feuilles. Je ne sais pas où je suis mais je me sens bien.
Soudain, un rossignol s’approche et me fait signe de le suivre. Il me guide à travers la forêt jusqu’à une petite maison blanche, au milieu des arbres, éclairée par le soleil. J’entre et je découvre une vieille dame assise dans son fauteuil qui raconte une histoire à ses petits-enfants. Lorsqu’elle m’aperçoit, elle me sourit et m’invite à m’asseoir.
Elle me propose un thé, je la remercie et j’accepte. Elle me demande si je suis nouveau dans la ville. Je lui réponds que je suis arrivé ce matin et que je ne connais absolument rien de cet endroit. Elle me promet que sa fille m’emmènera visiter la ville cette après-midi. Et en attendant, elle me guide jusqu’à une petite chambre à l’étage avec une vue magnifique sur la ville. On peut observer sur la droite une légère colline et à gauche un ruisseau où doivent nager des poissons de toutes les couleurs.
Tout à coup, une fille nommée Cia frappe à la porte de ma chambre et se présente comme la fille de la vieille dame. Elle m’invite à la suivre et nous entrons dans une sorte de voiture volante appelée « aérojet ». Arrivés en ville, nous nous garons dans un parking où se trouvent plein d’aérojets. C’est marrant, il me semblait connaître d’autres engins pour se déplacer, des « voitures » je pense que cela s’appelait. Elle me dit que nous allons nous promener dans la ville puis nous irons faire du shopping et enfin elle me guidera dans le musée de ce pays si … spécial. Alors nous commençons par la rue principale. Cia m’apprend que cette rue est piétonne comme toute la ville et que l’électricité est strictement limitée. La plupart des petits trajets sont faits à vélo ou à pied.
Je ne sais pas d’où ça vient mais je sais qu’il y a certains problèmes que je connais dont je n’ai pas entendu parler dans ce monde. J’essaye donc d’en parler avec Cia, je lui parle de changement climatique, de pollution, de maltraitance animale et même de pauvreté. Elle me dit qu’elle n’en a absolument jamais entendu parler et qu’elle serait vraiment étonnée si ça existait. C’est incroyable! Ce monde est-il si parfait? Je lui demande s’ils ont des problèmes gouvernementaux ou autres et elle me répond que à part certaines personnes bougonnes, ils n’ont pas de problèmes.
Nous continuons notre visite de la ville et je me rends compte qu’elle est totalement incroyable. Il y a des arbres à chaque coin de rue, l’air y est frais, il n’y a pas de déchets à terre, l’eau des rivières est turquoise, cela donne presque envie de s’y baigner.
Nous passons devant une boutique de robes 100% coton. Cia s’arrête tout à coup et regarde dans la vitrine une robe, une robe bleue avec des fleurs blanches. Elle est magnifique et Cia serait tellement jolie dedans. Je n’avais pas encore vraiment regardé mais la jeune femme a un charme auquel on ne peut résister. J’aimerais lui proposer une balade mais j’ai si peur qu’elle refuse, alors on continue comme si de rien n’était. Nous nous prenons un café et elle me sourit quand elle voit la buée se mettre sur mes lunettes. Nous rigolons beaucoup et elle me propose un pique-nique dans les bois. Je ne m’y connais pas très bien mais j’appellerais ça un coup de foudre. Ce sentiment si merveilleux d’avoir des papillons dans le ventre simplement en la regardant, un sourire figé sur les lèvres et voir le monde tout en rose.
Le soir venu, nous rentrons à la maison dans la clairière, elle me propose de souper avec elle mais il est temps pour moi de rentrer chez moi. En les quittant, je suis heureux, heureux d’avoir fait la connaissance de cette si charmante jeune femme, heureux de vivre dans ce monde où l’harmonie règne, heureux d’être moi.
