L’omniprésence du gris à cause de la pollution même en plein été, la corruption et la violence de la police et de l’armée, l’absence d’émotions exprimant le moindre côté positif, la nécessité d’être le meilleur et le fait de ne jamais être assez dans ce que l’on fait et la mise à mort de la liberté d’expression, voici comment on pourrait résumer la vie à Ablata at alba. L’amour y est interdit pour essayer de lutter contre la surpopulation, n’importe quelle manifestation de celui-ci peut vous coûter la liberté. L’imagination, qualité si appréciée autrefois est le plus grand ennemi du monde d’aujourd’hui. Toutes les œuvres parlant d’imaginaire sont utilisées comme combustibles pour donner un minimum de chaleur dans ce monde froid et sans couleur car elles pourraient en pousser certains à se révolter. Cela fait vingt ans que les règles du gouvernement empoisonnent ses citoyens. Depuis lors, personne ne se souvient d’avoir aperçu un sourire sincère.
La seule différence entre Ablata at alba et une ville véritablement morte, c’est la présence de citoyens. Cependant, je me suis déjà demandé si c’étaient bien des humains que je voyais et non des spectres.
La quête du bonheur a pris fin à la surface et a commencé dans les sous-sols des banlieues où même les forces de l’ordre ne s’aventurent plus, faute de personnel sobre. Les habitants s’y rassemblent et essayent de se remémorer les temps heureux, en vain. La nuit finit en larmes avant de mettre son masque de plâtre pour démarrer une nouvelle journée de désespoir.
Ce désespoir a pris fin pour moi quand une rumeur s’est propagée dans les souterrains, il parait qu’une ville différente de notre monde existe et qu’elle n’est pas si lointaine que ça, mais, personne n’est d’accord sur ces caractéristiques, le seul trait qui revient, c’est sa perfection. C’est une raison suffisante pour moi de mettre les voiles et partir d’ici.
Je suis partie deux mois plus tard pour essayer de voir comment le pouvoir allait réagir mais aussi pour rassembler un maximum d’informations en tout genre. Le risque est grand, toute tentative de fuite est sévèrement punie par. Cela m’était égal, je voulais juste partir d’ici.
J’ai pris le strict minimum avec moi, des vêtements chauds, des provisions et mes papiers, je me suis éclipsée dans la nuit à l’aide de quelques plans des sous-sols. Cette étape était la plus risquée car les officiers des forces de l’ordre sont très attentifs aux personnes comme moi. Après avoir réussi à contourner les postes de contrôles, je me suis rapidement retrouvé dans une forêt dont j’ignorais l’existence.
Cette forêt était calme et rassurante en journée comme en pleine nuit. Le vent était frais et me poussait vers l’avant comme s’il voulait me dire que j’étais sur la bonne voie. Au bout de deux jours, je suis tombée sur des champignons que je n’avais pas encore croisés, pourtant les espèces qui poussaient ici n’étaient pas nombreuses. Je me suis retrouvé face à une double guirlande rouge de fausses oronges qui semblait m’indiquer un chemin à prendre. Je l’ai suivie car jusqu’ici, la nature semblait me vouloir aucun mal. Ce passage était accompagné d’une odeur légère de radis.
Après avoir longé ce sentier pendant quelques kilomètres, je commençais à rencontrer des difficultés pour avancer, mes pas ont commencé à se faire de plus en plus lourd tout comme ma tête qui en plus se mit à tourner. Je me suis arrêtée et j’ai fermé mes yeux pendant quelques instants pour reprendre mes esprits.
Le bourdonnement d’une abeille me rappela qu’il était temps de me remettre en marche et, à mon grand étonnement, je n’étais plus entourée de champignons, ils avaient disparu et laissé place à … une ville. J’ai dû m’habituer à la lumière du soleil qui m’empêcha d’observer l’aspect général de l’endroit où je me trouvais. J’ai décidé de m’aventurer à l’intérieur pour voir si j’étais bien arrivé à destination.
