C’était un beau matin d’été, mon fils Ethan rentrait de l’école après une grosse journée. Il était épuisé et devait encore faire tous ses devoirs. C’était un élève fort studieux, pas réellement comme son père. Cela faisait maintenant deux heures qu’il travaillait sans interruption. Je suis monté avec un verre d’eau citronnée pour lui apporter un peu de réconfort dans son travail et aussi pour voir si je ne pouvais pas l’aider à faire quelque chose. Je suis rentré délicatement dans sa chambre pour ne pas trop le déranger. Je le voyais travailler sur son ordinateur dans le fond de sa chambre et je reconnus très rapidement le sujet de ses recherches. Je sus directement qu’il cherchait des informations sur une époque que je n’avais que trop connue.
C’était, comme aimait l’appeler le gouvernement, la période de la purge. Je lui proposai mon aide, qu’il accepta directement. Je lui dis de venir avec moi dans mon bureau car ce serait plus agréable de s’asseoir dans un grand canapé en cuir. Je me mis à lui raconter, enfin, notre histoire.
« Tout avait commencé le jour du nouvel An, en 2019, en Chine. Au début, toute la population n’y prêtait guère attention. Une nouvelle épidémie ? Pour nous, c’était évident, ça allait être comme pour Ebola et ne pas se répandre. Mais tout le monde se trompait. Il ne fallut pas attendre bien longtemps pour que cela se propage et devienne une pandémie mondiale. En Europe, l’Italie fut un des premiers pays touchés fortement. Pour nos services de santé, ce fut une aubaine car nous eûmes le temps d’analyser ce qu’il se passait, ce qui nous a permis de créer un plan d’action pour préserver la population. C’est aussi à ce moment-là que survint le premier confinement. C’était en mars. Il faisait chaud. Je me rappelle ces journées suspendues dans le temps. J’en garde un souvenir heureux comme une sensation de bien-être.
C’était agréable de se prélasser, seul, dans son jardin, les premiers jours. Mais, après plusieurs semaines, un vide commença à se créer dans le coeur de chacun. Le contact social commença à nous manquer ».
Je me suis arrêté de parler. Je voulais voir si Ethan me suivait, me regardait, m’écoutait. Il était attentif. Je poursuivis mon récit.
« J’avais réussi à me tenir confiné pendant trois mois mais après cette période, le contact de mes amis me manquait trop. Nous nous voyions, dehors, le soir, dans les bois. C’était une période exceptionnelle et c’est là que je me suis fortement rapproché de ton parrain. Le temps continuait de passer et les mesures commençaient à s’assouplir. On avait le droit de retourner au resto, au café, boire un verre avec les copains. C’était le début de ma 5e secondaire. Je m’amusais énormément en classe avec les copains. Cela faisait un bien fou de tous se retrouver à l’école même si nous devions garder un masque. Malheureusement, nous avons été à nouveau confinés avec en plus, un couvre-feu. Cela n’était plus arrivé depuis la guerre. »
Tout d’un coup, je me suis retourné en sursautant mais ce n’était que ma femme qui nous apportait un petit verre d’eau et une bière car depuis cette époque, nous avions pris l’habitude de prendre l’apéro, chaque jour, à 18 heures. Elle me demanda ce que je racontais à notre fils Ethan. Je lui répondis que je lui parlais de l’époque de la purge. Elle s’est assise à côté de nous pour donner son avis sur la question. Notre petite fille Olivia que nous surnommions tous Ol était aussi présente. Ethan et Ol étaient passionnés par ce que nous leur racontions.
Ma femme Solange que nous surnommions affectueusement Archibald me demanda où j’en étais dans mon récit et je lui dis que nous étions juste avant le grand moment. Elle me regarda et se prépara pour cette partie de l’histoire. Je me sentais porté par les regards de ma famille.
Cela m’encouragea à poursuivre.
« Nous étions alors en 2021, lors d’une journée plus ou moins comme aujourd’hui : il y avait un grand soleil qui était très agréable. De plus en plus de mutations du virus arrivaient de tous les côtés ; il y avait celle du Japon, du Royaume-Uni, de l’Afrique du sud, de la Zambie, de l’Irak mais surtout il y avait celle des Russes. Cette variante n’était pas comme les autres. Elle était beaucoup plus agressive et même le masque ne suffisait pas pour nous protéger. Cette mutation n’en était pas réellement une mais plutôt un virus fabriqué de toutes pièces en laboratoire. Il avait été fabriqué au Mexique et puis les USA s’étaient chargés de l’inoculer aux Russes car le Président avait encore un goût fort amer de la guerre froide. Les Mexicains avaient appelé ce virus Ah Punch en l’honneur d’une divinité Maya. Ce virus était une base de Covid pour une transmission facile mélangée avec la rage et bien d’autres maladies. Ce virus était particulier car il allait très vite pour tuer les êtres humains. Quand les personnes le contractaient, il ne leur fallait que dix secondes pour se retrouver dans un état second, les yeux vides d’humanité. Ce nouveau virus se propagea bien plus vite que les précédents. Il décima les deux tiers de la population. Le gouvernement n’avait plus aucun contrôle sur la situation mais tentait désespérément de mettre en place des programmes afin de préserver un maximum de l’humanité. Il fallut cette sidération globale pour qu’arrive la plus grande association de toutes les nations jamais connue. Son but fut de concilier la préservation de l’humanité avec celle de la mixité culturelle. Mais certaines sociétés plus fragiles économiquement allaient être complètement décimées. C’est à cette époque que nous nous sommes retrouvés à habiter cette ville souterraine. »
Je sentis quelque chose me frapper la joue. C’était Ethan. Il était blême. Solange n’osait plus faire un geste et serrait notre fille très fort contre elle. Mon fils se dressa devant nous et se mit à crier avec toute la force de la colère.
« Qu’avez-vous fait de nos vies ? Pourquoi nous avez-vous laissé un monde sans autre air que conditionné, sans ciel, sans mer ? »
Je n’en revenais pas. Ethan avait un avis sur le monde.