Le grand jour est arrivé. Il est 2h du matin, je me réveille la boule au ventre. C’est la première fois que je vais chercher l’eau dans l’oasis d’Errachidia. Je prépare les bidons vides en les accrochant à une corde que j’ai placée sur mon dos. Je prends de quoi me couvrir la tête une fois que le soleil se lèvera et que les rayons seront devenus trop agressifs pour ma peau, j’enfile les sandales abimées de ma mère, j’attrape deux figues et j’embrasse le front de mes petites sœurs, Zohra et Fatima.
Plus ou moins 6h de route à pied, ça aurait été certainement moins long si j’avais eu un âne. Malheureusement, seuls les plus riches peuvent se permettre des animaux de trait.
Il fait encore noir, je suis partie il y a vingt minutes et le froid du désert en pleine nuit m’empêche de réfléchir. En fait, il n’y a pas que ça qui m’empêche de réfléchir, la société m’empêche de réfléchir. Elle nous a conditionnés : il nous faut survivre et non pas lire ni faire des études. Elle nous a convaincus que si on en est là aujourd’hui c’est de notre faute et que notre place est parmi les cadavres d’enfants morts de soif et les ossements de bétails qui, hier encore, étaient des troupeaux.
Le soleil se lève, il est cinq heures du matin ; j’ai mal aux pieds surtout entre mes orteils, là où se loge le sable. J’en peux plus. Je m’adosse à un rocher et j’épluche une des figues que j’ai emportées avec moi. Je relève la tête et de gauche à droite, j’observe l’immensité du désert. Durant cette action, j’aperçois un groupe d’hommes armés allant dans la même direction que moi. Alors, je me précipite derrière le rocher en espérant que la distance entre nous s’agrandisse. Les minutes passent, plus aucune trace du groupe d’hommes. Je pensais que le plus dur dans ce périple serait de faire route seule sans pouvoir compter sur quelqu’un mais je me suis trompée ; la faim et la soif qui, auparavant, créaient des liens et de la solidarité ont été transformés en animosité.
Il est six heures, je pense à ma mère. Elle qui faisait le trajet tous les mois pour subvenir aux besoins de mes petites sœurs et moi. Jusqu’au jour où elle est partie sans jamais revenir. Nous sommes restées deux semaines sans nouvelle. Pendant tout ce temps, je pensais qu’elle nous avait abandonnées ; je m’en veux d’y avoir songé. Ma mère ne nous aurait jamais fait ça. J’ai appris quelques temps plus tard qu’elle avait été piétinée par la foule à l’entrée de l’oasis.
Il est sept heures. Au loin, en plissant les yeux, je vois des nomades sur des dromadaires qui me font face. Je me dirige vers eux à contrecœur serrant mon petit couteau, qui me colle aux doigts à cause du jus des figues. Je les interpelle et je leur demande d’où ils viennent. Ils m’épient durement et froidement, leurs regards sont le miroir du monde, de notre monde. Je prends peur et prends mes jambes à mon cou. Cette situation me refroidit dans ce désert chaud et sec.
Cela fait maintenant plus ou moins six heures que j’ai pris la route. Le paysage a changé. L’air est plus humide et une légère odeur de végétation effleure mon nez. J’entends les claquètements des cigognes survolant, droit devant moi, le désert. La fatigue commençait à se faire ressentir quand, tout à coup, en montant l’une des nombreuses dunes de ce désert infini, je découvre enfin la fameuse, la précieuse Oasis d’Errachidia ! L’adrénaline monte, je me dirige à toute vitesse vers l’El Dorado du désert !
Je me fais bousculer par une troupe de personnes se dirigeant vers l’Oasis. Des militaires encerclent l’endroit que tout le monde désire atteindre.
Les gens scandent. « C’est mon droit, C’est mon droit ! » Je demande alors à une vieille dame, habitant non loin du lieu devenu sacré, ce qui est en train de se passer. Elle m’explique alors que nous devons à présent payer au litre l’eau que nous voulons emporter. Désorientée, je tombe dans les pommes. En me relevant, je crie à mon tour : « C’est mon droit, C’est mon droit ! »