18 novembre 2067
Me voilà encore assise seule dans un coin de la cour. Je m’appelle Jenna, j’ai 14 ans et je souffre d’une grave anxiété sociale. C’est pour cela que j’ai été internée ici, à l’hôpital psychiatrique Resiling pour les mineurs. Enfin, la sonnerie retentit. Tous les autres patients et moi nous rendons vers la salle commune pour aller manger le repas. Ça aussi, c’est un moment que je déteste parce que tout le monde est regroupé au même endroit et cela me stresse énormément. Je m’assois à une table, celle que j’estime la plus éloignée des autres personnes, et j’attends Billy. Billy, c’est le seul ami que j’ai réussi à me faire au bout de 3 ans dans cet hôpital. Il a le même âge que moi et est interné à Resiling depuis 4 ans car il souffre de bipolarité. C’est la seule personne à être venue vers moi et il me comprend. D’ailleurs, je partage ma chambre avec lui. Je le vois arriver portant son plateau d’un pas lourd :
– Encore un repas bien dégueulasse comme tous les jours dans ce trou! s’exclame-t-il énervé.
J’essaye de le calmer mais pas facile car c’est quelqu’un d’assez irritable.
– Allez, ce soir on se barre d’ici et on ne revient jamais, d’accord? dit-il.
– Tu sais très bien que c’est impossible. En plus, tes tentatives de fugue n’ont jamais vraiment été de grandes réussites…, lui répondis-je calmement.
Il me regarde, l’air blasé. Il est vrai que Billy a plusieurs fois tenté de s’échapper de Resiling parce que les règles y sont très strictes. Après plusieurs minutes à s’être raconté nos journées, nous entendons des bruits de talons résonner dans le couloir. Le silence devient imminent dans le réfectoire. Madame Sinclair, la directrice de l’hôpital, fait son apparition, suivie par les infirmiers. Elle est le cauchemar de tout patient ici. Elle est grande et assez enrobée, elle a des cheveux noirs, gras et parle toujours d’une voix rauque. Les quelques infirmiers autour d’elle sont vêtus de longues chemises blanches et ne laissent paraître aucune expression sur leur visage.
– Silence! hurle Madame Sinclair. Comme chaque soir, je vais vous dicter les trois règles principales de l’établissement. Premièrement, tous les patients doivent prendre leurs traitements tous les jours. Deuxièmement, tous les patients doivent regagner leur chambre pour 22 heures au plus tard. Troisièmement, tous les patients ont une interdiction formelle de se rendre dans la salle B104.
La troisième règle, c’est la plus importante, elle insiste toujours dessus. La directrice tourne les talons pour regagner son bureau tandis que les infirmiers nous préparent nos traitements. Personnellement, je me plie aux règles et je me mets dans la file pour recevoir les miens, ce qui n’est pas le cas de Billy. Je le vois partir en direction de notre chambre pour échapper à son traitement quotidien, un sourire malicieux sur le visage. Je soupire, mais j’y suis habituée. Je prends un verre d’eau et avale mes deux médicaments: un pour calmer mon anxiété et un pour m’aider à mieux dormir.
Il est 21h30. Je décide d’aller dans ma chambre car je n’aime pas rester avec les autres. Pour m’y rendre, je dois passer par un long couloir sombre éclairé seulement par les numéros des salles, dont la fameuse B104. Je ne sais pas pourquoi, mais à chaque fois, en passant devant cette salle, je ressens un grand frisson qui me glace tout le corps. Les poils de mes bras se hérissent et je suis pétrifiée. Parfois même, j’ai l’impression d’entendre des voix et des cris qui viennent de derrière ces murs. Je me dépêche de rejoindre ma chambre et je retrouve Billy à l’intérieur :
- T’as encore pas pris tes médocs, lui dis-je d’un air soucieux.
- Non, mais j’ai pris ça! me répond-il.
Il sort de sa poche un trousseau de clés et l’agite devant mon visage. Billy a réussi à s’emparer des clés de Madame Sinclair.
- Je les ai prises sur son bureau quand elle est partie manger. Ça te dirait une escapade nocturne? me dit-il tout fier.
Je sais très bien où il veut en venir: ces clés ouvrent les portes de la salle B104. Je ne veux vraiment pas le suivre dans son idée, surtout que j’angoisse à l’idée de déroger à la règle la plus importante de Resiling.
– Allez Jenna, on va enfin découvrir ce qui se cache derrière cette porte qui te fait si peur et que Sinclair refuse qu’on voie!
– D’…D’accord m-mais on fait vite…, lui répondis-je.
Il est minuit. Billy et moi sortons discrètement de notre chambre et nous dirigeons vers la salle. J’ai du mal à avancer car l’idée de désobéir à la directrice me terrifie. Arrivés devant la porte, mon ami sort le trousseau de clés et ouvre la salle. Nous rentrons sans faire de bruit. La pièce est plongée dans le noir, il y fait très froid et il y a des papiers éparpillés partout. En avançant plus loin, je vois des seringues usagées et des boites de médicaments sur le sol. La salle B104 est dans un état déplorable et laisse paraître une ambiance macabre. Il y a tellement de papiers par terre que je décide d’en attraper un au hasard et de le lire. Dessus, il y a écrit: Danny, expérience numéro 1394, injection de Sulfine dans le bras. Je ne comprends pas trop ce que ça signifie alors je le montre à Billy :
– Regarde ce que j’ai trouvé! Tu sais ce que ça veut dire?.
Pas de réponse. Je lève la tête et le voit, les yeux écarquillés et le corps pétrifié :
– J-Jenna…, dit-il la voix tremblante.
Je regarde dans sa direction et mon cœur manque de s’arrêter. Sur une table d’opération, il y a une personne que Billy et moi avons vite reconnue. C’est Allan, un patient qui avait disparu de l’internat depuis plusieurs semaines. Il est attaché avec des sangles et a subi plusieurs injections. Sous le choc, quelques larmes coulent sur mes joues et mon ami ramasse un papier au sol et le lit à haute voix. Il m’explique alors que la salle B104 est une salle d’expériences où des produits sont testés sur les résidents souffrant de maladies psychologiques. Je recule, épouvantée par ce que je viens d’entendre et, sans faire exprès, je fais tomber un bac rempli de fioles en verres qui s’éclatent par terre et font beaucoup de bruit. “Non…” chuchote Billy. C’est à ce moment qu’on entend les bruits de talons de Madame Sinclair retentir dans le couloir, puis les pas des infirmiers. Nous sortons en courant de la salle et tentons de nous échapper de Resiling.
– Cours Jenna, on y est presque!, me crie mon ami.
A quelques mètres de la sortie, je trébuche contre le pied d’une table du réfectoire et tombe par terre. Billy ne m’entend pas et poursuit sa course vers la liberté tandis que j’entends des pas se rapprocher de moi…