Je me laisse guider par mes pas en repensant à cette incroyable journée, en repensant à Cia. J’arrive dans un appartement qui semble être le mien vu les photos. C’est marrant, j’aurais juré ne jamais être venu ici avant, ça doit être l’amour qui fait cet effet. Je me sers un café et je contemple la vue depuis ma terrasse, je peux voir un parc comme celui que nous avons traversé cette après-midi, plus loin il y a la ville qui brille de toutes ses lumières créées grâce à l’énergie solaire.
Soudain tout change, je ne suis plus dans l’appartement, je ne suis plus dans la ville de Cia. Je ne sais pas où je suis, il y a des odeurs de fumées, des cris. Je suis couché sur le sol à côté d’une femme qui est blessée au bras, ce n’est pas Cia, mais je sais que ici c’est ma femme, et à sa droite deux petites filles maigres qui semblent apeurées, mes filles. Ma femme me crie de bouger et je comprends enfin. La guerre, la politique, le changement climatique. Je me mets à courir, j’attrape mes filles et nous courons nous cacher le temps que les bombardements cessent. En sortant, on peut observer l’horreur, des cadavres sur le sol, des enfants maigres recroquevillés sur eux-mêmes pour éviter les coups des soldats, l’air est à peine respirable. Tout ce cauchemar car quelques années plus tôt, un gouvernement n’a pas été capable de se mettre d’accord sur les mesures à prendre pour le climat. La banquise a fondu, l’eau a monté et a fait disparaître la moitié de la terre, des migrants sont arrivés par millions, ils ont envahi les villes encore habitables et ça a déclenché la guerre. Voilà pourquoi nous vivons aujourd’hui dans la misère et que le mieux à espérer est d’éviter les bombes. Si seulement on avait pu changer les choses avant…
C’est à ce moment, quand je suis caché derrière des arbres du parc avec mes enfants, que je réalise à quel point on a été stupide. Quand j’étais enfant, les gens ne se souciaient pas du tout du climat. Les politiciens soi-disant « verts » faisaient des conférences de plus d’une semaine pour finalement les terminer sans un seul accord. Je me souviens qu’il y avait des jeunes qui protestaient contre la crise climatique, je me souviens aussi que les scientifiques prévenaient de tout ce qui allait passer si on ne faisait rien pour arrêter le changement climatique. Des guerres pour l’eau potable, des réfugiés climatiques, des inondations, des incendies, la sixième extinction massive, … ils expliquaient. Mais personne ne les écoutait, personne ne voulait sortir de sa zone de confort… même pas moi…
Maintenant je suis là, au milieu de toutes ces catastrophes, mais je ne peux pas retourner en arrière, on ne peut pas retourner en arrière. Il est trop tard.
Je me réveille, il est onze heures et demie du matin, je cours vers le salon et je vois ma femme et nos enfants assis sur le divan en train de parler et jouer. Je regarde dehors et je vois le parc, celui de d’habitude, parfaitement bien. Je réalise que tout cela était un rêve, que tout était faux. Ou peut-être vrai?
Je salue ma femme et nos enfants et je regarde autour de moi. Je me rends compte que tout ce que je vois doit changer. Que le plastique doit partir et qu’il faut acheter des containers. Mais pas seulement, aussi que mes vêtements doivent être en coton et pas en matière acrylique, que je dois arrêter d’utiliser la voiture, des produits de l’autre bout du monde, des aliments industriels et que je dois me manifester chaque jeudi avec les jeunes qu’on voit à la télé. Alors je prends une feuille de papier et je fais une liste de tout ce que je dois changer. Je commence avec quelques idées… consommer des aliments écologiques en vrac et de proximité, ne pas utiliser des dérivés du pétrole, faire de la pression politique, utiliser le transport public ou le vélo, ne pas … La liste est infinie.
On s’est trompé, et on doit l’admettre et changer. Tout doit changer : les politiciens, les multinationales, le système et nous. Il faut changer maintenant. Pour ne pas vivre ce que j’ai vécu dans mon rêve, pour pouvoir avoir un futur.