Tout se passait bien dans ma vie. J’ai 24 ans, bientôt 25. J’ai un bon boulot avec un revenu plus que correct, une belle voiture. Je travaille en tant que mathématicien dans une grande université très réputée, bien plus que Harvard il y a une cinquantaine d’années. Même après la réduction d’années d’étude suite à la pénurie, on dit que je suis un vrai prodige et je n’en suis pas peu fier. Une cérémonie a d’ailleurs eu lieu en mon honneur pour, je cite : « montrer aux jeunes – in formés – en trop plein de pulsions primaires le droit chemin ». J’ai toujours été un exemple de perfection. Je rénove moi-même ma maison. Bref, une situation confortable, admirable. Tout était parfait avant que je ne contracte cette maladie qui m’a fait devenir un hors la loi. Je ne sais à qui me confier si ce n’est à toi car après tout, c’est à cause de toi si j’en suis là. Tu m’as empoisonné. Je ne sais pas comment ni même pourquoi tu m’as fait ça, ce que je sais et ça ne fait plus aucun doute, c’est que tu es à l’origine du mal qui me ronge.
Ça fait bientôt six mois que mes symptômes ont commencé : un mal de ventre comme si des milliers de bestioles immondes se baladaient en moi, des montées fulgurantes de température et quelque fois, je divague, je deviens fou, je perds l’esprit. Ce qui n’est pas toléré, encore moins pour un homme de raison comme moi. J’ai des frissons rien que de penser à ta sorcellerie dont je suis victime. Quel poison m’as-tu administré pour que les battements de mon cœur s’accélèrent considérablement, sûrement pour provoquer une crise cardiaque. Ça m’obsède, je n’en dors plus. Jour et nuit je ne fais que penser à ça, aux raisons de ton acte. La fatigue me joue des tours, je te vois partout attendant dans l’ombre que je craque. Est-ce un poison versé dans mon eau ou une injection de toxines dans ma nourriture ? Tu tortures mon esprit, détruits mes neurones. Gangréner mon corps ne te suffit donc pas ?
Je ne peux t’en parler de vive voix, j’aurais trop peur que tu contrôles mes pensées, que tu me tues, que tu me portes un coup en plein cœur qui me serait fatal, un coup dont je n’aurais la force de me relever. Ce que j’espère, c’est qu’un jour tu ressentiras la même chose que moi et que tu seras exilé tout comme je le serais si on apprenait que je suis contaminé, que tu vogueras dans les limbes de ton inconscience tout comme je le fais en cherchant des causes à ta barbarie. Perfide sainte, ta fourberie se retournera contre toi. Comment aurais-je pu penser en te rencontrant que tu m’aurais trahi, que tu m’aurais poussé à une souffrance éternelle ?
Pourtant j’ai tout fait pour me débarrasser de la maladie mais, ni le sport ni l’alcool ou une hygiène de vie irréprochable n’ont pu me soigner. Tu as bien joué ton coup, j’ai presque de moi-même été me dénoncer à un docteur. D’ailleurs, avant que je ne comprenne ta ruse, j’ai été voir médecin et psychologue. Heureusement ils n’ont pas pensé qu’on puisse encore contracter cette maladie presqu’éradiquée. Ils m’ont prescrit tous types de médicaments. J’en étais drogué mais ça m’a permis d’être plus lucide, de comprendre ton plan. Ça fait quelques mois que j’hésite à te retranscrire ma peine et ma colère. Je ne voudrais pas qu’en plus de ma frustration, tu te réjouisses de la paranoïa qui gagne mon esprit. La haine ne nourrit plus la flamme en moi. D’ailleurs en y pensant, rien ne l’a jamais entretenue.
Parvenant à la fin de ma lettre je comprends que je n’ai nulle autre possibilité de m’en sortir. Je suis déjà fou, autant rester dans le délire. J’ose tout de même te troubler en acceptant mon sort et en bravant tous les interdits, en te le disant…
Moi qui jadis étais si parfait, bien ancré dans les mœurs et les codes de cette société. Pour la première fois de ma vie, je transgresse une loi, pas n’importe laquelle. Autant ne pas faire les choses à moitié, la plus importante de toutes ces lois qui nous dictent ce qu’on pense être notre vie. J’ose le dire, je suis fou … fou de toi.