J’étais président des Etats-Unis depuis 2 ans. Tout se passait bien, enfin plutôt bien. Certes il y avait des manifestations pour des sujets divers et variés presque tous les jours à travers le pays, l’énergie atteignait des prix mirobolants et la crise économique pointait le bout de son nez. A part ça, je me portais bien. Mais visiblement, cet équilibre précaire ne pouvait pas durer. Mon pays accumulait, depuis un certain temps, quelques désaccords avec notre principal concurrent, la Chine. Ce n’était pas très grave en général mais là, les Chinois avaient mal pris ma remarque. Lors d’une conférence de presse, je m’étais indigné de la situation des Ouïghours et j’avais menacé d’instaurer des taxes punitives sur le made in China. Je ne pensais pas réellement le faire parce que ça allait augmenter le prix de certains vêtements et plomber nos relations diplomatiques déjà tendues avec eux mais ça pouvait augmenter ma popularité auprès de ceux qui partageaient leur situation sur les réseaux sociaux.
Il s’est alors produit l’improbable. Ils sont directement montés sur leurs grands chevaux et nous ont déclaré la guerre. Je m’attendais à tout sauf à ça. J’ai cru naïvement qu’ils avaient besoin de nous pour garder leur croissance économique. Et puis on payait des services d’espionnage pour empêcher ce genre d’incident. Ils auraient pu nous prévenir qu’un sentiment de haine surgissait quelque part ou qu’il régnait une atmosphère étrange dans le pays par exemple, mais rien de ce genre ne m’avait été rapporté. J’ai d’abord été en colère envers eux puis je me suis ravisé en rejetant la faute sur la Chine. Enfin ! on ne lance pas une guerre sans signes avant-coureurs, ça ne se fait pas !
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J’ai donc dû commencer à organiser une stratégie militaire. C’était compliqué parce que j’avais étudié le commerce à l’université. Autant dire que j’avais parfois du mal à suivre les explications de l’état-major. J’ai quand même pris le temps de remercier les Etats-Unis de dépenser 700 milliards de dollars dans l’Armée. En l’occurrence, ça allait servir.
Malgré tout, faire la guerre, ça me dérangeait. Je savais qu’on allait déplorer d’innombrables victimes, beaucoup de soldats d’une part et énormément de civils de l’autre. Des conséquences sur l’environnement étaient à prévoir. La guerre serait nucléaire et sans pitié. On m’avait prévenu que j’allais devoir rencontrer le tout nouveau président chinois. Je trépignais d’impatience parce qu’il y avait des rumeurs qui circulaient à propos de sa beauté. Un ami de l’ambassade en Chine m’avait décrit son physique. Il n’était pas très grand mais très bien bâti. Son visage était anguleux et ses traits saillants se trouvaient accentués par ses cheveux tirés vers l’arrière et son rasage de près. Il avait fait énormément d’arts martiaux et cela se vérifiait lorsqu’il marchait. Sa démarche était assurée et ses pas légers. Il pouvait probablement gérer n’importe quel ennemi susceptible de l’affronter à mains nues. Dans son pays, certains juraient que ses parents étaient des dragons. Quoi qu’il en soit je ne devais pas oublier qu’il nous avait déclaré la guerre et que c’était très contraignant. J’étais censé m’entretenir avec lui dans une semaine.
Il avait fallu informer le peuple du conflit. Je m’attendais à ce que les critiques fusent de toutes parts mais au contraire, l’annonce avait rassemblé la population autour d’un même sentiment. Le sentiment d’appartenance à la nation s’était accru. Les inscriptions à l’armée avaient explosé. Le nombre de jeunes prêts à se faire mitrailler pour l’amour du pays m’avait beaucoup surpris. Certains ne savaient sûrement pas pourquoi ils allaient se battre, ni ce que ça allait apporter. Les vieux étaient aux anges, eux qui répétaient en boucle “ce qu’il nous faudrait, ce serait une bonne guerre ”. J’étais sceptique vis à vis de cette vision mais on allait bientôt savoir si elle était justifiée ou non.
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J’étais président de la Chine depuis peu. Tout se passait bien, enfin plutôt bien. On réprimait très vite les idées de manifestations pour éviter les révolutions, on avait assez d’énergie pour tous même si elle venait du charbon et que la pollution qu’elle produisait était préoccupante et la crise économique ne pouvait venir que de nous puisque nous avions un monopole sur énormément de marchés stratégiques. Mais visiblement, cet équilibre précaire ne pouvait pas durer. Mon pays accumulait, depuis un certain temps, quelques désaccords avec notre principal concurrent, les Etats-Unis. Ce n’était pas très grave en général mais là, ils s’aventuraient dans un domaine qui ne les regardait pas. J’ai vu qu’ils critiquaient notre façon de traiter les Ouïghours. Peut-être qu’on les maltraite mais quand il s’agissait de baisser le prix des vêtements, ils acceptaient de fermer les yeux. J’ai donc décidé d’envoyer un message au président américain pour lui faire peur. Le 47em à occuper ce poste m’intriguait. Avec sa carrure de géant et sa mâchoire carrée, il semblait difficile à intimider. En plus, il avait des yeux bleus d’une pureté rarement observée. Il devait se demander comment ses services de renseignements n’avaient rien vu. Simplement parce qu’il n’y avait rien à remarquer. Ce message envoyé depuis mon téléphone personnel provenait d’une idée soudaine et saugrenue. Tout le monde sait qu’on ne lance pas une guerre sans signes avant-coureurs, ça ne se fait pas.
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La rencontre se fit dans un palace à Genève, en Suisse. Il fallait un terrain neutre et éloigné des deux pays. L’hôtel se situait au bord du lac Léman. C’était un grand bâtiment blanc, un peu camouflé par les arbres. Il possédait son propre port pour pouvoir accueillir sept yachts à la fois. Les feuilles orangées du début de l’automne et l’air doux rendaient ce cadre idyllique. L’arrivée des présidents avait causé un vacarme monstre, l’un par son hélicoptère et l’autre, son immense bateau. Les services de protection devaient absolument rester à plus de cent mètres du pavillon. La rencontre avait lieu dans une salle de réunion au dernier étage. Le chef d’Etat américain attendait son homologue chinois. Quand ils furent à deux dans la pièce, l’atmosphère changea. Elle était lourde et indescriptible. La température avait probablement triplé en présence des deux auras. Ils se regardèrent profondément sans prononcer un mot. Un frisson leur parcourut l’échine. Ils s’avancèrent l’un vers l’autre en enlevant leur veste et le président américain, plus grand, se pencha sur le président chinois après lui avoir caressé les cheveux.
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Cette réunion avait mis fin aux tensions qui menaçaient le monde. Ils signèrent le Traité de la Paix et de l’Environnement (le TPE). L’alliance des deux nations permettait de réaliser d’immenses projets communs pour le bien de l’avenir de la planète. La courbe des marchés boursiers oscillait bien moins qu’avant puisque la production et la consommation venaient du même endroit. Nul ne sait réellement ce qu’il s’est passé lors de cette entrevue mais toujours est-il que la discussion fut terriblement efficace. Là où tout le monde avait échoué pour la fin des armes nucléaires, ils avaient réglé ça en une heure. Aujourd’hui, les dirigeants vivent ensemble en allant un mois sur deux soit à Washington, soit à Pékin. Depuis cet évènement majeur, la pollution des mers et de l’air a baissé, le chômage aussi et le bien-être des gens a considérablement augmenté.
Les hypothèses sur ce qu’il s’était passé foisonnent. Mais ce qui est sûr, c’est que ce sont dans les situations difficiles que naissent les plus belles histoires.