– Nick McGondell ?
– Ouais m’sieur.
– Alexander Romiu ?
– Présent.
– Prya Zindor ?
– Oui.
– Iliana Villerson ? Iliana ?
– Je suis là ! Désolée pour le retard !
– C’est pas grave. Vous quatre, vous serez dans l’équipe 7. Maintenant que les équipes sont faites, on peut y aller !
Iliana, c’est moi. Mais je préfère qu’on m’appelle Lia. Nick, Alexander et Prya sont mes meilleurs amis depuis la crèche. On a tous 17 ans. Aujourd’hui, on doit faire un travail sur une période de l’Histoire, alors monsieur Blackswan nous a emmenés au Musée du Passé remémoré. Nous sommes en 2220, les musées sont à la pointe de la technologie. Tout se ressemble, plus rien ne nous étonne. Tous les jours sont les mêmes, sans l’être vraiment. Nos vies sont fades et monotones mais personne ne l’admet à voix haute.
8h52. Cela fait plus de vingt minutes que nous sommes rentrés et l’équipe 7 s’est déjà perdue dans le bâtiment. “Quelle bande de blaireaux”, me dis-je.
– Bon, on fait quoi maintenant ? demande Nick.
On s’arrête et on se regarde tous droit dans les yeux. Fou rire général. Cela sonne toujours aussi faux.
– Vu qu’on doit faire notre travail sur l’an 2020, on a qu’à retrouver son cristal et ce sera bon, propose Prya.
– Ok mais comment ? Il y a des centaines de milliers de cristaux ici, dit Alexander.
– Alexander, t’es bête ou quoi ? On va demander de l’aide à quelqu’un qui bosse ici.
On se met en marche et on se balade dans les couloirs pendant un bon quart d’heure. On se dirige vers la salle suivante lorsqu’on tombe nez-à-nez avec un vieil homme vêtu d’un bleu de travail. Il a une serpillère à la main et un regard indescriptible, assez curieux, comme s’il cachait les plus grands mystères.
– Besoin d’aide, les gamins ? demande-t-il.
On hoche tous de la tête et on lui explique la situation, notre devoir, etc.
– Vous êtes tombés sur la bonne personne! Suivez-moi, dit le vieil homme avec un entrain inconnu.
Il nous emmène vers une pièce sombre loin de tout, comme oubliée, dans une partie abandonnée du musée. Le vieux allume une seule et unique ampoule. C’est une toute petite pièce avec pour seul mobilier une haute et étroite porte noire comme les nuits de nouvelle lune. On est tous là devant cette porte à attendre que l’un d’entre nous fasse le premier pas. Je me lance, je prends la poignée d’argent glacée de froid et, retenant ma respiration, j’ouvre d’un coup la porte. Comme d’habitude, aucune réaction de la part de l’équipe 7, même s’il me semble qu’on aurait dû ressentir quelque chose, un je ne sais quoi. Le vieux a lu dans mes pensées mais ne semble pas surpris du manque de réaction, il a l’air de s’y attendre.
Devant nous, un piédestal argenté avec un cristal d’une blancheur inouïe flottant à sa surface.
Des murs aussi noirs que la porte d’entrée nous entourent et laissent énormément d’espace.
– C’est une pierre de lune? demande Prya.
– Pas exactement … Ceci est de l’Antrapyne, un cristal non répertorié et le seul taillé à ma connaissance, répond le vieux. Elle est un peu spéciale, mais vous le verrez par vous-mêmes.
Il nous demande de nous mettre en cercle autour du cristal et de nous tenir la main. Les cristaux du musée sont taillés de façon à nous montrer des images du passé par hologramme lorsqu’on projette un rayon de lumière rouge sur une des facettes. Normalement, ces pierres ont douze facettes mais celle-ci en a une de plus. Le vieil homme compte jusque trois avant d’éteindre la lumière et de mettre en marche le projecteur.
