Sylvain marche rapidement dans la forêt. La brume monte, il s’enfonce jusqu’aux cuisses dans les feuilles mortes, même si la pente l’oblige parfois à s’accrocher aux branches. Il a vingt-neuf ans ce samedi et il en souffre à peine.
Son arc le gêne. Il le démonte et le glisse dans son sac à dos pour dégager ses mains. Il lève la tête, écoute les oiseaux, se retourne vers la vallée envahie par le brouillard et goûte au calme un instant.
Sylvain est dans la foule. C’est sa première réunion, il est surpris de s’y sentir à son aise, anonyme.
Il applaudit quand il le faut, rit avec les autres.
L’homme qui se tient au pupitre est fort et antipathique. L’inévitable oncle facho des repas en famille. Derrière le parleur, assise bien sagement sur une ligne se tient la clique. L’air sérieux, conscients de représenter la crème de la crème du parti des chasseurs. Ils ont calé leur gras dans des chaises pliables des années 80. Les yeux de Sylvain vont du parleur à ceux assis en face de lui, le troisième en partant de la droite ressemble vaguement à quelqu’un qu’il connaît, son attirail de chasseur repoussant réconforte Sylvain.
Les chaînes deviennent des sapins. La progression de Sylvain devient plus facile sans les feuilles mortes, même si le brouillard l’oblige à se dépêcher et à presser le pas plus tôt que d’habitude.
Il ne manquerait plus qu’il se perde dans cette réserve qu’il connait depuis qu’il est gamin. Le froid tombe sur la fin de la journée, il enfonce son bonnet jusqu’aux oreilles, il n’a jamais pu résister à cette habitude, même s’il lui donne l’air de l’idiot du village.
Sylvain s’entraîne au club, il bande son arc, la flèche part. Il est content du résultat.
Elle est presque au centre de la cible, il se pose alors une question, il se demande dans quel livre est exposée la théorie du tueur parfait : celui qui est directement tireur, projectile et victime. Les meilleurs tueurs sont suicidaires.
Sylvain n’a aucune envie d’être parfait. Il lui suffit d’être efficace.
Il termine son activité avec 4 tirs parfaits, une première pour lui, il en est fier.
Il sort de la forêt, arrive sur l’espace vide des pâturages ;
L’herbe est rasée et parsemée de bouses, il monte tranquillement la montagne, aucun risque qu’il se perde cette fois. Le brouillard est stable et ne monte plus, même un touriste pourrait retrouver son chemin sans problèmes.
Sylvain débouche dans un bar où il retrouve 3 amis.
La discussion est monotone et ne l’intéresse pas, ils s’enflamment autour de sujets qu’il trouve “exaspérants”. Sylvain se renferme, la conversation dérive sur la poitrine de la serveuse.
Il arrive au sommet d’une crête, il est entouré par les Pyrénées.
Au-dessous, les forêts. Au-dessus, les pics. Il s’arrête un instant pour admirer le panorama qui est à sa disposition, randonneur du dimanche s’extasiant sur la pureté de la vue que la terre lui offre, il finit sa randonnée et descend à pas lents.
Sylvain est au refuge, il vient au magasin en tant que touriste, plus pour le plaisir de la conversation que pour réellement acheter quelque chose.
Ce jour-là, l’ambiance est particulièrement chaude, un politicien a fait un débat sur un des derniers ours pyrénéens, il n’en reste presque plus, et cet homme se permet de partir à la chasse à l’ours.
Officiellement l’ours l’a attaqué, il l’a tué.
Ni la police ni les médias ne trouvent ça étrange qu’il soit équipé pour tuer un ours.
Sylvain arrive au sommet suivant, regarde la grange accrochée à la pente, elle est refaite à neuf, on peut apercevoir sa grande baie vitrée.
A part ces détails, c’est une grange banale, pareille à celles des 4 ou 5 chanceux de la région en possèdent une dans ce parc naturel.
Bien entendu, interdiction d’y installer l’eau courante ou l’électricité, en d’autres mots : Le bout du monde. Pour Sylvain, le paradis.
Dans le bureau qu’il partage avec un collègue, il classe des formulaires. Il porte un costume délavé, une chemise mal repassée. Il a beau faire tout pour, il n’a jamais l’aspect du jeune fonctionnaire efficace qu’il est pourtant.
