Cela fait déjà quelques jours que je suis à la recherche de liberté. Il fait beau dehors, le temps est de mon côté. J’aime les saisons estivales. Une nappe de diverses couleurs entremêlées décore le ciel en cette fin de journée d’été. Malgré tout, l’orange semble dominer d’une force surnaturelle que jamais -l’Humain, du haut de sa petitesse, ne pourra contrôler. Moi, Ellie, dix-sept bougies au compteur, j’ai des cheveux bruns organisés en une coupe carrée. Quelques taches de rousseurs décorent mon visage synonyme de l’agréable mois de juillet passé hors de la prison que l’on nomme école. Pink Floyd et leur chanson Another Brick in the Wall résument parfaitement mes pensées sur l’enseignement. Une sorte d’usine du xixe siècle où les petits élèves arrivent en première année de maternelle et doivent être transformés le plus rapidement possible en produits finis avant la fin de leur scolarité. La manipulation des esprits est en effet l’une des préoccupations de base du gouvernement de mon pays. Ici, cela fait déjà longtemps que la démocratie a disparu.
Quand mes parents se sont rencontrés, en 2023, le gouvernement mettait en place un système de bracelet de surveillance. À cette époque, le taux de criminalité croissait de manière exponentielle. De ce que mes parents m’ont raconté, les étudiants s’étaient révoltés contre le régime autoritaire qui commençait à se développer. Ils manifestaient leur mécontentement quant à leur privation de liberté d’expression, de leur liberté tout court. Le gouvernement avait mis fin à la révolution dans des mares de sangs, de larmes et de cadavres. La censure actuelle est telle que l’école ne peut mentionner ces événements. Depuis, le bracelet de surveillance a été mis en place. Le mien est agrippé à mon poignet droit depuis ma naissance. Le but du gouvernement est de surveiller nos propos, nos actes et nos moindres faits et gestes.
Nous avons le droit de mentir trois fois par semaine. Au-delà de cette limite, nous sommes convoqués au tribunal suprême pour un jugement où les juges semblent être corrompus. La sentence habituelle consiste à recevoir une amende salée et à suivre une série de cours sur l’histoire du parti au pouvoir depuis bien trop longtemps. Si nous sommes convoqués une deuxième fois, c’est la prison. Dans mon pays, si on va en prison, on n’en revient jamais. Mon père et mon frère sont morts là-bas. La prison est un lieu rempli de violence. Les gardiens, qui y travaillent au nom du gouvernement, font régner la terreur. Les prisonniers se décomposent à petit feu dans leur cellule.
Il y a deux jours, j’ai reçu ma deuxième convocation. En d’autres termes, j’ai rendez-vous avec la mort. Mes mensonges ne valent pas le coup d’être enfermé tout le reste de ma vie ; je n’ai que dix-sept ans. J’ai décidé de ne pas me rendre au tribunal. J’ai fugué du taudis qui nous servait, à ma mère et à moi, d’appartement. Je dois sauver ma peau quitte à sacrifier celle de ma mère qui sera arrêtée pour complicité après mon départ. Je dois essayer d’atteindre la frontière le plus vite possible. Mon pays est très grand et ma ville se trouve au centre. Je l’ai quittée depuis quelques jours déjà. Dorénavant, je me trouve dans une ville à vingt-cinq kilomètres du pays voisin. Le bracelet n’a pas de pouvoir de localisation, fort heureusement.
Si je réussis à m’enfuir, j’aimerais alerter le monde entier, contacter de célèbres médias qui, je l’espère, m’écouteront. La force médiatique est l’une des plus puissantes au monde et le parti en place l’a bien compris. La manipulation de la presse dans mon pays, c’est quelque chose.
Je dois absolument atteindre un aéroport avant que des affiches, avec ma tête en grand dessus, accompagnée de la légende : « recherchée pour rébellion », ne soient publiées. Les gens n’hésiteront pas à me balancer. La majorité de la population est totalement aliénée et noyée dans le système. L’esprit critique est mort depuis longtemps. Ils ne cherchent plus à fuir ni à se révolter. L’idéologie étatique vaut plus que tout. Ici, les humains ne sont pas considérés comme tels. On dirait des masses qui se laissent aller, qui obéissent à chaque ordre. C’est de la folie pure.
Je me trouve à dix kilomètres d’un aéroport international. J’ai encore une sérieuse réserve d’argent, prise en cash. Dans ma situation, la sanction économique arrive très rapidement. Quand on ne respecte pas une loi, le gouvernement a tendance à vider nos comptes bancaires. Avec du cash, j’évite ce genre de problème.
Durant mon trajet, j’aperçois un taxi qui me dépose à l’aéroport. Je paie le gars qui me répond par un : « Merci, Mademoiselle » automatique. Anxieuse, je pénètre dans l’aéroport. Un tel lieu est parfait pour tous les criminels qui, comme moi, tentent de s’enfuir. Je trouve un vol qui me convient et rentre dans mon budget. Je me dirige vers le comptoir et je fais bien comprendre à la femme qui s’en charge que je glisserai quelques billets en plus si elle ne contrôle pas mon identité. Marché conclu ; l’avion décolle dans quatre heures. Les soldats présents ne me regardent pas, ce qui signifie que je ne suis pas encore officiellement recherchée. Je dois m’occuper comme je le peux, mais je suis trop pressée et excitée ; je ne montre rien. Je ne veux pas éveiller les soupçons. J’attends sagement que les haut-parleurs annoncent l’embarquement.
Je ne vois plus de soldats dans les alentours. L’embarquement commence ; nous ne sommes que quinze personnes alors que l’avion a au moins une capacité de deux cents sièges. Dès que j’arrive dans celui-ci, je me cache, sans que personne ne me voie, dans les sanitaires. Je sais que les hôtesses de l’air doivent entamer un dernier contrôle des bracelets, c’est la loi. Notre identité est dans le logiciel de notre bracelet. Un scan et on sait qui tu es. J’espère juste qu’ils ne viennent pas vérifier les toilettes ; auquel cas il serait judicieux que je rédige mon testament.
Soudain, la porte des toilettes s’ouvre à la volée. Trois soldats me mettent une cagoule sur la tête.
– STOP !
Je reconnais cette voix ! C’est mon frère. L’armée l’a engagé contre une remise de peine. Et pour garder le secret, ils l’ont fait passer pour mort. J’entends des bruits de pas, on m’enlève la cagoule et je vois bien mon frère.
– Ellie, ne dis rien, pas un son. Toi et moi, on se barre, dit-il.
Tout se passe rapidement. Il me reconduit dans l’avion. D’après ce qu’il m’explique, il est le lieutenant chargé de la sécurité dans l’aéroport. L’avion décolle. Dans quelques heures, nous arriverons dans un pays lointain. Nous serons enfin libres.