Lorsque je vois l’étincelle jaillir de la facette percutée par le faisceau couleur rubis, les murs de la pièce se désintègrent pour laisser place aux lueurs du passé. Des milliers de sensations, odeurs et sons nous submergent mes amis et moi. J’ai l’impression qu’on met feu à mon coeur et qu’on inonde ma tête de nouveauté et d’un poids me faisant penser à de la nostalgie. Jamais je n’ai ressenti ça. Mon corps se contredit ; mon ventre noué de stress, la gorge sèche de surprise, les yeux emplis de larmes, tant d’émotions et de nostalgie dans la poitrine. Je vois que mes meilleurs amis ressentent la même chose.
La vie d’antan était pleine de vie et de sentiments, ce qu’on n’a jamais vu. On regarde les images de l’année 2020 défiler devant nous puis vient en nous une flamme, imprévisible, celle de la rage et des regrets, en voyant la vie des hommes changer du tout au tout à cause d’un virus appelé Covid-19, puis les horreurs des discriminations, le basculement de la santé mentale pour les jeunes de l’époque, les Gens Z. Ils avaient dû se battre pendant si longtemps pour se faire entendre mais le gouvernement n’en avait rien eu à faire. Pour l’Etat, si autoritaire et fermé d’esprit, seuls l’argent et l’excellence comptaient plus que tout.
Quand la lampe se rallume et qu’on revient à la réalité, je remarque que l’équipe 7 a maintenant la même lueur dans le regard que dans celui du concierge qui nous a amenés ici.
Mon esprit se doit d’apaiser l’ouragan de questions qui me tourmente à cet instant.
-Dites-nous ce qu’il s’est passé pour que nos vies soient si différentes des leurs, s’exclame Alex.
– On a besoin de savoir la vérité et surtout pourquoi tous les autres cristaux du musée sont aussi ternes et… fades, rajoute l’autre jeune fille présente dans la pièce.
L’ancien se lance alors dans une longue explication sur ce qu’il s’est passé : le gouvernement nous a enlevé nos sentiments et nos émotions en 2025. Ils les a effacés de tous souvenirs et traces historiques grâce à une machine que les autorités avaient mis dix ans à créer : l’Hespéros, aussi connue sous le nom d’Etoile du soir. Un nom trop beau pour une machine aussi atroce. Ce dispositif influe sur le plan cérébral en envoyant des ondes qui mettent les capacités à ressentir des émotions hors service, tout ça pour rendre les travailleurs optimaux. Le cristal d’Antrapyne, lui, a été confectionné par une rebelle au courant des machinations de l’Etat. A peine après avoir mis son oeuvre en lieu sûr, elle a été tuée pour haute trahison car elle refusait d’aller voir le médecin en charge d’Hespéros.
Ce génie était l’ancêtre de Loki, l’homme qui nous expliquait toute l’histoire. Loki était sans doute un nom de code, ou alors sa famille avait une passion pour la mythologie. Il se disait gardien de l’espoir, huitième du nom, titre que ses ancêtres se passaient de génération en génération pour protéger la pierre précieuse non répertoriée.
Nous avons juste envie de frapper dans les murs, de péter un câble. Bien sûr que je veux changer les choses, mais comment une simple étudiante de 17 ans peut-elle métamorphoser le monde entier ? Il me faudra de l’aide et surtout, un plan.
-Lia… Qu’est-ce que tu as derrière la tête ? me demande Nick.
Je le regarde dans les yeux. Je ne l’avais jamais encore remarqué, mais il a des yeux d’un bleu comme l’océan dans lequel où on pourrait se noyer. J’ai l’impression d’avoir plongé au milieu de ses pensées… Ok, je me perds là.
-Les gars… Je crois que j’ai une idée.
* * *
« Flash info. Nous signalons la disparition de quatre jeunes de 18 ans … Si vous les voyez, appelez au 08 800 089 ».
Loki éteint la télévision.
– Monsieur Blackswan, quelle heure est-il? demande Alexander.
– 9h56.
– Où sont Nick et Lisa, bon sang?
– Prya, calme-toi, ils seront bientôt là, dit l’ancien.
– Nous sommes là, désolés!
– Eh, les tourtereaux, il est 9h58. Faut vraiment que vous appreniez à être ponctuels! s’exclame le reste de la bande.
On se retrouve autour de notre table habituelle, dans notre base secrète. On regarde tous les aiguilles de l’horloge tourner. 10h00. A mon tour de m’exprimer. L’heure de la rébellion a sonné.
– Que le projet Epione commence!