Il y avait un détail qui ne m’échappa pas, la présence des couleurs, le peintre qui avait décidé de représenter cette ville ne s’était donné aucune limite quant aux couleurs figurant sur sa palette. Aucun endroit ne restait vide ou terne et pourtant l’œuvre du peintre demeurait tout de même harmonieuse.
Un autre détail me frappa, personne ne semblait avoir peur, des couples se tenaient la main et riaient jusqu’aux larmes. On a dû me prendre pour une folle quand d’un air effrayé, j’ai cherché les officiers des yeux. Pourtant, aucun minotaure n’était présent dans ce véritable labyrinthe, tout le monde exprimait son opinion, vivait sa vie comme si la boite de Pandore n’avait jamais été ouverte.
J’ai passé une journée entière à arpenter les rues de la cité, et malgré cela, je ne savais toujours pas où j’étais. En dépit des différentes informations sur ma destination, personne n’avait mentionné son nom, le seul moyen de savoir qu’on y était arrivé, c’était de le sentir et de s’en convaincre et c’était bien mon cas. Cet endroit était tellement beau et plein de vie que je ne voulais même pas savoir ce que je trouverais plus loin. Un problème se posa à la tombée de la nuit, la question de logement, allaient-ils accepter une réfugiée ou allaient-ils m’envoyer à Ablata at alba entre les mains des corrompus ? Je n’avais pas parlé à personne pendant ma balade pour éviter cette situation, cependant je ne pouvais plus continuer comme ça.
Je suis rentrée dans un petit bar au coin de la rue pour essayer d’en savoir plus. J’ai expliqué ma situation au propriétaire, un homme d’âge moyen apprécié par les habitants du quartier vu le nombre de personnes qui étaient venues lui parler depuis mon arrivée dans son établissement. Il semblait ignorer ma ville d’origine, c’était la première fois qu’il entendait parler d’un endroit pareil. Après de longues minutes pendant lesquelles j’ai tenté de décrire le mieux possible la vie à Ablata at alba, j’ai enfin posé la question qui me hantait depuis ce matin :
-Excusez-moi de vous le demander, mais, où est ce qu’on est ? Quel est le nom de cette ville ?
-Pas de soucis mon enfant, nous sommes dans la ville d’Ablata at alba
Au moment même où il prononça ces mots, je sentis mes jambes se dérober sous moi et je m’écroulai au sol incapable de bouger, ma bouche s’est asséchée jusqu’à devenir un véritable désert et les battements de mon cœur se faisaient de plus en plus rapides. Puis tout à coup, tout le décor s’est évaporé. Quand je me suis à nouveau retrouvée capable de bouger, mes yeux se sont ouverts automatiquement, et à ma grande surprise, j’étais à nouveau entourée de fausses oronges.
Je me suis levée sans que je l’ordonne à mon corps, je regardais autour de moi comme une bête sauvage, j’ai alors aperçu trois officiers qui s’approchaient de moi, sans doute pour m’arrêter. J’ai voulu fuir mais mes muscles en ont décidé autrement, mon corps ne me répondait plus et s’est jeté sur l’un des agents. J’avais beau essayer de leur expliquer que je ne contrôlais pas ce que je faisais, les seuls sons qui sortaient de ma bouche étaient des grognements mélangés à d’autres bruits incompréhensibles.
Après de longues minutes de lutte déséquilibrée où je me battais contre mon propre corps, j’ai été immobilisée et emmenée dans un bâtiment miteux.
Là-bas, de nombreuses personnes en blouses de médecin me regardaient comme si j’étais un monstre. J’étais toujours incapable de contrôler mes gestes et mes paroles quand on m’enfila une camisole de force juste avant de me jeter dans une pièce vide. On ne m’accorda aucune explication, comme si mon sort avait été écrit avant même mon entrée dans ce lieu…
Abla ta Atalbla…je sais pourtant que tu existes. Un jour je mettrai les voiles et je te retrouverai. Un jour…