Son compagnon regarde par la fenêtre l’air béat et lui demande ce qu’il fait ce week-end. Sylvain lève la tête, sourit et sans hésitation répond “comme d’habitude, rando à la grange.”
Sylvain soulève une pierre, prend la grosse clef qui était cachée, ouvre la porte de bois, il dépose son sac à dos, allume une bougie et décide de faire un feu, dehors ça frôle les 0°c il ne compte pas tomber malade, et ne peut pas se le permettre pour le moment.
Il verse de l’eau tirée d’un bidon dans un chaudron suspendu, fouille son sac et y jette des légumes et du jambon, ça mettra du temps à cuire.
Il décroche un sac de couchage, et les monte à l’étage au-dessus, il redescend, enlève ses chaussures, brûle son arc et ses flèches, se chauffe les pieds et ouvre un livre.
Il marche silencieusement dans la forêt, vers midi.
Comme tous les dimanches, un chasseur s’est arrêté pour déjeuner sur un promontoire qui offre une vue magnifique sur l’ensemble de la vallée. Il ne se lassera jamais de cette vue et pour rien au monde n’irait vivre ailleurs.
Il dit bonjour à l’homme qui se retourne. “Fais toi le cerf” lui dit Sylvain en bandant son arc. Il lâche sa flèche
Sylvain décide de rentrer, il a un mauvais pressentiment, et il fait bien.
Sur le chemin du retour, la brume est revenue, sa peur de se perdre devient réelle.
Il ne retrouve plus son chemin, il n’a en sa possession que son arc et de quoi survivre 3-4 jours, pas grand-chose.
Il se souvient soudain des conseils de son père si jamais il venait à se perdre un jour seul dans la montagne, il est plutôt confiant et saura comment agir si un danger survient.
Sylvain n’avait pas pris son téléphone, quel con se dit-il ! au moment où j’en aurais eu le plus besoin.
Il est définitivement perdu et le soleil commence déjà à se coucher.
Il ne le sentait déjà pas ce matin, il vient de confirmer les suspicions. C’est la première fois que Sylvain se perd, minutieux comme il est, il déteste cette situation, il a de la chance le temps est dégagé donc aucun risque de se retrouver dans une averse et de tomber malade, ce qui aggraverait son cas.
Son premier réflexe, monter le plus haut possible et se repérer tant bien que mal, bien qu’il soit déjà haut, il ne voit pas au-delà de 200m, en résumé, il ne sait pas où aller.
Sylvain s’installe au sol, il aperçoit au loin une silhouette, il pense à un berger au premier abord, mais les bergers ne font pas 3m de haut.
Il comprend directement qu’il s’agit d’un ours, sa première réaction : ne pas se faire remarquer. Il goûte à la peur et la colère un instant, mais il s’y connaît, et sait comment agir. Heureusement, il a gardé son sac à dos sur lui, il recule lentement sans faire de bruit, surtout ne pas courir !
Après 2 jours de marche Sylvain aperçoit au loin une grange, c’est celle d’un indépendant ; il est soulagé et se dirige vers la grange en question, les lumières sont éteintes, mais nous sommes en journées donc il ne s’inquiète pas pour ce détail.
Dans la grange, personne.
Sylvain dormira quelques heures avant de reprendre sa route.
Maintenant 5 jours qu’il est perdu dans ces Pyrénées qu’il pensait connaître par cœur. Il est dépité mais garde espoir, il fait bien, c’est ce qui le sauvera peut-être.
Tout à coup, un miracle survient pour Sylvain, il est à environ 600m du club ou il s’entrainait la semaine passée, il aperçoit une camionnette de police garée en face, il dépense les dernières forces qu’il lui reste pour descendre la pente, mais le manque d’oxygène et d’eau lui deviennent trop lourds, et il s’évanouit.
Sylvain sera retrouvé par un berger, et emmené à l’hôpital le plus proche, il s’en sortira avec des blessures légères. Il n’arrêtera pas le tir à l’arc ou ses randonnées dans la montagne, mais ne fera plus tout ça seul, Tiago partagera cette passion avec lui, un berger australien de 22 ans.
Voilà 3 ans que c’est arrivé et tout va pour le mieux pour Sylvain, il n’a pas perdu son boulot, il est toujours aussi heureux de vivre là où il vit, et Tiago est un très bon compagnon.