7h15 : j’ouvre les yeux, je me lève, avance vers ma fenêtre. J’y regarde la terre. Je m’appelle Lucie Rine et on est le 23 septembre 3050. J’ouvre la porte de ma chambre et vais à la cuisine. Je m’assoie à table, prépare mes céréales. La musique classique résonne dans la cuisine car ma mère adore ce genre de musique. Un jour elle m’a dit qu’elle avait lu une lettre de ma très vielle arrière-grand-mère qui avait vécu sur la terre. Cette lettre racontait qu’elle était une danseuse de ballet à Paris. C’est comme cela que ma mère a su que l’on avait des origines françaises. C’est pour cela que ma mère aime tant la musique classique. Elle dit que cela lui donne l’impression qu’elle est plus proche de sa famille. Mon père, lui, m’a raconté que, dans sa famille, ils avaient toujours travaillé dans la construction et la réparation de tout type d’objet, et même que le nom d’un de mes arrière-grands-pères se trouve dans le livre des personnes importantes du Vaisseau.
– Mange Lucie sinon tu vas être en retard à l’école, me dit mon père.
Je me dépêche de finir mes céréales pour aller me préparer. A 8 heures, je cours en dehors de ma chambre, je passe devant mes parents et sors de notre maison. En sortant, je croise Monsieur Suity, c’est le garde de l’aile Est du 7ème étage.
La navette se divise en 10 étages, le premier étage est le sous-sol avec les réserves. Le deuxième étage est divisé en 4 parties. Le côté Nord, c’est l’école ; le côté Sud, c’est l’endroit où se trouvent les crèches pour les jeunes enfants. En parlant d’enfants, il ne peut y avoir qu’un enfant par famille. Les parents ne peuvent pas choisir le prénom de leur enfant car le gouvernement assigne chaque prénom. J’ai lu une fois dans un livre de la bibliothèque, du côté Est du deuxième étage, que les habitants de la terre avaient le droit d’avoir plus d’un enfant et de choisir leur prénom. J’ai lu aussi que les terriens pouvaient choisir qui aimer. Aimer est un sentiment. C’est ce que l’on ressent au fond de soi. Aimerais-je ressentir des sentiments un jour ?
Le 3e étage est réservé aux personnes à moyens financiers faibles. Les 4e, 5e et 6è étages sont dévolus aux personnes ayant des métiers basiques comme professeur, agriculteur, etc.
Le 7e étage, celui où je vis, est réservé aux personnes qui s’occupent de la maintenance du Vaisseau, comme mon père et aux dirigeants du Vaisseau, comme ma mère. Au 8e se trouvent l’hôpital et la salle des Entremetteurs.
Les Entremetteurs sont les personnes qui vont nous aider à trouver notre futur partenaire. Une différence de plus avec les habitants de la terre de 2020. Ici, ils contrôlent notre ADN et nous donnent trois listes avec les prénoms des personnes avec qui tu peux te marier. On peut s’y inscrire à partir de nos 16 ans. Lorsque l’on a choisi avec qui on va se marier et fonder une famille, on donne à la jeune fille une pilule pour déclencher ce qu’on appelle les règles.
Le 9e étage est la salle de rassemblement pour que les dirigeants puissent expliquer les nouvelles mesures s’il y en a. Le 10e est la salle de contrôle.
Je rencontre mon oncle. Je le salue. Il a toujours été très gentil avec moi, je crois que je l’aime bien. Une fois, il m’a lu la lettre d’une jeune fille de 2020 écrite lors de la crise sanitaire. Elle écrivait que ses amis lui manquaient.
J’aurais aimé avoir des amis. Malheureusement, ici, c’est interdit. J’aurais aimé pouvoir aimer et détester qui je veux, pouvoir voir des animaux, des plantes, visiter et découvrir différentes cultures, pouvoir vivre, avoir mes propres buts, nourrir de l’espoir. Enfin, je crois.
J’arrive devant l’ascenseur, je tape 2e étage. Au fur et à mesure que je descends, l’ascenseur se remplit. Arrivée en bas, les portes s’ouvrent et tout le monde sort. J’avance vers ma classe et vais m’assoir à ma place attitrée. Madame Laurentia entre en nous disant de nous asseoir.
Elle est un peu ronde, brune aux yeux bleu océan, toujours souriante. C’est le genre de personne à qui tu ne souhaites que du positif car elle te donne de la joie juste en la regardant.
Malheureusement, il y a eu des rumeurs : elle aurait eu des jumeaux et ils auraient été lancés dans l’espace…
A côté de moi, se trouve Laurine. Elle est magnifique. Elle n’est pas seulement belle, elle est aussi gentille, enfin je ne sais pas si on peut considérer ça comme de la gentillesse étant donné que l’on a été formé à ne rien ressentir mais quand je la vois et qu’elle me sourit, elle me fait sentir bien. Elle….
– Prenez la page 315 de votre manuel, nous allons lire une lettre d’un jeune homme qui a vécu le départ de la navette, dit Madame Laurentia, en me coupant de mes pensées.
J’ouvre mon manuel et commence à lire la lettre.
“ On est le 23 décembre 2024 et la planète tombe en ruines. Je suis actuellement avec mes parents et ma soeur dans le centre de construction de la navette. Mes parents sont de grands scientifiques et doivent aider à la construction du futur Vaisseau. Pour comprendre, il faut revenir au 13 mars 2020. On est assis devant la télé à attendre les nouvelles du gouvernement et comme mes parents l’avaient prévu, on est confiné à cause d’une maladie mondiale. Ce jour-là, beaucoup de gens ont crié à la fin du monde. Malheureusement, ce n’était que la première vague… La deuxième vague arriva en mai 2021. Puis la troisième… Puis la quatrième… Les gens étaient à bout. Le nombre de suicides explosaient. La ruine était le lot de tant d’hommes et de femmes qui avaient perdu le fruit de leur travail en moins de deux ans de temps. Des manifestations éclataient un peu partout en Europe. Les gens réclamaient le retour à la liberté, le droit d’aller au théâtre, au concert, le droit de serrer les siens dans ses bras sans le spectre de la culpabilité, le droit d’aimer la vie et de célébrer la mort. Mais cette dégradation des conditions de vie et cette crise de la culture ne devaient pas encore suffire.
Dans ce monde déjà mort en partie, un nouveau cataclysme survint en Europe. Une centrale nucléaire explosa dans les Ardennes entraînant une onde de chocs qui démultiplia des explosions plus grandes les unes que les autres. Le pire problème venait des milliards de particules inconnues qui s’étaient infiltrées dans tout, que ce soit dans l’eau ou les bâtiments.
Malheureusement, elles étaient mortelles et les ¾ de la population disparut en seulement 6 mois. C’était devenu tellement grave que respirer pouvait être fatal. Le désastre ne toucha pas que l’Europe. La crise devint mondiale. C’est à ce moment-là que mon père eut l’idée de créer un vaisseau énorme pour mettre le reste de la population en sécurité dans l’espace. Au départ, l’idée avait été rejetée, jusqu’en juillet 2024.»
La lettre était signée par Ignatus.
Je regarde mon professeur et n’arrive pas à m’imaginer ce qu’était la vie sur Terre.
« De quoi pouvons-nous douter ? Qui peut encore faire faillite ? Perdre un être cher ? Ses illusions ? Que signifie manifester ? Pour quoi ? Pour qui ? »
La vie sur Terre m’apparaît comme une mauvaise blague.